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Négociation et contestation dans le mouvement syndical québécois

mardi 7 septembre 2010, par Ronald Cameron


Tiré du site des nouveaux cahiers du socialisme
4 juillet 2010


Introduction à l’exposé sur le mouvement syndical dans le cadre de l’Université d’été des NCS

La plupart des organisations syndicales du secteur public, sauf la FIQ, viennent de conclure des ententes sectorielles à la date de renouvellement des conventions collectives et à l’échéance du décret. Le Front commun intersyndical, salué largement comme une avancée cruciale pour ces négociations et parfois comparé à celui qui s’est constitué dans les années 70, annonce une entente sur les salaires et les autres matières de table centrale. Comment interpréter la fin de la présente ronde de négociation ? L’entente est-elle justifiée ou traduit-elle un renoncement de la part des syndicats à engager un combat plus audacieux ? La présentation que nous ferons pour l’Université d’été des NCS prendra appui sur ces événements en vue d’introduire la discussion sur l’action syndicale au Québec aujourd’hui. Voici, en guise d’introduction, quelques réflexions.

Au vu de la conclusion des négociations, il faut certainement se démarquer de tout triomphalisme dans l’évaluation des résultats. Mais à ce jour, l’ensemble des instances syndicales se satisfont des ententes sectorielles, sauf la FIQ qui, par contre, accepte l’entente sur les salaires. Ces instances qui regroupent les représentantes et les représentants directement en provenance des syndicats, recommandent aux assemblées de les reprendre.

Comment interpréter la conclusion des négociations dans le secteur public ?

Si les investissements demeurent modestes au regard des besoins, on constate toutefois des gains. L’entente marque une certaine reconnaissance de l’importance des services publics. D’ailleurs, le consentement du gouvernement à cette entente, s’il concrétise une volonté politique de conclure avec les syndicats, cache mal un affaiblissement certain de sa position comme gouvernement.

Quelle doit être en conséquence la position à défendre dans un tel contexte ? Quelle attitude prendre sachant que, pour la plupart des membres des assemblées, la perspective de poursuivre la négociation et de consentir à des mandats de grève pour obtenir plus, au lendemain d’une période marquée par un décret, apparaîtra probablement comme peu crédible.

Mais affranchie du poids de la négociation, l’action syndicale pourra mieux se concentrer sur les aspects plus politiques. Elle doit viser à transférer l’énergie de la négociation dans le combat social, à partir d’un plan de mobilisation unitaire des mouvements syndicaux et sociaux. Cette approche se heurtera certainement au reflux du mouvement, notamment de la part des secteurs les moins mobilisés du mouvement syndical. Elle doit compter sur le ralliement de celles et ceux qui espéraient voir se transformer la négociation en un mouvement politique pour en découdre avec le gouvernement, comme antidote au défaitisme ambiant.

Prenant appui justement sur le fait que la négociation n’a pas remis en question les orientations budgétaires du gouvernement concernant la cure d’amaigrissement de l’État et la poursuite du déficit zéro, on doit tout mettre en œuvre pour que l’action syndicale se déploie à un niveau plus politique. À partir de maintenant, plus que jamais, les énergies doivent se concentrer à construire une alternative politique progressiste au Québec, entre autres pour chasser le gouvernement Charest.

Il importe donc de ne pas isoler l’esprit critique au sein des syndicats à partir d’une position de principe. Viser à mettre à l’ordre du jour une action syndicale de contestation sociale ne doit pas nous faire perdre de vue la réalité du syndicalisme comme instrument de représentation des salariés-es. La bataille contre les politiques d’austérité du gouvernement Charest en lien avec la hausse des tarifs, l’imposition de nouvelles taxes, les resserrements des effectifs dans le secteur public doit se poursuivre et se renforcer.

