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UNE NOUVELLE SITUATION MONDIALE

(Projet de résolution pour le Congrès Mondial, février 2003)

mercredi 6 novembre 2002

I. Une nouvelle phase du mouvement ouvrier et social

1. La nouvelle phase

La fin des années 90 constitue un tournant dans la situation politique mondiale. Une nouvelle phase politique s’ouvre qui met à l’ordre du jour un renouveau radical de l’activité, du programme, de la stratégie et de l’organisation du mouvement ouvrier et social. Ce tournant est la résultante de trois facteurs :

 le développement des contradictions internes au nouveau mode d’accumulation capitaliste globalisé ;

 les résistances sociales à l’offensive des classes dominantes ;

 l’émergence d’une nouvelle vague de radicalisation, au travers des mouvements anti-globalisation capitaliste, particulièrement dans une série de secteurs de la jeunesse.

Ces facteurs n’annulent pas les tendances lourdes inaugurées, dans la moitié des années 1970, par la défaite des montées (semi-)révolutionnaires et le retournement de l’onde longue expansive du capitalisme : ces deux éléments ont permis l’offensive néolibérale des années 80, une nouvelle restructuration du monde par les classes dominantes, dite " globalisation capitaliste ", une nouvelle dégradation du rapport de forces de la classe ouvrière, et, suite à l’écroulement de la bureaucratie stalinienne et la restauration du capitalisme à l’Est, une crise sans précédent de la conscience de classe, de l’organisation du mouvement ouvrier et des deux courants qui ont dominé celui-ci tout au long du XXe siècle, la social-démocratie et le stalinisme.

Mais la situation actuelle est déjà nettement différente de celle du début des années 90. La relance du mouvement ouvrier et social est inégale, elle prend des formes différentes selon les situations politiques nationales, mais au-delà de telle ou telle conjoncture, il y a, incontestablement, un changement de climat social, politique et idéologique. Cette relance favorise l’émergence de courants anticapitalistes/anti-impérialistes, tant sur le plan social et syndical que politique.

2. Une phase transitoire

La situation internationale a connu un changement notable. Les traits actuels de la période s’inscrivent dans les contradictions d’une situation transitoire entre un système avec un rôle important de l’État, la collaboration de classe institutionnalisée, un mouvement ouvrier dominé par les réformistes sociaux-démocrates ou d’origine stalinienne et un nouveau capitalisme, de nouvelles institutions politiques, un nouveau cycle organique du mouvement ouvrier et de nouveaux mouvements sociaux. Cette situation est transitoire et caractérisée par :

 la volonté hégémonique renforcée de l’impérialisme américain, manifestée par une succession de guerres et d’interventions visant à contrôler la planète ;

 la poursuite de l’offensive des classes dominantes, mais qui bute désormais sur des obstacles économiques et sociaux importants ;

 l’énorme croissance de la force économique et militaire de la bourgeoisie qui se combine avec une crise des formes de sa domination politique-institutionnelle, notamment sur le plan international ;

 une évolution contradictoire des rapports de forces : la remise en cause d’acquis sociaux résultant d’une déréglementation combinée à des résistances et des recompositions de luttes et de foyers de combativité ;

 une transformation social-libérale des secteurs dominants du mouvement ouvrier et social traditionnel qui affaiblit globalement ses positions, mais dont la crise historique dégage les premiers espaces pour de nouvelles expériences en dehors du contrôle des appareils sociaux-démocrates et d’origine stalinienne ;

 un nouveau radicalisme dans les revendications, les formes de lutte et les mouvements, mais des difficultés dans la formation d’une conscience anticapitaliste et dans la construction d’une alternative politique.

3. La situation du prolétariat mondial

Dans les anciens États bureaucratiques, le souci principal des masses ouvrières c’est la lutte pour leur survie matérielle quotidienne, alors que le mouvement ouvrier reste embryonnaire et fragmenté. Dans les pays de la périphérie, des noyaux productifs relativement stables où une classe ouvrière sans droits ni lois sociales se fait surexploiter, sont entourés de masses populaires qui vivent dans une pauvreté extrême sans précédent, suite à la destruction des rapports sociaux. Dans les pays impérialistes, et singulièrement dans l’UE, le capitalisme a réussi pour la première fois depuis un demi-siècle à (re)créer une insécurité sociale quasi-générale quant à l’emploi, le salaire et le revenu de remplacement (chômage, maladie, invalidité), ainsi qu’à l’accès à un enseignement de qualité et aux soins de santé. Les travailleurs qui ont un emploi, subissent la remise en cause des acquis sociaux, des droits du travail et des travailleurs, la généralisation de la flexibilité, de la précarité, l’austérité salariale, l’individualisation des processus du travail et des salaires, l’affaiblissement du nombre d’adhérents du mouvement syndical dans les métropoles impérialistes, des millions de travailleurs ont enregistré ces reculs partiels.

Mais plus globalement, les contradictions de la phase actuelle du système capitaliste qui peut combiner baisse du chômage et précarisation de la force de travail, débouchent sur des luttes et mouvements partiels pour la défense des acquis sociaux, le refus des licenciements, l’augmentation des salaires, des allocations sociales et des pensions.

Enfin - phénomène significatif - il y a l’arrivée dans le processus de production de millions de jeunes qui, d’un côté, n’ont pas la mémoire des luttes et de l’histoire du mouvement ouvrier mais qui, d’un autre coté, " ne portent pas sur les épaules le poids des défaites passées " et sont disponibles pour la lutte et l’organisation, selon leurs propres méthodes.

Dans ce cadre, l’hypothèque du stalinisme est en voie de disparition sans déjà relégitimer le projet socialiste. En même temps, des milliers de militants et de cadres qui n’ont pas connu de défaites historiques restent, dans les secteurs associatifs ou syndicaux, disponibles pour relancer ou créer les conditions d’une recomposition du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux sur de nouveaux axes.

4. La nouvelle radicalisation de la jeunesse

Une nouvelle vague de radicalisation et de politisation de la jeunesse a pris son envol au travers des mouvements anti-globalisation. Elle constitue un élément clé de la nouvelle situation politique et idéologique et du renouveau du mouvement ouvrier et révolutionnaire.

La mobilisation spectaculaire à Seattle (novembre 1999) et la confrontation sans précédent avec le G8 à Gênes (juillet 2001) ont marqué un tournant dans les résistances contre la mondialisation néolibérale. Sa percée, à résonance internationale, est le résultat d’une série de mobilisations, moins visibles dans le climat de régression idéologique et de résignation militante des années 90, mais qui ont créé un nouvel internationalisme et de nouveaux mouvements, en se confrontant systématiquement avec les sommets des institutions internationales de l’impérialisme (Banque Mondiale, FMI, G7, UE, ) dans la rue, lors des contre-sommets et par une ébauche de regroupements internationaux, dont le Forum Social Mondial de Porto Alegre (janvier 2002) est l’apogée actuelle.

Ce mouvement influence dès aujourd’hui des cadres du mouvement ouvrier et social sur le plan national, en offrant un début d’alternative quant à l’analyse de la situation mondiale, aux revendications, à la perspective d’une " autre " société. Elle est surtout la force motrice derrière la nouvelle radicalisation et politisation de la jeunesse. Celle-ci n’a jamais cessé de s’engager et de " s’occuper de politique " dans le sens le plus large, à travers l’antiracisme/antifascisme, l’écologie, le tiers-mondisme, l’humanitarisme et les grandes questions éthiques de l’humanité. Mais, elle était fortement marquée par le rejet du politique en général, ne s’identifiait plus à la classe ouvrière et au mouvement ouvrier, tournait le dos au marxisme et aux organisations révolutionnaires.

La jeunesse qui se radicalise aujourd’hui, n’exprime pas seulement ses propres besoins et aspirations contre une société injuste, elle manifeste aussi son engagement face à cette société pour la changer. D’où un bond en avant sur le plan de la conscience (anticapitaliste), des formes de lutte (plus radicales), de revendications (plus globales) et d’engagement (plus militant). Elle se trouve à la pointe de la nouvelle phase.

5. L’évolution " néolibérale " de la social-démocratie et le populisme

La nouvelle phase politique est une mise à l’épreuve des projets et programmes de la social-démocratie. Elle peut octroyer des marges de manoeuvres aux équipes gouvernementales social-démocrates dans leurs jeux respectifs avec les partis de la droite traditionnelle, mais elle confirme la profondeur du processus de social-libéralisation des partis socialistes. Les PS ont renoncé à toute politique keynésienne ou néo-keynésienne. Sous la crainte de tout affrontement sérieux avec le patronat et les classes dominantes et dans le cadre d’un profond changement politico-idéologique, les directions social-démocrates ont épousé la politique néolibérale en y ajoutant un accompagnement social réduit. Au-delà, il s’agit d’une profonde révision politico-idéologique de ces partis.

