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Pour un système de retraites public qui assure et élargisse les droits

Projet de résolution présenté par le courant CUT Démocratique et Socialiste (minoritaire)

lundi 28 juillet 2003

Le projet de réforme des retraites présenté au Congrès national par le Président de la République accompagné des 27 Gouverneurs des États est issu d’un débat restreint. Il n’a été discuté qu’avec les gouverneurs et dans le cadre du Conseil de développement économique et social, qui ne représente pas la société organisée, étant majoritairement composé d’entrepreneurs. Alors qu’il n’y a pas eu de débat démocratique pour l’élaboration du projet, le gouvernement bafoue maintenant la démocratie en tentant d’empêcher le débat au Congrès national, intervenant pour accélérer les votes et retirant du débat les commissions qui prennent des positions opposées au projet. La pression pour voter au plus tôt est une manière d’éviter le large débat démocratique de la société brésilienne.

Ce débat ne concerne pas un sujet quelconque, mais l’avenir du service public dans le pays. La pression devrait se manifester en faveur des politiques sociales, comme le combat contre la faim, la réforme agraire, la création des emplois, l’augmentation du salaire minimum.

La prévoyance sociale ne peut être débattue de manière isolée, car elle concerne la vision de l’État que nous entendons construire. Ce débat doit donc s’insérer dans un contexte plus ample, celui de la sécurité sociale, car il s’agit là de débattre de l’avenir de la redistribution des revenus dans le pays.

Si nous intégrons ce débat dans le contexte de notre vision de l’État et de la sécurité sociale, nous devons l’articuler avec la question du financement de l’État. Cela à son tour, implique une réforme fiscale, qui permette de taxer de manière progressive le capital et les revenus, de manière à rompre avec l’actuelle structure fiscale régressive. Ce n’est que de cette manière que nous pourrons avancer de manière efficace sur le chemin d’une société plus juste et plus démocratique, une société qui inclue les larges secteurs du pays qui sont exclus aujourd’hui. La Constitution brésilienne a garanti à la nation le droit à la sécurité sociale (santé, prévoyance et assistance sociale) en tant que droit de tous les Brésiliens, financé publiquement par plusieurs sources fiscales et par des contributions. Malheureusement la politique néolibérale, imposée au pays depuis la décennie 1990, tente de liquider ces droits, déformant le débat sur la sécurité sociale. Les organismes financiers internationaux, en particulier le Fonds monétaire international (FMI), exigent la fin de la prévoyance publique afin que ce service devienne une marchandise dans les mains des grandes sociétés internationales d’assurance et des fonds de pensions, qui pèsent lourdement sur le marché financier. C’est le grand objectif de la réforme des retraites, mis en œuvre depuis les deux mandats du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. Pour arriver à cet objectif une grande campagne de propagande déclenchée par les médias s’en prend aux services publics, les accusant d’être responsables du déficit public. Les données officielles sont manipulées et la population est désinformée pour la préparer à accepter les coupes sombres dans les droits sociaux et en particulier dans les services publics. Rien de plus fallacieux ! En 2002, la sécurité sociale a enregistré un excédent de 33 milliards de réals (ressources restantes après la déduction des payements des frais de santé, des retraites et de l’assistance sociale), employé pour satisfaire la volonté du FMI qui a imposé une augmentation de l’excédent budgétaire brut - terme technique qui définit la saignée des ressources publiques - en mélangeant le Budget de l’Union avec la dette publique et la politique de privatisations qui réduit le rôle de l’État, autrement dit qui soumet le Brésil à la prédation du capital international. Ce qui est en jeu, c’est le démantèlement du principal mécanisme de redistribution de revenu et d’égalisation sociale dont dispose le Brésil : le système public de prévoyance. Ce système constitue la cible du FMI et de tous ceux qui s’alignent sur sa politique. La prévoyance sociale est un acquis de la civilisation par lequel l’État et la société garantissent solidairement la protection des plus faibles qui ont déjà contribué socialement. La sauvagerie du capitalisme néolibéral tente de détruire ce patrimoine public au profit des intérêts privés. Les retraites ne sont pas un capital-risque qu’on puisse jouer sur le marché et faire dépendre des oscillations de la Bourse ! Les retraites sont une partie de la sécurité sociale - un droit public commun à tous ! Dans le débat national qui s’ouvre, nous attendons du gouvernement Lula qu’il soit cohérent avec l’histoire des luttes des travailleurs de ce pays, la défense de leurs droits et de l’inclusion sociale.

