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PAUL WOLFOWITZ, DIXIÈME PRÉSIDENT DE LA BANQUE MONDIALE

mardi 25 avril 2006, par Eric Toussaint

La décision du président George W. Bush de nommer à la présidence de la Banque mondiale Paul Wolfowitz, sous-secrétaire d’État à la Défense et un des principaux architectes de l’invasion de l’Afghanistan en 2001 et de l’Iraq en 2003, a fait couler beaucoup d’encre en mars 2005.

Avant cette décision, certains medias tels que le quotidien financier britannique Financial Times avait mené campagne pour que le dixième président de la Banque soit choisi pour ses compétences en matière de développement, de préférence parmi des citoyens du Sud. Le Financial Times avançait la candidature de Ernesto Zedillo qui a présidé le Mexique à la fin de années 1990. Le choix sans appel de George W. Bush en faveur de Paul Wolfowitz indique clairement qui dirige la Banque mondiale. Les 24 gouverneurs de la Banque ont entériné cette décision.

Mais qui est Paul Wolfowitz ?

Il est un pur produit de l’appareil d’État des États-Unis. Il ajoute à une très longue expérience dans les sphères du pouvoir une courte carrière universitaire. Diplômé en mathématiques, il travaille, dès l’âge de 23 ans, pour le gouvernement au bureau du budget (1966-1967). En 1969, il travaille pour une commission du Congrès avec l’objectif de convaincre le Sénat de la nécessité de doter les États-Unis d’un parapluie anti-missile face aux Soviétiques. Il y réussit. Dès ce moment, Paul Wolfowitz s’engage à fond dans les questions de stratégie militaire. Un fil rouge dans sa réflexion stratégique : identifier des adversaires (URSS, Chine, Iraq...) et démontrer qu’ils sont plus dangereux que ce que l’on imagine afin de justifier un effort supplémentaire de défense (augmentation du budget, fabrication de nouvelles armes, déploiement plus important de troupes à l’étranger) allant jusqu’au déclenchement d’attaques ou de guerres préventives. Des guerres lancées pour contrer des menaces potentielles et non pas pour répondre à des attaques avérées et réelles.

Il enseigne deux ans à l’université de Yale et obtient le titre de docteur en sciences politiques à l’université de Chicago en 1972, un des centres intellectuels de la réaction conservatrice [1]. Ensuite, durant quatre ans, il travaille à l’agence du contrôle des armes et du désarmement (1973-1977) en relation directe avec Bush père qui, à ce moment-là, dirige la CIA. Puis il entre directement au Pentagone en 1977 et y reste jusque 1980 au service du président démocrate Jimmy Carter. Il monte un dossier pour démontrer que les Soviétiques se dotent d’armes nucléaires nouvelles. Par la suite, il s’avère que les armes nouvelles supposées aux mains des Soviétiques sont largement des affabulations. Alors qu’il a travaillé pour un président démocrate, après avoir accompli un an de purgatoire comme professeur à l’Université John Hopkins, il réussit la gageure d’entrer au service du président Ronald Reagan en 1981. Il devient directeur du département de la planification au Département d’État. De 1983 à 1986, il dirige le secteur Asie de l’Est et Pacifique du département d’État sous Reagan. De 1986 à 1989, il est ambassadeur des États-Unis en Indonésie. De 1989 à 1993, il dirige la stratégie du secrétaire d’État à la Défense, Dick Cheney, dans l’administration de Bush père (1ère guerre du Golfe) pour devenir, après les deux mandats de Clinton, le sous-secrétaire d’État à la Défense partageant avec Donald Rumsfeld la direction des guerres contre l’Afghanistan et l’Iraq. Entre temps, pendant la présidence de William Clinton, de 1993 à 2001, il reprend une carrière universitaire en tant que doyen de la Paul Nitze School of Advanced International Studies (750 étudiants), partie prenante de l’Université John Hopkins. Il fait merveille en récoltant 75 millions de dollars pour financer la Paul Nitze School et travaille comme consultant d’une des principales firmes militaires au niveau mondial, la Northrop Grumman. En 1997, il participe à la fondation d’un groupe de pression néoconservateur appelé PNAC (Projet pour un nouveau siècle américain - Projet for a New American Century). En font également partie Donald Rumsfeld (actuel secrétaire d’État à la Défense), Dick Cheney (patron d’Halliburton à cette époque et actuel vice-président des États-Unis), Jeb Bush (frère de George W. Bush), Richard Perle, Robert Kagan. Dès 1998, le PNAC mène campagne pour que William Clinton lance une attaque préventive contre l’Iraq et contre les États potentiellement agresseurs.
Pendant la période 1983-1989 où Paul Wolfowitz est engagé dans la politique des États-Unis en Asie de l’Est, il soutient activement les régimes dictatoriaux. En effet, contrairement à l’image qu’il souhaite donner, Paul Wolfowitz a soutenu les dictatures militaires de Ferdinand Marcos aux Philippines, de Chun Doo Hwan en Corée du Sud et de Suharto en Indonésie.