En Europe, cela a pris un relief particulier par leur participation gouvernementale, simultanément et pendant plusieurs années, dans 13 des 15 pays de l’UE. A quelques nuances près, ils se sont inscrits dans le cadre des choix stratégiques des classes dominantes, comme l’ont confirmé leurs orientations socio-économiques et leur participation sans réserve aux trois guerres que l’impérialisme a déclenchées ces 10 dernières années (Iraq, Yougoslavie, Afghanistan).

Au-delà des spécificités évidentes, des considérations analogues s’imposent à propos des partis de gauche ou de centre-gauche (populistes anti-impérialistes) dans des pays d’Amérique Latine. Par ailleurs, les partis de provenance stalinienne, dont l’approche stratégique et la pratique dans les mouvements de masse ne se différencient le plus souvent aucunement de celle des sociaux-démocrates, sont eux aussi entrés dans une crise existentielle.

Vingt ans d’une politique d’agression antisociale ont profondément entamé les liens de ces organisations avec leur base sociale. Le résultat c’est un recul sans précédent de leur prestige, leur contrôle social et leur encadrement organisationnel du prolétariat et de la jeunesse progressiste. D’où le dégagement d’un espace politique, social et électoral où des courants, mouvements et partis radicaux/anticapitalistes peuvent s’affirmer, acquérir une large audience dans la société et devenir un facteur important dans le mouvement ouvrier et social.

6. La relance du mouvement de masse et la gauche anticapitaliste.

Sur cet arrière-fond, une nouvelle situation politique-idéologique est née, à la fin des années 90. Elle ne sort pas du néant. Elle est le résultat d’une accumulation de mécontentements, de prises de conscience, d’une relance de la solidarité et de luttes importantes, mais qui toutes s’étaient terminées en impasse, échec ou défaite : aux États-Unis, la longue grève des pilotes et celle de l’UPS ; en Europe, des grèves générales -nationales ou sectorielles-, en Grande-Bretagne (mineurs 1984-85), au Danemark (grève générale 1986), en Belgique (1986, puis les services publics en 1987, grève générale en 1993, grève larvée du secteur enseignant étalée sur deux ans), dans l’État espagnol (grèves générales au début des années 90) et en l’Italie (1992 et 1994) ; en Amérique Latine, l’Équateur, le Brésil et la Bolivie ; et en Asie, la Corée du Sud et l’Indonésie ont connu des mouvements de masse et des luttes ouvrières importantes.

Le mouvement gréviste contre le gouvernement Juppé en France (hiver 1995) annonce le tournant. Avec la " Marche européenne des chômeurs, précaires et exclus " vers Amsterdam (juin 1997), il a commencé à changer l’état d’esprit dans les milieux militants en France et en Europe. D’autres initiatives directes, déjà en cours, telle la campagne pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde, certains mouvements paysans très combatifs (en Inde, Brésil, ...) vont s’y joindre. La confrontation à Seattle, en novembre 1999, ouvre la voie vers " le mouvement contre la globalisation " qui se rassemble à Porto Alegre, au premier Forum Social Mondial, animé d’un esprit offensif, internationaliste et potentiellement anticapitaliste, porté par une nouvelle génération. Cet esprit d’internationalisme radical était également exprimé par la Marche mondiale de femmes en 2000, dont la préparation avait commencé bien avant Seattle.

A Gênes, pour la première fois, ce mouvement réussit à fusionner avec les secteurs combatifs du mouvement syndical de masse lors d’une confrontation directe avec le gouvernement et sa politique néolibérale. Puis il s’est encore élargi et renforcé. Après le 11 septembre, il a pu, sous des formes particulières selon les pays, se convertir rapidement en un mouvement anti-guerre avec des centaines de milliers de manifestants sur toute la planète contre la guerre impérialiste en Afghanistan. Il a encore été un des supports politique et organisationnel protagoniste de la solidarité avec le peuple palestinien, écrasé par l’État d’Israël.

Une nouvelle conjoncture socio-politique se développe dans certains pays, comme l’Italie et l’Espagne, où "le mouvement des mouvements " a stimulé directement les luttes du monde du travail. Il a créé un nouveau cadre politique, une volonté offensive, une nouvelle perspective et l’embryon d’une alternative aux luttes sociales défensives qui n’avaient jamais cessé, tout au long de la période antérieure. Il reste pour le moment le protagoniste de la confrontation avec le capitalisme. Mais le mouvement syndical " traditionnel " - organisationnellement affaibli et socialement isolé - continue à organiser des millions de travailleurs et travailleuses, et des centaines de milliers de militants. Les grèves générales et les gigantesques mobilisations citoyennes en Italie, Espagne et Grèce, le redémarrage des grèves sectorielles en Allemagne, mettent également sur le devant de la scène les salarié-e-s à l’unisson avec d’autres couches sociales et des mouvements sociaux.

En Argentine, le processus révolutionnaire a surgi directement de la crise d’effondrement de pans entiers de la vie économique, suite à l’application dans la durée des recettes néolibérales. Dans ce cas, la bataille pour la survie a poussé la classe ouvrière et les pauvres (ainsi que les classes moyennes) dans la lutte et vers l’auto-organisation. Cette mobilisation contre la brutale politique néolibérale se heurte directement à la globalisation capitaliste par le biais des entreprises transnationales étrangères, du FMI et de l’interventionnisme constant de l’impérialisme américain. L’Argentinazo est le détonateur en Amérique Latine où l’essor du mouvement de masse affecte plusieurs pays (Venezuela, Uruguay, Paraguay, Pérou, ...).

La relance et la reconstruction du mouvement ouvrier et social internationale relèvent de la " lutte des classes ", du développement des luttes ouvrières, mais aussi du "mouvement contre la globalisation ", d’initiatives directes des citoyens, ainsi que des organisations anti-impérialistes, anticapitalistes et révolutionnaires en leur sein. Sans cette force sociale majoritaire dans le pays qu’est la classe salariée, sans ses luttes de masse pour ses propres revendications et aspirations, sans son auto-organisation croissante, on n’arrêtera ni la globalisation marchande, ni la politique néolibérale, ni la politique de guerre.

Cette remontée spectaculaire de la confrontation sociale et politique ouvre de nouvelles perspectives pour une gauche anticapitaliste, tant sur le plan social que politique-partidaire.

II. La guerre et la nouvelle contre-offensive impérialiste

1. L’attaque d’Al-Qaida et " la guerre contre le terrorisme "

(1) Suite à l’attaque terroriste du 11 septembre 2001, l’impérialisme américain a lancé une vaste contre-offensive qui marquera fortement la situation mondiale dans les années à venir. Au-delà de ce choc apocalyptique, sa portée véritable apparaîtra au fur et à mesure que " la longue guerre contre le terrorisme international " se heurtera aux multiples obstacles, contradictions, résistances et oppositions qu’elle trouvera sur son chemin.

(2) L’agression américaine, au départ un acte de vengeance militaire contre tout un peuple au nom de la punition de sa classe dirigeante, prend place dans la série de guerres impérialistes depuis 1991 (contre les peuples irakien et serbe), confirmant sa volonté hégémonique et interventionniste dans l’après-guerre froide. En l’occurrence, elle visait à éliminer le courant fondamentaliste du type Ben Laden, même si celui-ci défend le capitalisme, en étant lié à des fractions bourgeoises et à des secteurs de différents appareils d’État réactionnaires, tels la monarchie saoudienne et les dictatures pakistanaise et soudanaise. Le discours de ce courant politique est fanatiquement religieux, anti-occidental plutôt qu’anti-impérialiste, et antisémite plutôt qu’antisioniste. Fondamentalement opposé aux droits démocratiques fondamentaux et à l’égalité des femmes, il veut instaurer un régime théocratique ultra-réactionnaire. Le pétrole a toujours été une motivation essentielle de la politique impérialiste dans cette partie du monde.

2. Les buts de guerre américains

(1) Cette nouvelle guerre a dévoilé rapidement son véritable objectif : installer un autre gouvernement en Afghanistan tout aussi fondamentaliste et réactionnaire mais qui suivra docilement les priorités américaines. Ainsi l’impérialisme américain atteint un objectif, poursuivi depuis un quart de siècle : la domination de toute la région à partir d’une plate-forme afghane-pakistanaise élargie afin de réaliser ses objectifs géopolitiques (face à la Russie et la Chine) et géo-économiques (les ressources minières de l’Asie orientale).

(2) Alors que la situation politique en Afghanistan n’est pas stabilisée (persistance de l’organisation Al-Qaida, affrontements au sein de la coalition afghane au pouvoir), le gouvernement américain poursuit son projet de guerre ininterrompue au nom de " l’éradication du terrorisme ". Ses troupes sont désormais engagées, du côté du gouvernement philippin, qui peine à prendre le contrôle des territoires sous direction de l’opposition. En Palestine, le gouvernement Sharon a reçu le soutien de l’administration Bush pour mener une véritable guerre contre le peuple palestinien afin de détruire le début d’un appareil d’État palestinien. Loin de stabiliser le Moyen-Orient, c’est une escalade de violence, d’attentats, voire de guerres "locales" qui pourraient déboucher sur l’usage d’armes nucléaires et une guerre totale.