Nous considérons qu’il est indispensable de réaliser un large audit des comptes de la sécurité sociale et de tous les régimes de retraites. Cela doit se combiner avec la mise en œuvre d’une politique sérieuse visant à combattre l’évasion fiscale et les fraudes, avec des sanctions effectives des responsables, et la suspension immédiate de l’emploi des instruments créés par les gouvernements précédents dans le but de dévier les ressources de la sécurité sociale. Le projet d’amendement constitutionnel n° 40 (PEC-40) vise l’approfondissement des réformes initiées par Fernando Henrique Cardoso, qui ont été si préjudiciables pour les services publics. Sous le prétexte de mettre fin à des privilèges, il s’en prend de manière linéaire à tous les fonctionnaires, créant un préjudice sérieux pour ceux qui reçoivent des bas salaires, ceux qui ont commencé à travailler plus tôt et remettant en cause les droits acquis des retraités. Pour en finir avec les privilèges il suffirait que le gouvernement fixe un plafond salarial, dont les références doivent être les salaires du Président de la République, des Gouverneurs d’États et des Maires. Ainsi les privilèges tels les retraites des ex-présidents, ex-gouverneurs, ex-parlementaires, etc. seraient au moins atteints…

La modification de la base du calcul, consistant à prendre en compte le salaire moyen de toute la vie de labeur, y compris les périodes de travail dans le secteur privé, pour les fonctionnaires peut conduire à une réduction jusqu’à 40 % du montant des retraites, ce qui est un préjudice substantiel pour tous les travailleurs du secteur public, en particulier pour ceux dont les salaires sont les plus bas, remettant en cause le principe du départ à la retraite avec le salaire intégral.

Nous n’acceptons pas, de même, la fin de la parité entre les rémunérations des actifs et celles des retraités, comme nous ne pouvons admettre l’élargissement des contributions aux revenus des retraites et pensions, garanties par des cotisations déjà payées durant toute leur vie de labeur. Nous refusons également la suppression de la règle transitoire instituée par l’amendement 20, relative à l’âge minimal (3).

Nous voulons un changement de la politique économique du pays pour favoriser la croissance, développer l’emploi, mettre fin à la précarité et aux rapports de travail informels. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons parler de l’inclusion des plus de 40 millions de travailleurs qui sont exclus du système aujourd’hui.

Nous défendons ce qui suit :