La double nature du mouvement syndical

Suivant Jean-Marc Piotte (1998, 29), il importe de bien garder en perspective la double nature du mouvement syndical. En effet, les organisations syndicales sont marquées par une double fonction d’intégration et de contestation. Un syndicat est à la fois un « moyen de défense économique » mais aussi un « instrument pour contester le pouvoir absolu du patronat » (Piotte 1998, 30)[1]. Et c’est à partir de cette dualité que nous devons apprécier la dynamique actuelle du syndicalisme au Québec. Ainsi, si l’analyse d’une conjoncture politique est très proche de celle qui peut marquer une négociation dans le secteur public, on doit reconnaître une relation plus conflictuelle entre la négociation et l’action politique.

On dit habituellement que la négociation dans le secteur public est une négociation politique, compte tenu du nombre de salariés-es qu’elle implique d’une part et compte tenu surtout que l’employeur est le législateur, d’autre part. Mais, comparativement à la période des années 70, la négociation dans le secteur public est certainement devenue quelque chose de moins politisée.

Par ailleurs, malgré le caractère politique des négociations du secteur public, on doit éviter le piège de croire que ça doit invariablement conduire au renversement du gouvernement, même s’il s’agit certainement d’une épreuve pour ce dernier. Toute entente négociée exige le consentement des deux parties.

Mais il y a plus. Parmi les craintes qu’on remarque à tous les niveaux des organisations, y compris auprès de salariés-es au niveau local, il y a la crainte de la manipulation de la négociation et de son assujettissement à un agenda politique. Cette situation s’explique notamment par les campagnes successives des médias pour contrer l’action politique syndicale, par les déceptions quant aux espoirs suscités notamment par le Parti québécois mais aussi par les faiblesses ou la perception du peu de crédibilité au niveau démocratique. À la base, elle exprime aussi ce conflit du syndicalisme entre négociation et contestation. Cette question en est une très concrète puisqu’elle conditionne l’attitude à adopter dans l’action. Il importe ici d’identifier la limite du syndicalisme, aussi combatif qu’il puisse être, dans le cadre du fonctionnement normal du système politique et économique capitaliste.

Ainsi, la pression sur les organisations et sur la négociation en est considérablement accrue. Les syndicats ont concentré leur démarche sur le droit de négocier, malgré et à cause du décret de décembre 2005. Auraient-ils pu faire autrement ? Probablement qu’une bataille plus énergique contre le décret aurait permis d’aménager un meilleur rapport de force dans cette quête d’une entente négociée.

Promouvoir une action syndicale de contestation sociale

De manière générale et considérant l’évolution économique et politique dans son ensemble, le syndicalisme connaît une profonde remise en question qui interpelle la pertinence de son action dans son ensemble, autant dans sa fonction économique que politique. Dans un tel contexte, d’importants débats ne manqueront pas de s’ouvrir sur le « Que faire » qui seront autant d’occasions pour faire valoir l’intérêt d’une action politique plus audacieuse et qui comprendrait des plans d’actions aux objectifs plus ambitieux, que ceux strictement centrés sur la sensibilisation. Au Québec, une telle approche pourrait comprendre des moyens plus lourds de pression habituellement limités à la négociation.

Cette démarche doit toutefois se démarquer de tout raccourci qui vise à réduire la négociation dans le secteur public à la seule perspective politique. La contestation sociale peut être une arme politique du mouvement syndical susceptible d’être acceptée plus largement, par nombre de mouvements sociaux et populaires. Elle doit faire le plein des appuis au sein du mouvement syndical.

Il nous apparaît que l’évolution historique n’offre pas d’autre choix au mouvement syndical : son avenir passe par le renforcement de sa fonction de contestation, sans toutefois remettre en question celle au niveau de la négociation qui demeurera, bien évidemment, limitée à la conjoncture marquée par la persistance de la mondialisation libérale. Pour contrer cette mondialisation, la lutte économique est insuffisante et un profond changement politique, nourri par une vision syndicale authentiquement internationaliste, devient de plus en plus nécessaire.

4 juillet 2010

[1] Piotte, Jean-Marc, (1998), Du combat au partenariat , interventions critiques sur le syndicalisme québécois, Éditions Nota Bene, 270 pages.

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