(3) Dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme global, Bush essaye d’imposer à la planète un climat de tension permanente, en cultivant un rapport conflictuel avec trois pays : la Corée du Nord, l’Iran et l’Iraq. L’objectif concret avoué est une nouvelle guerre contre l’Iraq, nouvelle étape pour s’imposer militairement dans la région et par une coalition ad hoc, réorganiser une structure mondiale sous sa domination.

3. Nouvelles contradictions intérieures de l’impérialisme américain

(1) Un aspect totalement neuf, c’est que cette guerre a frappé les États-Unis sur leur propre territoire, alors qu’ils ont pu, depuis deux siècles, mener des guerres dans le monde entier sans en subir les contrecoups chez eux. Cet événement extraordinaire constitue une humiliation pour la plus grande superpuissance de l’Histoire dont le territoire ne constitue plus un sanctuaire. Cela façonnera une conscience aiguë d’insécurité et de vulnérabilité et pèsera à moyen et à plus long terme sur tous les rapports sociaux à l’intérieur, notamment entre la classe dominante et les classes exploitées, et sur la conscience très chauvine-impérialiste (" the biggest in the world ") dans les secteurs majoritaires de la classe salariée.

Dans l’immédiat, cette guerre a créé l’union sacrée autour du président Bush. Celui-ci, mal élu (à l’intérieur) et déconsidéré (à l’extérieur) au départ, a réussi un retournement spectaculaire, créé un leadership énergique et lancé une puissante contre-offensive sur le plan intérieur et international, affirmant une suprématie militaire sans égal dont l’énorme croissance du budget militaire est le levier et le symbole.

(2) En conséquence, le mouvement social contre la globalisation (" Global Justice mouvement "), aux États-Unis, a dû reculer immédiatement. Il s’est affaibli par le retrait du mouvement syndical (AFL-CIO), et par l’abandon de sa manifestation de Washington - planifiée pour fin septembre 2001 - comme la plus grande et la plus offensive depuis Seattle. Mais le mouvement n’a pas disparu. Grâce à la solidité de ses militants, il a su se re-mobiliser rapidement et constituer un mouvement anti-guerre qui, pour le moment, est très minoritaire tout en étant présent dans l’ensemble du pays.

Mais l’alliance entre le mouvement contre la globalisation capitaliste et le mouvement syndical - qui avait basculé dans l’opposition à cause du " fast track " (le droit du président de négocier librement les libéralisations liées à la FTAA) et des attaques contre le secteur public - s’est brisée sur le climat chauvin suite au 11 septembre. Sa reconduction autour de l’axe qui combine ces enjeux sociaux avec des considérations politiques générales (" Jobs with Justice "), dépendra du recul du sentiment patriotique.

" L’union sacrée " sera mise à l’épreuve par la politique économique du gouvernement Bush brutalement pro-patronale, la récession et les licenciements massifs qui continuent, ainsi que les faillites spectaculaires des géants économiques, leurs conséquences antisociales -pour l’emploi et les retraites/fonds de pension-, le banditisme financier des patrons, et les liens corrupteurs avec l’establishment politique. Un " ensemble économique " qui sème désormais le doute dans l’opinion publique quant à la force du système et la probité morale de la classe dominante.

4. Les conséquences internationales de l’offensive américaine

Les conséquences de cette nouvelle politique se sont fait sentir rapidement, en renforçant immédiatement toutes les tendances réactionnaires déjà à l’œuvre :

(1) Le climat de volatilité et d’insécurité mondialisée s’est brusquement renforcé, amplifié par une médiatisation insistante ; cela a favorisé le renforcement et l’interventionnisme accru des appareils d’État répressifs et coercitifs (armée, police, législation, école, ). Ce qui à son tour favorise le développement de courants chauvins, réactionnaires et xénophobes, visant en particulier les immigrés. Cette évolution affecte toute la planète, pays par pays. En particulier, des projets des classes dominantes restés bloqués sont relancés et parviennent à s’imposer (Cf. l’encadrement militaire des États-Unis pour l’Amérique Latine, réactivation du plan Colombie, la percée cette fois-ci des normes policières et juridiques " antiterroristes " dans l’UE).

(2) La guerre comme moyen politique est banalisée et désormais réintégrée dans les stratégies des États ; le droit, réservé aux seuls pays impérialistes, à " l’ingérence humanitaire " dans les affaires d’autres États est désormais validé comme un concept de " bonne politique " (" gouvernance ") ; ce droit s’est élargi, à la discrétion de l’impérialisme (américain, en premier lieu), à d’autres États, au nom de la " lutte contre le terrorisme " (Russie dans le Caucase ; Israël en Palestine, et, en Afrique subsaharienne, l’Ouganda, le Rwanda et l’Angola dans les guerres du Congo). Il en résulte la multiplication des foyers de tension et de conflits, augmentant le chaos, la misère et la barbarie.

(3) Les dépenses militaires, qui s’étaient stabilisées pendant les quelques années suivant la fin de "la guerre froide", ont repris leur envol depuis 1999. La militarisation massive des États-Unis, contenue dans le budget 2002, relance une militarisation qu’aucun autre pays n’est à même d’imiter ou de suivre. La logique politique de cette nouvelle course aux armements est différente de celle de " la guerre froide ". Il ne s’agit plus de se préparer à une guerre nucléaire avec l’URSS, au nom de"l’équilibre de la terreur ", mais de déclencher des guerres effectives pour imposer leur suprématie politique incontestée (avec tous les avantages sur le plan économique et monétaire). La re-formulation en cours d’une stratégie politique mondiale exige une redéfintion des priorités militaires, eu égard aux moyens financiers disponibles : régner dans l’espace qui sert aussi à encadrer militairement la planète ; protection " totale " du " home land " (territoire national) ; capacité de mener plusieurs guerres d’envergure en même temps (notamment en Asie orientale) ; lancement et maîtrise des guerres " asymétriques " (type Afghanistan), interventions militaires ponctuelles (Amérique latine ; Balkans). Cette relance aggravée de la militarisation exerce une très forte pression sur les États du monde, en particulier au sein de l’OTAN. Ce " keynésianisme militaire " états-unien, remarquable par l’ampleur de l’intervention de l’État et la relance de l’endettement public, soutient la demande intérieure et les secteurs stratégiques de l’économie américaine qui travaillent aussi massivement pour les exportations.

(4) La lutte internationale " contre le terrorisme " menace les libertés démocratiques, l’activité des organisations populaires et la société civile en général. Selon la situation locale, il s’agit de réprimer ou d’éliminer physiquement toute dissidence ou opposition, à criminaliser les mouvements de masse, à réduire leur impact politique. La démocratie bourgeoise -dans la mesure et dans les pays où elle existait- comporte désormais la possibilité légale de passer à " l’État d’exception ", en fonction des circonstances. L’objectif stratégique est limpide, car il était annoncé dès avant le 11 septembre : étouffer le mouvement " anti-globalisation " de masse qui conteste, pour la première fois depuis les années 1968, le règne du capitalisme et de l’impérialisme, et signale la renaissance du mouvement organisé des exploité-e-s et des opprimé-e-s à l’échelle internationale.

III. La mondialisation, nouvelle étape du capitalisme international, sous hégémonie américaine

1. La marchandisation du monde

La mondialisation détermine la configuration actuelle du capitalisme à l’échelle planétaire. Elle se traduit par une extension radicale du marché mondial, une libre circulation sans frein des capitaux et des marchandises, ainsi qu’un processus impressionnant de concentration du Capital. Elle tend à unifier le monde en un gigantesque marché sans entraves.

2. Logique capitaliste et lutte de classes

Tendance inhérente au capitalisme, cette nouvelle étape de l’internationalisation du Capital est étroitement imbriquée à la conjoncture économique et sociale des années 70 et 80. La faible croissance et la récession ont provoqué la réponse néolibérale mise en oeuvre dès la fin des années 70 sous Thatcher et Reagan et rapidement étendue à l’ensemble des pays industrialisés. Cette offensive de grande ampleur contre la classe ouvrière et ses acquis sociaux des 50, voire des 100 dernières années, débouche sur une augmentation drastique de l’exploitation des classes ouvrières des métropoles impérialistes et une augmentation de la masse et du taux des profit. Dans les pays de la périphérie (" le Sud "), la loi impérialiste c’est de les déposséder du droit à imposer quelque obligation que ce soit aux mouvements des marchandises, mais aussi des capitaux. Les pays de la périphérie sont mis en concurrence afin d’attirer les capitaux par le bas niveau des salaires, une absence presque totale de fiscalité, de protection sociale ou de législation sur l’environnement.

