Les changements climatiques sont aujourd’hui au cœur de la crise écologique. C’est sans doute ce phénomène qui symbolise le mieux l’impasse dans laquelle s’enferme le système capitaliste et productiviste. Phénomène planétaire, qui nécessite donc des réponses à une telle échelle, il agit comme un révélateur de l’ampleur de la crise actuelle, des inégalités et de la responsabilité des pays riches, de leurs industries, de leurs modes de transports ou de leur agriculture.
Pas une semaine ne passe sans qu’une nouvelle étude ne vienne confirmer la responsabilité des activités humaines dans le changement climatique en cours. La température actuelle est la plus haute depuis 12 000 ans, elle est juste inférieure de un degré centigrade à la température la plus haute enregistrée depuis un million d’années. Et l’augmentation de la température est prévue entre 1,4 et 5,8 °C pour la fin du siècle.
Cela dit, les prémisses des catastrophes à venir sont déjà là. Le cyclone Katrina, outre le traitement inégalitaire face à la catastrophe qu’il a révélé, a mis en lumière d’une part l’augmentation de l’intensité et de la durée des cyclones, qu’on peut corréler à la hausse de la température de l’Atlantique nord et, d’autre part, la façon dont la destruction des écosystèmes fragilise les protections naturelles contre les ouragans. Les réfugiés climatiques se multiplient : en Polynésie, plusieurs îles sont menacées de disparition du fait des inondations de plus en plus fréquentes. Les déplacements forcés de populations sont estimés à 150 millions d’ici 2050. Déjà, certains Etats (Australie, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande...) se préparent à refouler ces réfugiés.
Si le consensus scientifique est à peu près établi quant aux risques à venir, il n’en va pas de même pour les solutions à apporter. Rien d’étonnant quand on observe à quel point le capitalisme, depuis ses origines, repose sur l’usage massif d’énergies fossiles, le charbon d’abord, puis le pétrole. Remettre radicalement en cause cet usage des énergies fossiles, c’est remettre en cause le fonctionnement du capitalisme. C’est pourquoi les mesures négociées au niveau international par la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (1992), puis par le protocole de Kyoto sont au mieux insuffisantes, au pire perverses. L’engagement a été pris par les signataires de Kyoto, mais pas les Etats-Unis, de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % par rapport à 1990. Mais cet engagement est fortement assoupli par les mécanismes de flexibilité qui permettent aux pays les plus émetteurs d’acheter des quotas d’émissions à ceux qui émettent moins que ce à quoi ils ont droit.
La période d’engagement de Kyoto se termine en 2012, les négociations de la conférence de Nairobi, qui débute le 6 novembre, doivent définir les objectifs de réduction des pays industrialisés après 2012. Mais nul de remet en cause les tours de passe-passe néolibéraux qui, plutôt que d’agir vraiment pour limiter les changements climatiques, sont en train de constituer un marché du carbone qui profitera à quelques entreprises. Il y a pourtant des aspects positifs dans le protocole de Kyoto : objectifs de réduction chiffrés, échéances précises, report sur la période suivante en cas d’objectif non atteint, recours limité aux puits de carbone, prise en compte des différences entre pays industrialisés et ceux qui ne le sont pas... Il faut défendre ces objectifs contre toutes les pressions néolibérales, mais, au-delà, il faut opposer une stratégie alternative qui batte en brèche le dogme selon lequel la consommation énergétique doit nécessairement augmenter dans tous les pays.
La réduction massive des émissions doit être la dimension centrale de cette stratégie, en favorisant la sobriété et l’efficacité énergétiques et le remplacement des énergies fossiles par des énergies propres. Cela implique de mettre en place des normes contraignantes sur le bâtiment (un tiers de la consommation d’énergie mondiale), l’industrie (20 % des émissions françaises), l’agriculture (19,5 %) ou les transports. Les solutions technologiques n’y suffiront pas. C’est bien une réorganisation de l’économie, et donc de la société, qu’on doit viser, réorganisation qui satisfasse les besoins sociaux et environnementaux ; d’autant que lancer un plan d’économies d’énergies et de développement des énergies propres créerait des milliers d’emplois. Cela doit s’accompagner d’une modification profonde des rapports Nord-Sud qui permette aux pays pauvres de se développer, ce qui implique un usage massif d’énergies, mais sans reproduire le type de développement qu’ont connu les pays industrialisés, d’où la nécessité d’un transfert de technologies propres.
Les débats sur les moyens de réduire les changements climatiques doivent sortir des sphères confinées des négociations internationales et des rapports entre grandes puissances. Ils doivent devenir l’enjeu de mobilisations sociales. La journée internationale d’actions contre le changement climatique, le 4 novembre, doit être un premier pas vers de tels mouvements. Au delà, cette question doit être au cœur de nos propositions pour une alternative au libéralisme.
Vincent Gay
Source : Rouge, 2 novembre 2006, hebdomadaire de la LCR, France