Au début des années 1980, il a essayé de sauver la mise à Ferdinand Marcos en le convainquant de réaliser certaines réformes démocratiques. A cette époque, aux Philippines, la combinaison entre une puissante guérilla révolutionnaire et une forte opposition bourgeoise anti-dictatoriale (dirigée par Aquino) risquait d’entraîner une nouvelle défaite des États-Unis à l’image de ce qui s’était passé en 1979 au Nicaragua lorsque les révolutionnaires sandinistes avaient fait front avec l’opposition bourgeoise dirigée par Violetta Chamorro. Ce n’est pas Paul Wolfowitz qui a fait partir Ferdinand Marcos, c’est la mobilisation populaire qui l’a chassé en 1986, les États-Unis assurant la fuite du dictateur vers Hawaï (50e Etat des États-Unis) [2].
En ce qui concerne la Corée du Sud, Paul Wolfowitz prétend qu’il a réussi à convaincre le dictateur Chun Doo Hwan (responsable de massacres pendant la rébellion de 1980) de se retirer en 1987. En réalité, ce sont les millions d’étudiants, d’ouvriers et de citoyens qui, par leur mobilisation, ont forcé le dictateur à quitter le pouvoir.

En Indonésie où les mobilisations anti-dictatoriales étaient moins puissantes (et pour cause, Suharto pour prendre le pouvoir en 1965 avait organisé le massacre de 500.000 civils), les États-Unis ont soutenu le dictateur jusqu’au début 1998. Paul Wolfowitz qui, rappelons-le, a été ambassadeur à Djakarta de 1986 à 1989, déclarait encore en mai 1997 au Congrès que : « tout jugement équilibré sur la situation en Indonésie aujourd’hui, y compris sur la question très sensible des droits humains, doit prendre en compte les progrès significatifs que l’Indonésie a déjà accomplis et doit reconnaître qu’une grande part de ce progrès est à mettre au crédit du leadership fort et remarquable exercé par le président Suharto » [3].
Le passé récent de Paul Wolfowitz est mieux connu : il est un des concepteurs de la stratégie de guerre « préventive » mise en application en Afghanistan et en Iraq à partir d’octobre 2001. Paul Wolfowitz est un des principaux créateurs des mensonges concernant le danger constitué par Saddam Hussein pour la communauté internationale. Il est un des inventeurs de l’existence d’armes de destruction massive et du supposé soutien de Saddam Hussein à Al Qaida et au terrorisme international en général. Au début de la guerre, Paul Wolfowitz avait affirmé que les soldats états-uniens seraient toujours considérés comme des libérateurs de l’Irak et choyés comme tels par les Irakiens. Il affirmait que l’Irak paierait lui-même le coût de sa libération grâce au pétrole. Donald Rumfeld, Paul Wolfowitz, George W. Bush et Dick Cheney ont utilisé et utilisent l’occupation et la « reconstruction » de l’Iraq au profit des transnationales états-uniennes. Le risque est donc grand que Paul Wolfowitz utilise l’aide « liée » de la Banque mondiale aux mêmes fins.