Cette nouvelle étape de la mondialisation capitaliste n’est pas le fruit d’un pur déterminisme économique ou technologique. Elle est le résultat d’une lutte de classes acharnée de la part des classes dominantes et leurs États contre le prolétariat mondial.

3. Le règne des sociétés transnationales, noyau central de l’impérialisme

Elles mènent une guerre ouverte contre toute velléité de contrôler leur action. Cette nouvelle structuration de l’économie mondiale leur permet de drainer des surprofits, de garantir des débouchés à leur produits, de faire pression sur les prix des matières premières, et de préserver leur monopole technologique. Elle est le résultat d’un mouvement sans précédent de concentration par fusion ou acquisition n’épargnant aucun secteur ni aucune région du globe. Elle accroît la puissance des grands groupes du Nord.

Ce nouveau statut leur confère une puissance accrue vis-à-vis des gouvernements et des États dans lesquels s’exerce leur activité. Ceux-ci ont accepté d’abandonner les contrôles étatiques des opérations financières de contrôle des changes et des mouvements de capitaux. En même temps les grands trusts du monde s’appuient sur la puissance de leurs États pour faire prévaloir leurs intérêts dans les négociations internationales, la diplomatie et parfois, la présence militaire. Disposant du marché mondial comme arène, ces grands oligopoles industriels ou financiers jouissent d’une liberté d’action et de décision sans précédent.

4. Le support des institutions internationales inter-étatiques

La mondialisation est également commerciale. Forum informel visant à la levée progressive des barrières au libre échange, le GATT s’est transformé en Organisation Mondiale du Commerce (OMC) le 1 janvier 1995. Dans un contexte de forte croissance des échanges internationaux, cet organisme, ni élu ni contrôlé, arbitre désormais le commerce mondial à l’aune de critères strictement libéraux où pays riches et pays pauvres se retrouvent sur un pied d’égalité. L’échec de la Conférence de l’OMC à Seattle en novembre 1999 n’est que provisoire. Déjà, un nouveau cycle est lancé qui vise à faire basculer dans le secteur concurrentiel des activités comme la santé ou l’éducation, avec libéralisation totale de l’investissement privé. Provisoirement écartées, elles ne tarderont pas cependant à faire l’objet d’une nouvelle offensive. Malgré les discours sur le libre-échange, les pays du Tiers-Monde se voient opposer des barrières à l’entrée de leurs produits sur les marchés des pays les plus riches, alors que ceux-ci font sauter, sous pression de la dette et du FMI, les obstacles à l’invasion de leurs produits industriels et agricoles ; le résultat en est l’éviction des petits producteurs des pays en développement concurrencés par l’agro-industrie du Nord et la destruction de leur capacité d’autosuffisance alimentaire.

5. Le poids de la financiarisation du capitalisme

Le poids actuel des " marchés financiers " résulte des mesures de déréglementation généralisée prises au cours des années 80 en conjonction avec le niveau alors très élevé des taux d’intérêt. Les institutions financières, à côté des banques traditionnelles, se sont multipliées et diversifiées, disposant pour certaines, telles les fonds de pension anglo-saxons, d’une puissance financière considérable, qui a été un des moteurs des politiques d’investissement. La force de frappe ainsi accumulée permet de peser sur les décisions des firmes ou sur les politiques économiques publiques, dans la mesure où les États (pour ce qui est de la dette publique) et les entreprises lèvent des fonds sur le marché financier. Cette structuration a donc augmenté l’autonomie relative de la sphère financière. Elle n’en reste pas moins dépendante du secteur productif. D’abord parce qu’elle ne fait que recycler une part de la plus-value extraite au niveau de la sphère productive, part énormément accrue du fait de l’accentuation de la répartition inégalitaire des revenus entre les classes ; ensuite parce que sa liberté de manoeuvre résulte d’une volonté politique et d’un choix délibéré.

6. Un système fortement hiérarchisé

La mondialisation implique une avancée radicale dans l’internationalisation productive placée sous le commandement des grandes multinationales, ce qui provoque une spécialisation et une hiérarchie accrues. Elle renforce l’accaparement des ressources de la périphérie par le centre. Cette restructuration fonctionne aussi, pour le centre, singulièrement aux États-Unis comme un amortisseur de ses cycles dépressifs et comme facteur d’allongement de ses phases de prospérité. Elle facilite stratégiquement la reproduction mondiale du Capital.

Établir une différence entre l’ensemble des pays du centre impérialiste et la périphérie dominée et sous-développée constitue le point de départ pour déterminer l’insertion de chaque région et pays dans le marché mondial, en tenant compte ensuite des situations variables au sein de la périphérie. Le continent latino-américaine se situe à un niveau supérieur à l’Afrique ramenée à un territoire de pillage, mais inférieur à l’Asie de l’Est. Par continent, une hiérarchie analogue se reproduit de pays en pays (ex. les processus d’industrialisation partielle). Ces bouleversements affectent profondément les structures des sociétés, notamment les liens entre les classes dominantes et l’impérialisme, et partant la configuration de la lutte des classes.

7. L’hégémonie américaine : le dollar et la guerre

L’instauration du " nouvel ordre mondial " impérialiste, en particulier sa hiérarchisation globale et rigide, a eu besoin de deux guerres (Iraq, Balkans) et deux interventions militaires (Panama, Haïti) pour se mettre en place. L’initiative en revient à l’impérialisme américain qui a fait valoir non seulement sa puissance économique mais aussi sa suprématie militaire. Artisan principal de la victoire de la " guerre froide ", les États-Unis ont réussi à déclencher la guerre contre l’Iraq. Ayant écarté l’opposition ouverte ou cachée de l’URSS et ses alliés traditionnels, des pays de l’UE (à l’exception de la Grande-Bretagne), et de la grande majorité des pays du Tiers-Monde, ils sont d’autant plus apparus comme la seule superpuissance militaire et politique de la planète. L’UE, incapable de contenir les contradictions devenues explosives aux Balkans, a dû faire appel aux États-Unis. Ceux-ci ont utilisé cette opportunité pour faire la démonstration de leur supériorité en technologie militaire et se sont affirmés comme une puissance européenne avec des visées sur la Russie. Avec la force de leur " nouvelle économie " et du dollar, ce sont les facteurs militaires et culturels (medias, musique, communication) qui ont imposé les États-Unis comme la clé de voûte du capitalisme mondialisé.

IV. Chute de la bureaucratie stalinienne, restauration du capitalisme, intégration dans l’économie mondiale

1. Crise et restauration capitaliste en URSS et en Europe de l’Est

A. La fin des années 1980 marque un tournant historique vers la restauration capitaliste en URSS et en Europe de l’Est qui résulte de causes internes et de facteurs internationaux marqués par l’offensive néolibérale et impérialiste des années 1980.

(1) Ce tournant historique est le résultat à la fois :

 des impasses des diverses tentatives de réformes post-staliniennes prolongeant pendant quelques décennies le règne du parti unique et des rapports de production non capitalistes sans réussir à passer à un mode de croissance intensif. Les contradictions se sont accrues entre les valeurs et aspirations des travailleurs liées à la propriété collective des moyens de production, d’une part, et d’autre part sa gestion par la bureaucratie, sur leur dos. L’absence de démocratie ouvrière à l’échelle de la société a vidé de substance et de cohérence les éventuels droits d’autogestion accordés aux collectifs d’entreprise par un parti/État cherchant à préserver ses privilèges de pouvoir ;

 de l’aggravation de ces contradictions dans le contexte capitaliste international des années 1970-1989 sous pression de l’endettement extérieur en devises fortes de plusieurs pays d’Europe de l’Est et de la course aux armements ;

 de la remise en cause populaire des dictatures bureaucratiques symbolisée par la Chute du Mur de Berlin et la fin du règne du parti unique mais sans que les résistances et aspirations sociales des travailleurs n’aient les moyens de déboucher sur une alternative socialiste cohérente ;

 du basculement de secteurs significatifs de la bureaucratie vers le capitalisme dans les années 1980 pour briser les résistances ouvrières tout en cherchant à consolider leurs privilèges de pouvoir dans ceux de la propriété ;

 de la généralisation des rapports marchands et de la propriété privée des moyens de production, la réapparition du chômage de masse, l’abandon de l’ancienne idéologie dominante légitimant les aspirations socialistes au profit du discours néolibéral, la remise en cause des acquis sociaux qui constituent une défaite cuisante pour les travailleurs de ces pays et du monde entier, permettant l’extension et l’intensification de l’offensive impérialiste entamée à la fin des années 1970.

En même temps, dix ans de restauration capitaliste ont produit des désillusions profondes envers les promesses d’efficacité qui ont accompagné les recettes néolibérales. Mais la combinaison d’une considérable dégradation sociale avec le gain de libertés syndicales et politiques a accru les clivages entre générations et la confusion des consciences. Les formes de solidarité qui avaient pu être associées à la crise du mode de domination stalinien se sont dégradées au profit du redéploiement d’idéologies réactionnaires voire néostaliniennes.