1. Gestion démocratique et paritaire de tous les régimes de retraite : la gestion démocratique est inscrite dans la Constitution fédérale, mais elle n’est pas appliquée comme elle devrait l’être. La transparence, l’accès permanent de tous les travailleurs aux informations sur le système des retraites sont essentiels pour la connaissance de leurs droits et pour une effective gestion paritaire et démocratique de la Sécurité sociale.
2. Plafond des retraites : nous demandons que le plafond des retraites du secteur public soit lié au plafond salarial des actifs des trois pouvoirs [exécutif, législatif, judiciaire].
3. Retraites et pensions : garantie du principe des droits à la retraite acquis selon la règle de la Constitution [qui fixe le montant de] la retraite selon l’âge, le temps de travail, en proportion du temps de service, le décompte réciproque du temps de service et qui garantisse les retraites par une législation spécifique ; nous défendons le maintien du principe de parité pour les fonctionnaires actuels et futurs.
4. Contribution des pensionnés : nous défendons le maintien de l’exonération des contributions des retraités et pensionnés de la prévoyance sociale, tant en ce qui concerne le régime de la fonction publique que le régime général des retraites.
5. Réglementation des activités spéciales dans le service public : la CUT considère que les travailleurs exerçant des activités qui les exposent à l’action d’agents ou à des environnements malsains, dangereux ou pénibles doivent jouir d’un traitement spécial. Cette garantie, insérée dans la Constitution fédérale depuis 1998, n’a pas fait l’objet d’une réglementation jusqu’à aujourd’hui, ce qui fait que des milliers de fonctionnaires publics sont forcés d’exercer des activités de cette nature durant des périodes supérieures à celles recommandées par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) et l’OIT (Organisation internationale du travail). La réglementation de ce droit doit suivre les critères et les conditions prévues pour le secteur privé, dans la mesure où la nature et la dangerosité des agents est la même, prévoyant une retraite après 15, 20 et 25 années de travail conformément au type d’activité.
6. Retraite spéciale : la CUT défend le maintien d’une retraite spéciale pour ceux qui souffrent de l’usure physique ou mentale dans l’exercice de leurs fonctions, y compris pour les enseignants du primaire et du secondaire, après 25 et 30 ans de service (respectivement pour les femmes et pour les hommes).
7. Établissement d’un mécanisme de protection des retraites de l’INSS : l’introduction du « coefficient retraite », à la suite de la promulgation de l’amendement constitutionnel n° 20, a conduit à une réduction significative des montants accordés en comparaison au dernier salaire perçu. Cette mesure touche de manière indistincte les retraités dont les revenus diffèrent. Dans le même sens la CUT propose de modifier le mode de calcul des montants de l’INSS, afin d’y incorporer une variable favorable aux bas revenus, en particulier lorsque ceux-ci sont combinés avec une entrée précoce sur le marché du travail et un bas revenu moyen durant la vie de travail.
8. Assurance des accidents du travail (SAT) : la SAT doit être publique. Les bénéfices, traitements et réhabilitations doivent être publics et la gestion doit en être paritaire.
9. Combat de l’évasion fiscale : la CUT demande la réalisation d’un audit dans les comptes des retraites et l’introduction de mécanismes légaux qui combattent l’évasion fiscale.
10. Évaluation institutionnelle : pour qu’existe une connaissance pratique minimum de l’actualité de la sécurité [sociale] il est nécessaire d’insérer les contenus y afférents dans le système scolaire général.
11. Alternatives de financement : maintenir la contribution sur les fiches de paye, les concours et les jeux de hasard, introduire une taxe sur les factures réglées en espèces, les héritages, les grandes fortunes, les grandes propriétés rurales et la vente des produits importés superflus, augmenter la contribution des entreprises qui remplacent les postes de travail par des mécanismes automatisés.
12. Fiscalisation et contrôle : augmenter le nombre d’inspecteurs fiscaux, de retraites, du travail, des finances et d’avocats de l’INSS [Institut national de sécurité sociale] - recrutés par concours public - et créer des règlements appropriés ainsi qu’unifier le cadastre et le recouvrement des débits.
13. Dégrèvements fiscaux : apurer les cas où les dégrèvements fiscaux bénéficient aux employeurs et aux entités philanthropiques et créer une compensation fiscale au profit du Trésor pour les dégrèvements fiscaux.
14. Efficacité juridique : création et structuration de juridictions spécialisées pour la sécurité sociale et les questions fiscales.
15. Intervention internationale : refus absolu des diktats du FMI et de la Banque mondiale sur la réduction des droits de retraites en lien avec les accords de coopération pour l’obtention des crédits.
16. Perfectionnement : formation permanente sur les questions de la prévoyance, sur leurs droits et la gestion, pour les travailleurs du Régime général de retraites (RGPS), des fonds de pension complémentaires et des Instituts de la fonction publique.
17. Préservation de la valeur des montants [des retraites et pensions] : réajustement des pensions et retraites actuelles garantissant leur pouvoir d’achat sur la base de leur montant d’origine, introduction d’un système de rattrapage pour les retraites et les pensions les plus basses et établissement d’une politique spécifique de réajustement.
18. Traitement des ruraux : élargissement des droits de retraite aux travailleurs ruraux, qu’ils soient salariés ou affiliés au régime de l’Agriculture familiale, combinant un régime contributif spécial avec des ressources provenant du budget de l’Union.
19. Prévoyance inclusive : création d’une législation et d’un système de contribution pour faire bénéficier de la sécurité sociale les 40 millions de travailleurs informels indépendants.

De la même manière qu’elle a combattu la flexibilisation des droits de la CLT et le « coefficient retraites », mesures atteignant brutalement les travailleurs du secteur privé, la CUT fera tout pour obtenir la modification des points qu’elle juge négatifs dans le projet gouvernemental. Nous allons mobiliser nos syndicats, faire pression sur les députés, présenter des amendements, participer à des assemblées et des manifestations publiques et utiliser tous les instruments qui font partie de notre histoire. La CUT convoquera et participera massivement à la manifestation convoquée pour le 11 juin à Brasilia.


Notes
1. CLT (Consolidação das Leis do Trabalho) est un ensemble de modifications législatives remettant en cause la législation du travail, impulsé par le gouvernement précédent (de Fernando Henrique Cardoso).
2. « Fator previdenciário », un coefficient utilisé pour calculer le montant de la retraite, en le réduisant. Lors de l’adoption de ce coefficient le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso avait prétendu que les retraites ainsi réduites correspondraient mieux aux contributions versées durant la vie active…
3. « Regra de transição » (règle transitoire) est une adaptation particulière des modifications de la loi sur les retraites, concernant les salariés disposant d’un emploi au moment de l’adoption de ces modifications, qui ne seront pas entièrement soumis aux nouvelles dispositions. Selon cette règle l’âge de départ à la retraite, pour le personnel concerné, sera un âge intermédiaire entre la règle ancienne et la nouvelle règle.

(tiré d’Inprecor)