L’offensive de Washington à l’égard des organisations multilatérales

La désignation de Paul Wolfowitz est à mettre en relation avec l’offensive des États-Unis à l’égard de plusieurs institutions multilatérales.

 Acte 1 : le 18 janvier 2005, Kofi Annan, secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), décide de nommer Ann Veneman, ministre de l’Agriculture de l’Administration Bush, au poste de Directrice exécutive de l’UNICEF. Or les États-Unis et la Somalie sont les deux seuls pays qui ont refusé de ratifié la Convention des Nations unies sur les Droits de l’Enfant (189 pays l’ont ratifiée). On imagine les pressions auxquelles Kofi Annan a été soumis de la part de Washington pour adopter une telle décision.

 Acte 2 : le 7 mars 2005, George W. Bush choisit John Bolton comme ambassadeur auprès des Nations unies. Cet ultraconservateur éprouve une haine réelle envers l’ONU, n’hésitant pas à déclarer : « L’immeuble du secrétariat de l’ONU à New York compte 38 étages. S’il y en avait 10 de moins, ça ne ferait pas une grosse différence. ». Il a tenté de faire virer Mohamed El Baradei qui dirigeait l’institution des Nations unies chargée du suivi du programme de désarmement de l’Iraq juste avant la guerre de 2003. C’est lui qui a obtenu que les États-Unis ne ratifient pas la Cour pénale internationale et qui s’est retiré de la conférence des Nations unies sur le racisme tenue à Durban en août 2001. Pour lui, l’ONU ne doit surtout pas entraver la politique étrangère des États-Unis. Il a même osé déclarer : « Les Nations unies ne peuvent fonctionner que lorsque l’Amérique les dirige ».

 Acte 3 : le 10 mars 2005, George W. Bush annonce sa décision de proposer Paul Wolfowitz, comme candidat au poste de président de la Banque mondiale. Le 31 mars, le Conseil des gouverneurs de la BM élit à l’unanimité Paul Wolfowitz à la présidence de la Banque mondiale. George W. Bush a montré ainsi à la communauté internationale et à ses partisans qu’il a la volonté et la capacité d’accroître le leadership direct des États-Unis sur les institutions multilatérales.

D’une certaine manière, la désignation de Paul Wolfowitz ressemble à celle de Robert McNamara en 1968. Robert McNamara, secrétaire d’État à la Défense, avait été retiré de la direction de la guerre du Vietnam au début du marasme. Paul Wolfowitz est retiré de son poste en plein échec de la guerre en Iraq. Paul Wolfowitz, comme Robert McNamara, a l’expérience de direction d’une grande administration : le Pentagone. Paul Wolfowitz, comme Robert McNamara, a été conseiller de la politique extérieure du président des États-Unis. Vraisemblablement, Paul Wolfowitz, à l’instar de Robert McNamara et sans rupture avec James Wolfensohn, va maintenir l’alibi de la lutte contre la pauvreté. Comme Robert McNamara, Paul Wolfowitz saura manier la carotte et le bâton.


Notes :
[1] Milton Friedman, un des pontes de l’université de Chicago, et les Chicago boys vont conseiller le dictateur chilien Augusto Pinochet après son coup d’État de septembre 1973. Voir Eric Toussaint. 2004. La Finance contre les Peuples. La Bourse ou la Vie. Chapitre 14, Idéologie et politique néolibérales : mise en perspective historique, p. 341- 360.
[2] Voir Walden Bello, US Sponsored Low Intensity Confict in the Philippines, San Francisco, Institute for Food and Development Policy, 1987
[3] Tim Shorrock, Paul Wolfowitz, Reagan’s Man in Indonesia, Is Back at the Pentagon, in Foreign Policy in Focus, février 2001, p. 3. « Any balanced judgment of the situation in Indonesia today, including the very important and sensitive issue of human rights, needs to take account of the significant progress that Indonesia has already made and needs to acknowledge that much of this progress has to be credited to the strong and remarkable leadership of President Suharto »
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