La recomposition d’un mouvement syndical et politique anticapitaliste et démocratique se fraie difficilement son chemin dans un contexte qui est bien plus difficile qu’en Europe occidentale. Elle sera profondément tributaire de l’émergence d’une alternative crédible à (et dans) l’Union européenne et du développement d’un nouvel internationalisme des résistances à la mondialisation capitaliste.

(2) Quelles qu’aient été les variantes des réformes introduites en URSS et en Europe de l’Est depuis les années 1950 jusqu’à la chute du Mur de Berlin, elles ont toutes maintenu une dictature du parti unique et des rapports de production bureaucratiques globalement à l’abri d’une logique de profit capitaliste et d’une discipline de marché.

Après plusieurs décennies de rapprochement des niveaux de vie avec les pays capitalistes développés grâce à une croissance très extensive, les écarts ont commencé à se creuser à partir de la décennie 1970. Les gains sociaux qui se combinaient aux gâchis et à la répression bureaucratiques se sont détériorés, en même temps que les aspirations et besoins des nouvelles générations, ainsi que les promotions sociales verticales, étaient de plus en plus bloqués par le conservatisme bureaucratique.

(a) Mais l’offensive impérialiste des années 1980 a accentué les impasses de la dictature bureaucratique et les écarts de développement entre l’Europe de l’Est et de l’Ouest, creusés par la révolution technologique :

 les pressions de l’ultime phase de guerre froide et de course aux armements au début de l’ère Reagan ont d’autant plus pesé sur l’URSS que sa croissance était stagnante. La priorité aux industries d’armement s’est réalisée au détriment des investissements industriels, de la modernisation des équipements et de la consommation

 l’endettement de plusieurs pays d’Europe de l’Est en devises fortes au cours de la décennie 1970 les a placés sous la pression des politiques d’ajustement structurel du FMI produisant des réactions différenciées des régimes en place, allant de l’austérité radicale et explosive imposée par le dictateur roumain Ceaucescu à la montée des conflits nationaux et sociaux d’une Fédération yougoslave paralysée, en passant par le choix des dirigeants communistes hongrois de vendre leurs meilleures entreprises au capital étranger. L’arrivée au pouvoir de forces de droite dans le cadre des premières élections pluralistes a accentué radicalement l’acceptation par les équipes au pouvoir des programmes de privatisation préconisés par le FMI. L’annulation d’une partie de la dette polonaise et les moyens déployés pour corrompre les porte-parole de Solidarnosc ont accompagné la thérapie de choc imposée en Pologne.

 la construction de l’Europe de Maastricht a relayé les critères du FMI comme accélérateur de la restauration capitaliste en Europe de l’Est.

(b) Si la restauration capitaliste s’est appuyée sur de puissantes institutions internationales et les pressions du marché mondial, elle n’aurait pas pu progresser sans relais internes dans un contexte de très grande confusion des consciences et faiblesse de l’auto-organisation des travailleurs. La conversion dans les années 1980 de la majeure partie de la bureaucratie des partis communistes à un projet de restauration capitaliste, après la répression systématique des forces socialistes démocratiques au cours des décennies antérieures, a permis que l’éclatement du parti unique donne le pouvoir à des forces restaurationnistes quelles que soit leur étiquette.

B. La restauration capitaliste se réalise dans l’ex-URSS et en Europe de l’Est, pays largement industrialisés, dans un contexte sans précédent historique marqué initialement par l’absence de tous les attributs nécessaires au fonctionnement d’un marché capitaliste et manquant de base "organique", même si la grande masse des bureaucrates de l’ancien régime aspire à se transformer en bourgeois ou à se mettre au service du capital étranger.

(1) La soumission des nouveaux pouvoirs aux programmes imposés par le FMI ou l’UE est passé par le démantèlement de toute forme d’autogestion ou de soviets, la transformation des moyens de production en marchandises accompagné par l’extension des fonctions de la monnaie et la généralisation des programmes de privatisations comme "preuve" de rupture avec le passé et critères supposés d’efficacité universelle.

(2) Mais dans ces pays qui ont connu plusieurs décennies d’industrialisation sans domination de rapports monétaires et sous des formes de propriété hybrides appartenant " au peuple tout entier ", les privatisations se sont heurtées à la question : qui peut (légitimement et pratiquement) acheter les entreprises. La privatisation des grandes entreprises structurant parfois des régions entières et assurant dans l’ancien système une distribution en nature de services sociaux et de logements est au coeur des difficultés de la restauration capitaliste. Les risques d’explosion sociale se doublent d’un coût considérable des restructurations face à l’insuffisance de capital et de bourgeoisie nationale susceptibles d’acheter ces entreprises et d’y imposer aux travailleurs une gestion capitaliste.

(3) Face à cette difficulté générale, les dirigeants hongrois ont choisi la vente directe de leurs meilleures entreprises au capital étranger. Mais, en dehors de ce cas, la plupart des nouveaux régimes dans l’ex-URSS comme en Europe de l’Est ont inventé dans la première moitié des années 1990 diverses formes de " privatisations juridiques " sans apport de capital, souvent au bénéfice principal des nouveaux États devenus actionnaires. La distribution à la population de " coupons " donnant droit à l’achat d’actions ou l’accès quasi gratuit des travailleurs à une part substantielle des actions de leur entreprise ont permis d’accélérer les " privatisations " aux yeux des créanciers et institutions occidentales, tout en piégeant les travailleurs dans l’" actionnariat populaire ". La restructuration des grandes entreprises a donc, ce faisant, été ralentie ou " contournée " : les directeurs et pouvoirs d’État préférant le non-paiement des salaires au licenciement frontal et à la mise en faillite des entreprises. La concentration ultérieure des actions aux mains des nouveaux pouvoirs d’État, des banques et oligarchies - sous des formes très opaques - a limité initialement la vente au capital étranger.

(4) Les rapports de troc qui se sont étendus en Russie dans la décennie 1990 en même temps que les privatisations et la " désinflation " imposées par le FMI, ont été une forme de protection précaire contre les nouvelles contraintes marchandes combinées à l’extension réelle des rapports monétaires, de montages financiers mafieux et d’une subordination du régime eltsinien aux préceptes du FMI et aux oligarques. L’absence de restructuration et de financement des entreprises s’est accompagnée d’une fuite massive de capital vers l’étranger et d’une intense spéculation des nouvelles banques privées sur les titres d’État conduisant à la crise de l’été 1998.

(5) Dans l’ensemble des pays candidats à l’UE, les pressions pour l’ouverture de l’économie et notamment des banques au capital étranger se sont intensifiées dans la deuxième partie de la décennie 1990 : plus de 70% des banques sont sous domination étrangère dans plusieurs pays d’Europe centrale, dont la Pologne où le taux de chômage dépasse 17%.

La course à l’adhésion à l’Union européenne, qui reste l’alibi des politiques impopulaires imposées par les dirigeants au pouvoir en Europe centrale, a accéléré la dissociation des régions les plus riches se débarrassant du " fardeau budgétaire " des autres pour tenter de s’insérer plus rapidement dans l’UE.

Les candidats à l’adhésion ont radicalement orienté leur commerce vers l’UE, subissant désormais les aléas de sa croissance et enregistrant des déficits commerciaux assez systématiques. Les critères imposés par l’UE aux pays candidats, en creusant la pauvreté et le chômage, rendent en fait l’adhésion de plus en plus coûteuse - en même temps que le budget européen reste étroitement plafonné. Il s’agira donc sans doute de réduire les ressources données aux pays du Sud et de ne pas élargir aux paysans de l’Est les subsides de la PAC...

Les échecs de l’UE face à la crise de l’ex-Yougoslavie et à ses guerres ont favorisé la redéfinition et l’extension à l’Est de l’OTAN qui risque d’être un substitut à une adhésion réelle à l’UE sans cesse reportée.

(6) L’alternance sans alternative s’est installée derrière le pluralisme politique. Il y a une montée des abstentions, une difficulté à dégager des majorités gouvernementales et la généralisation de scandales financiers affectant tous les partis au pouvoir, quelle que soit leur étiquette. Le retour rapide et général des ex-communistes par les urnes a exprimé la désillusion profonde des populations envers les recettes libérales et l’espoir de politiques plus sociales, vite déçu par la transformation social-libérale de ces partis.

(7) L’arrivée de Poutine au pouvoir dans la foulée de la crise financière de l’été 1998 a ouvert une nouvelle phase marquée par la mise en place d’un pouvoir nationaliste ("patriotique") et d’un État-fort sur plusieurs plans : restauration de la puissance russe (notamment en Tchétchénie), d’un certain ordre moral et économique, mise au pas des médias et des pouvoirs régionaux... Le projet de nouveau Code du travail et les proches conseillers sur lesquels s’appuie Poutine illustrent les objectifs socio-économiques bourgeois de ce régime. La dévaluation du rouble qui a fait suite à la crise de l’été 1998 a permis une reprise fragile de la production nationale et une baisse du troc, mais les besoins de financement de l’industrie demeurent sous pression impérialiste.

Le pouvoir russe cherche a reconquérir des traits de grande puissance dans une négociation avec l’OTAN dont l’extension à l’Est crée une source de tensions. Il a espéré conforter une résistance à la toute-puissance des États-Unis en s’appuyant sur l’UE. Mais le cadre atlantique et néolibéral dans laquelle celle-ci se construit limite ces velléités.

2. La dynamique chinoise

Du point de vue des grandes puissances, la Chine ne cesse de représenter un facteur d’incertitude autant sur le plan géopolitique (questions de Taiwan, du Tibet, de l’Asie centrale, etc. ) que socio-économique. Les groupes dirigeants des États-Unis et de l’Union européenne, et à plus forte raison du Japon, sont conscients qu’en tout cas de figure la Chine visera dans les prochaines décennies à jouer un rôle de grande puissance et à faire valoir son hégémonie en Asie. Elle a tiré, par ailleurs, les leçons de la guerre au Kosovo en poursuivant une modernisation de son potentiel militaire. Toujours est-il que, malgré le maintien du régime de transition bureaucratisé, elle semble offrir plus que la Russie des garanties aux investisseurs étrangers. C’est pourquoi toutes les puissances impérialistes se sont engagées sur le territoire chinois en exploitant les ouvertures croissantes. En fait, dans sa dynamique interne, la Chine a connu, surtout au cours de la dernière décennie, des changements d’une très grande ampleur. La croissance économique s’est poursuivie à des taux assez élevés, en n’étant que très partiellement affectée par la crise asiatique, et le renouveau du pays a progressé. Une couche bourgeoise, liée à l’économie nationale et/ou aux investissements étrangers, a pris corps, le plus souvent en provenance de secteurs de la bureaucratie.

Les deux dernières décénnies du siècle ont enregistré, toutefois, un ralentissement assez sensible de la croissance. Les sources officielles n’ont pas hésité à parler de tendances dépressives alors qu’un pourcentage élevé des grandes entreprises d’État sont restées au rouge malgré les restructurations réalisées ou amorcées. Au-delà des vicissitudes plus conjoncturelles, il devient de plus en plus clair que l’intégration croissante de l’économie chinoise dans l’économie mondiale a pour conséquence que se produisent des phénomènes plus caractéristiques du cycle d’une économie capitaliste que d’une économie de transition bureaucratisée (surproduction et suréquipement sectoriels, excès de concurrence, baisse de prix des produits de consommation, immeubles inoccupés, etc.). Par conséquence, les effets négatifs sur le terrain social se sont aggravés : chômage croissant dans les grandes villes et taux très élevés de la population dite excédentaire dans les campagnes.

Dans les milieux dirigeants des flottements se sont produits sur la question de savoir s’il fallait aller résolument de l’avant dans le parachèvement du cours nouveau ou s’il serait préférable de ralentir, sinon de faire des pas en arrière (des mesures pour ainsi dire conservatrices furent effectivement annoncées à un moment donné). Mais la première alternative semble s’être imposée. Les décisions et les projets les plus importants comportent en effet une délimitation croissante du secteur de l’État alors que des entreprises privées opèrent de plus en plus aussi dans le secteur collectif. On projette par ailleurs l’introduction à une échelle plus substantielle de sociétés par actions, y compris pour résoudre le problème des grandes entreprises déficitaires.

Si on considère que de tels projets visent également à intéresser des investisseurs étrangers, aussi bien dans le domaine industriel que dans le domaine financier et commercial, l’accumulation privée pourrait se développer beaucoup plus que dans la période précédente. Une telle perspective, dans le cadre d’une application plus rigoureuse de critères de rentabilité et d’une réduction progressive des protections douanières découlant de l’adhésion à l’OMC, est grosse de conséquences sociales. Des couches bourgeoises pourraient se renforcer et accroître leurs richesses de même que des couches moyennes dont le poids ne cesse d’augmenter. En revanche des couches ouvrières, de larges secteurs de la paysannerie et, plus généralement, des secteurs pauvres de la population seraient frappés par le développement ultérieur du cours nouveau. Par ailleurs, des conflits sociaux se sont multipliés, au cours des dernières années, aussi bien dans les campagnes que dans les villes. En fin de compte, l’équilibre politique du régime pourrait être ébranlé.

V. Les contradictions qui déstabilisent le nouvel ordre impérialiste

1. La montée des contradictions entre puissances impérialistes

(1) La nouvelle structure du capitalisme mondialisé porte en germe un approfondissement considérable des rivalités inter-impérialistes entre les trois blocs économiques régionaux, chacun autour d’une des trois grandes puissances économiques. Les USA, seule puissance " globale ", assurent la stabilité et la pérennité du système d’exploitation, tout en abusant de cette position de force pour imposer leur loi à leurs rivaux. Le résultat politique de la nouvelle guerre pourrait modifier substantiellement les rapports de force politique et économique entre les USA d’un côté, et de l’autre, les pays impérialistes (Japon, UE) et les grandes puissances (Russie, Chine) en voie d’insertion dans le marché mondial. La récession les aiguisera.

(2) Depuis dix ans, le Japon est frappé d’une stagnation économique, liée à l’incapacité de surmonter les effets d’une bulle spéculative et une gigantesque crise bancaire. Mais cette conjoncture cache pour le moment la persistante puissance industrielle et financière du Japon, épicentre d’une des zones (est-asiatique) les plus dynamiques de l’économie mondiale. La " mondialisation " signifie l’ouverture du pays par une série de dérégulations légales-institutionnelles et privatisations. La bataille des grands groupes étrangers pour s’y implanter est en cours et les États-Unis poussent à abattre les structures protectionnistes. Ces derniers pèsent de tout leur poids dans la région par leur présence militaire qu’ils justifient pour contenir la montée en puissance (économique et militaire) de la Chine face à Taiwan. Dans une perspective à moyen terme, ils se préparent à affronter la constitution d’une nouvelle puissance politiques et économique Chine/Hong-Kong/Taiwan, ce qui bouleverserait radicalement les équilibres en Asie et dans le Pacifique.

(3) Les bourgeoisies européennes ont remporté un succès incontestable par l’adoption de la monnaie unique. A l’étape actuelle, l’Union européenne s’efforce de mieux exploiter l’espace économique commun et de devenir plus concurrentielle sur le marché mondial. Les opérations multiples de fusion et de concentration des puissants groupes industriels, commerciaux, financiers et bancaires se sont succédées. Le Marché Unique avance en particulier sur l’harmonisation des marchés financiers. Depuis la guerre du Kosovo, l’UE se fixe comme objectif de constituer une force armée, indépendante des États-Unis. Cela est directement lié à l’élargissement vers l’Est qui se heurte à de nombreux obstacles, au sein des pays-candidats qui sont obligés d’introduire dérégulations, privatisations et changements structurels. C’est en transformant l’UE en forteresse (accord de Schengen) que l’UE essaye de repousser les mouvements des populations en provenance du sud de la Méditerranée, d’Afrique noire, d’Europe orientale et d’une partie de l’Asie.

La volonté des classes dominantes d’avancer vers une " Europe-puissance " implique une réforme des institutions, aujourd’hui très hybrides, débouchant sur une véritable direction politique supranationale. L’UE est parvenue à se doter d’un embryon d’appareil d’État supranational, entouré d’une série de coordinations inter-étatiques de plus en plus cohérentes. Mais la construction est en transition et fragile. Elle est parcourue par de fortes contradictions entre les (grands) États-membres. Elle est en recul par rapport à la démocratie parlementaire. Sa légitimité reste très limitée parmi les populations à cause de sa politique antisociale virulente. En même temps, la dynamique se poursuit propulsée par la globalisation capitaliste générale et les besoins du grand Capital européen. Elle est obligée d’affronter les obstacles et d’avancer, car reculer mènera à une grave crise qui mettrait en danger les acquis (en particulier l’union monétaire).

La rivalité avec les USA est un important stimulant pour l’édification d’un État européen. Le capitalisme américain dispose d’un appareil d’État puissant et omniprésent sur tous les continents. Il constitue le pilier indispensable à l’ensemble des bourgeoisies impérialistes. Mais en même temps, il l’utilise pour favoriser ses propres entreprises multinationales dans la lutte acharnée sur le plan de la concurrence économique et des sphères d’influence politique. Le Grand Capital européen ne peut reculer dans sa tentative de se doter d’un État européen impérialiste. Cela débouche immanquablement sur une tentative de rééquilibrer la suprématie actuelle des États-Unis. Ce qui n’ira pas sans frictions et conflits.

2. Les rapports entre la Russie et les pays impérialistes

Les rapports contradictoires entre les États-Unis et la Russie, produit de la " guerre froide ", se placent aujourd’hui dans le cadre de l’extension mondiale du capitalisme et de la transition de l’ex-URSS au capitalisme. Ce processus n’est pas indolore.

(1) La désintégration de l’ex-Union soviétique a donné lieu à une grave instabilité et à une série de guerres.

Dans le Caucase, où les conflits autour du pétrole ont été emmêlés avec la politique intérieure russe, aucun pays n’est sorti de la crise économique et de l’instabilité politique. La guerre en Tchétchénie fut initiée par Eltsine pour renflouer sa popularité en déclin et pour faire élire son dauphin lors des élections présidentielles consécutives. Par la suite, Poutine a poursuivi la guerre avec plus d’énergie que son prédécesseur, et le conflit est devenu le moyen de constituer la base de son pouvoir et de stabiliser son règne.

L’invasion s’est produite dans la foulée de la guerre de l’OTAN dans les Balkans, et dans des conditions politiques différentes de l’invasion russe antérieure - et désastreuse - de la Tchétchénie en 1994. En effet, c’était en partie une guerre anti-OTAN, une réponse à la guerre de l’OTAN dans les Balkans et l’humiliation ressentie par Moscou au cours de ce conflit et par la suite. Par ailleurs, l’expansion orientale de l’OTAN, une provocation ressentie par le régime Eltsine depuis des années, s’est réalisée et a constitué un facteur dans le conflit des Balkans par la participation hongroise.

La guerre fut également une tentative de remonter le moral et la capacité offensive de l’armée russe ; en 1994 l’état-major s’était opposé à l’invasion de la Tchétchénie, mais en 1999 il l’a soutenue sans réserve. Elle a également contribué à reconstruire le chauvinisme grand-russe, qui avait chuté avec l’écroulement de l’URSS et encore après la défaite de 1994 en Tchétchénie. Par ailleurs, elle a lancé un avertissement aux autres républiques autonomes ayant des velléités d’indépendance.

Elle répondait en outre aux intérêts stratégiques russes, en particulier la mainmise sur le pétrole, pour laquelle la Russie devait augmenter son influence dans la région caspienne. Il n’y avait aucun projet de construction d’un nouvel oléoduc qui contournerait la Tchétchénie et donnerait un accès à la Mer noire. Pour que la Russie reste un acteur principal dans la région, il fallait assurer la stabilité et le contrôle politique. Notre tâche est de mettre en évidence l’oppression russe des Tchétchènes et de soutenir sans équivoque le droit de la Tchétchénie à l’autodétermination.

L’Ukraine, qui a connu une régression économique encore plus grave que celle de la Russie, est loin d’avoir établi un cadre politico-institutionnel stable et reste menacée par une fracture entre les régions occidentales plus tournées vers l’Europe centrale et orientale et les régions orientales sous l’influence du voisin russe. Son sort représente un enjeu majeur : l’équilibre de cette région du monde dans son ensemble dépend dans une large mesure de l’évolution de ce pays qui pourrait soit s’intégrer dans la zone d’influence des puissances de l’OTAN, soit entrer dans le giron de la Russie en renouant des liens brisés par l’éclatement de l’URSS.

(2) La néo-bourgeoisie russe essaye de regagner son statut de puissance internationale en s’appuyant sur son histoire, sa conscience nationale, ses liens internationaux avec des pays traditionnellement opposés aux États-Unis, sa force productive et ses ressources naturelles, sa main-d’oeuvre qualifiée et, surtout, sa capacité de nuisance militaire. Mais sa transition est fortement tributaire du grand capital international et de l’impérialisme. Cette insertion dans le marché mondial est un processus heurté et conflictuel où intervient à son tour la rivalité entre les États-Unis et l’UE. Les deux visent à s’emparer de la propriété terrienne et industrielle, ainsi que des matières premières, à partir d’un encadrement institutionnel-financier et une pression systématique sur la transition au capitalisme. L’UE, l’Allemagne, en tête, essaye d’opérer un rapprochement diplomatique et économique dans une relation apaisée (étant donné la proximité géographique, la politique d’élargissement vers l’Est, et sa propre faiblesse militaire), tandis que les USA visent ouvertement à encadrer la Russie dans le cadre de leur politique d’hégémonie mondiale.

3. L’Amérique latine face à l’impérialisme américain

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4. La désintégration du continent africain

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5. La situation explosive en Asie

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6. Force du capitalisme mondialisé et faiblesse des institutions internationales inter-étatiques

(1) L’émergence d’un capitalisme mondialisé exigerait un gouvernement mondial pour dominer les contradictions, qui, depuis la fin de la guerre froide, sont plus nombreuses, plus aiguës, plus contagieuses, moins contrôlables. Mais un tel État/gouvernement reste en dehors de la portée de l’impérialisme.

Néanmoins, la tendance lourde de la dernière décennie est l’émergence et l’affirmation d’une série d’institutions internationales de type étatique. Les classes dominantes, malgré leurs rivalités, sont acquises à l’idée de mettre en place un " nouvel ordre " impérialiste. La globalisation économique, très volatile, a " spontanément " poussé et valorisé des organes de régulation, aussi bien sur le plan régional-continental que mondial. La clé de voûte en est le FMI (+BM) et l’OMC. L’OTAN a amendé sa Charte et s’impose désormais comme le bras armé du capitalisme global. Le G7 (+Russie) essaye d’assurer une direction politique commune. Le processus de mondialisation institutionnelle s’élargit sur le plan de la Justice (Cour de La Haye, Cour Pénale Internationale, ...), et d’autres très puissantes institutions moins médiatisées (OCDE, Banque de Règlements Internationaux).

(2) La tentative de stabiliser et de légitimer ses institutions largement inter-étatiques se heurte à des contradictions importantes : les rivalités économiques et politiques entre les grandes puissances mêmes (y compris les blocs économiques régionaux) ; l’iniquité sociale de leurs politiques (contre le Tiers-Monde) ; l’absence de légitimité démocratique électorale ; le caractère ouvertement partial face aux conflits majeurs (Iraq, Ruanda, Palestine, Serbie,.. ). Dès le départ, leur légitimité populaire a été limitée. Leurs contradictions ont été mises en évidence par les mobilisations " contre la globalisation ". Leur capacité de gouverner la planète sera mise à rude épreuve devant les turbulences qui se profilent à l’horizon par la politique de guerre, menée par le gouvernement américain, et la maîtrise de la récession économique en cours.

Par ailleurs, l’affirmation prépondérante de ces institutions non élues où dominent les organes exécutifs, et la stratégie unilatéraliste des États-Unis ont accentué la marginalisation de l’ONU (y compris son Conseil de sécurité), alors que l’ONU (son Assemblée et ses organismes annexes) avait fourni un cadre institutionnel où les pays impérialistes pouvaient être interpellés et " conditionnés ", et certaines politiques " progressistes " mises en oeuvre.

Le facteur qui subjugue l’ensemble de cette architecture institutionnelle est la suprématie de l’impérialisme américain jouant de plus en plus un rôle à la fois international et unilatéral.

(3) La politique arrogante, activiste et unilatérale des USA, y compris dans leurs rapports avec leurs alliés, sécrète sa propre limite en ce qu’elle a besoin d’une division du travail, de partages d’influence et de ressources ainsi que de la construction de coalitions avec leurs principaux alliés-rivaux et des puissances régionales secondaires. Mais les processus de concentration et d’internationalisation économiques en cours frappent aussi, dans le cadre d’une concurrence de plus en plus féroce, des secteurs des classes dominantes. D’où les divergences au sein de celles-ci sur les moyens, les rythmes, les objectifs concrets, le timing, et les structures à mettre sur pied pour atteindre le but commun ; ce qui se reflète au niveau des groupes dirigeants politiques, en provoquant des querelles multiples, des luttes sourdes et des déchirements récurrents. L’hégémonie américain sur la planète est incontestable, mais son contrôle direct de la situation s’avère hautement difficile.

VI. Le nouveau capitalisme et la récession internationale

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VII. La politique de guerre et la poursuite de la politique néolibérale

Ces deux questions vont dominer la situation mondiale dans les prochains 12, 24 mois et influencer la vie de millions d’êtres humains et l’activité de toutes les forces politiques et sociales.

1. La politique de la guerre antiterroriste

(1) Le gouvernement américain a gagné la guerre en Afghanistan au moindre coût et renforcé sa position dominante. Certes, il a montré qu’il avait le monopole diplomatique sur la situation au Moyen-Orient (la guerre d’Israël contre le peuple palestinien). Mais il n’a pas pu exploiter cette victoire pour déclencher dans la foulée une nouvelle guerre contre l’Iraq. L’administration Bush continue à affirmer publiquement sa volonté de tout faire pour renverser Saddam Hussein. Entre temps, le gouvernement américain a réussi imposer à tous ses alliés (grand et petits) le cadre idéologique et politique de " la guerre contre le terrorisme " et, jusqu’à un certain point, à en faire une ligne politique-militaire. En Palestine, Cachemire, Tchétchénie, Géorgie, Philippines, Colombie, Venezuela… il soutient ou intervient militairement pour créer une atmosphère de guerre permanente, justifiant une hégémonie de plus en plus arbitraire.

(2) La lutte du peuple palestinien pour sa libération nationale et sociale est ainsi dégradée en un combat entre " des bandes terroristes " qui agressent un État démocratique et civilisé en position d’autodéfense. Bush est entièrement complice de Sharon dans sa tentative d’empêcher définitivement la formation d’un État qui protégerait le peuple palestinien de la barbarie sioniste. Celui-ci ne fait pas que lutter pour sa propre survie ; il contribue aussi à retarder, voire empêcher une intervention militaire américaine de grande ampleur dans la région.

(3) Mais la guerre contre l’Iraq pourrait devenir le test décisif pour les rapports de force, les alignements politiques, les futures lignes de force, constituant un " moment de redéfinition " de toute la situation mondiale.

Dès lors, le tournant que l’impérialisme américain veut imposer à la planète se fera sentir sur toutes les forces étatiques, politiques et sociales. Il annonce une bataille politique internationale prolongée et d’envergure. La question étant : les États-Unis sont-ils capables d’utiliser leur écrasante suprématie pour imposer cette politique de guerre, d’en prendre l’initiative, à la limite, seuls, d’obtenir des victoires, d’accumuler un rapport de force, de gagner une assise populaire internationale et continuer jusqu’à infliger une défaite " finale ", qui serait aussi la défaite des aspirations sociales des masses populaires et de leurs organisations ?

(4) Pour pouvoir déclencher la guerre, le gouvernement se heurtera à trois obstacles principaux. D’abord, il y a les contradictions au sein des principales classes dominantes qui pèsent sur la capacité d’initiative du gouvernement américain. Celui-ci aura une bataille politique à mener (" on fixe l’objectif, ensuite on compose la coalition "...). Car, à côté de sa ligne antiterroriste, le gouvernement Bush construit aussi le NMB (National Missile Defence), autre projet global militaire qui lui donnerait un avantage énorme sur les plans militaire, technologique, politique et économique.

Ensuite, le peuple américain qui vit sous une forte campagne d’intoxication " antiterroriste " acceptant " l’autodéfense " du territoire national et de sa vie, est-il prêt à aller à une guerre meurtrière au Moyen-Orient ? Finalement, il y a un grand écart entre la suprématie matérielle et la faiblesse morale (sociale et idéologique) des États-Unis. A l’échelle mondiale, la méfiance voire la haine vis-à-vis du gouvernement des États-Unis a rarement été aussi forte et répandue. Cet " handicap " pèsera très fortement sur les gouvernements, mis sous pression américaine, qui auront à légitimer une telle " crise-guerre " devant leur opinion publique.

La bataille contre la guerre américaine et ses alliés constitue une priorité à l’échelle internationale.

2. La poursuite de la politique néolibérale

Les classes capitalistes poursuivent leur offensive néolibérale tout en adaptant leur politique aux nouvelles difficultés et résistances.

(1) La politique néolibérale des années 80-90 a amené un succès éclatant pour le Capital. Par la suite, la décennie de croissance aux États-Unis, la reprise économique des dernières années en Europe, l’insertion partielle de la périphérie n’ont en rien profité aux masses populaires appelées à faire " des sacrifices " pour relancer la machine. Surfant sur ce rapport de force, la classe capitaliste n’a aucune intention, au moment où la récession arrive, de partager " les fruits de l’expansion ". Au contraire, les " difficultés " économiques du moment fournissent l’alibi pour continuer et renforcer point par point les recettes du néolibéralisme.

(2) La politique globale du néolibéralisme se heurte désormais à un problème gigantesque de faisabilité et crédibilité. Non seulement la globalisation capitaliste a débouché sur une guerre (Afghanistan) mais la politique néolibérale menée jusqu’au bout par les multinationales et les institutions internationales (FMI, OMC et BRI, G7+1) a provoqué l’effondrement de l’économie (et de la société) argentine, le gouvernement américain étant directement impliqué. La faillite d’ Enron, la plus grande de l’Histoire et au coeur de la citadelle du capitalisme mondial, implique une révision drastique des structures mêmes du capital financier ainsi que des règles de la " corporate gouvernance " (sans parler du désastre social que constitue la perte totale des retraites par capitalisation des travailleurs).

Tout en affichant un pragmatisme obstiné et cynique, les dirigeants du capitalisme mondial ne peuvent assister passivement au délitement de leur doctrine et aux impasses de leur politique économique. A moins de laisser s’installer un chaos prétendument maîtrisé (ce qu’ils font déjà pour l’Afrique), ils sont acculés à ouvrir le débat qui étalerait l’insanité de leur politique.

(3) La récession a un impact contradictoire sur les rapports de force (sociaux, idéologiques, organisationnels) entre les deux classes fondamentales. Objectivement, elle pousse le prolétariat sur la défensive avec le risque d’un nouveau recul dramatique de ses conditions de vie et de ses capacités de se réorganiser. De l’autre côté, elle a certainement déjà détruit toute illusion qu’après 20 ans de néolibéralisme ininterrompu et trois phases conjoncturelles (récession, redressement, nouvelle récession), le capitalisme serait prêt à améliorer le sort du prolétariat. Cela pousse déjà à des batailles sociales acharnées, même sans la garantie d’une alternative, d’une perspective et d’une organisation solides. On est entré dans un nouveau cycle de luttes plus dures et plus amples mais aussi plus difficiles, autour des revendications immédiates et partielles, mais qui suscitent quasi-spontanément la nécessité de solution d’ensemble et qui relancent la " question politique " (le gouvernement, le rôle des partis politiques). Cette expérience prolongée avec la politique néolibérale, et avec les forces politiques et sociales qui l’ont imposée, jouera un rôle-clé dans la clarification politique à l’échelle de masse et sur la renaissance d’un mouvement ouvrier et social, réorganisé et revigoré à tous les niveaux (nombre, engagement militant, activité, auto-organisation, revendications et programme anticapitaliste).

VIII. La crise sociale au niveau mondial

(1) Face à cette offensive générale du capitalisme, qui a marqué de nombreux points ces dernières années, des résistances multiformes se développent. L’échec du sommet de Seattle de l’OMC, après l’abandon du projet d’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI), a constitué un véritable événement politique. Pour la première fois, une campagne internationale, et à bien des égards internationaliste, a contribué à faire perdre une bataille aux maîtres de la mondialisation. Cet échec est le résultat de contradictions multiples qui se sont combinées pour aboutir à l’échec de la négociation : contradiction entre les intérêts capitalistes européens et américains, notamment sur les subventions à l’agriculture et les barrières commerciales qu’ils s’opposent mutuellement ; contradiction avec les intérêts des pays en développement, qui réclament un traitement spécial et différencié, incapables de rivaliser avec la compétitivité des économies développées compte tenu de leur faible productivité et du poids de la dette ; contradiction avec le développement massif, dans les opinions publiques, d’une prise de conscience des méfaits du libéralisme à tous crins, symbolisée par les manifestations de syndicats et associations réussissant à perturber le déroulement de la conférence de l’OMC.

(2) La crise écologique sans précédent est directement liée à la marchandisation du monde et à la mondialisation capitaliste. Elle détériore l’environnement, c’est-à-dire les conditions de vie sur l’ensemble de la planète mais elle frappe d’une manière inégalitaire les régions et les couches sociales les plus faibles et les plus pauvres. Les dégâts causés à l’environnement pèsent désormais sur la survie de l’humanité. La transformation du vivant en marchandise ne cesse de progresser. Elle s’appuie sur la mise au point de nouvelles techniques dont l’impact écologique n’est souvent pas maîtrisé ni parfois même connu. Elle risque également de s’accompagner d’une dépendance accrue des pays du Sud tant au niveau technologique qu’alimentaire. L’offensive des grandes firmes de l’agro-industrie pour imposer à la planète les organismes génétiquement modifiés (OGM) est symptomatique de cette situation.

Des conférences internationales successives n’ont donné que des résultats dérisoires : la responsabilité en incombe surtout aux grandes puissances et en premier lieu aux États-Unis. L’approche résolue des problèmes de l’environnement, de même que des problèmes de l’alimentation et de la santé à l’échelle mondiale, sont des motivations puissantes pour la mise en cause du capitalisme.

(3) Ce tableau d’ensemble doit nous conduire à prendre en compte les tensions et les contradictions dont souffrent plus que jamais le système dans son ensemble à l’échelle mondiale et de nombreux pays dans les différentes régions.

L’économie mondiale a connu une conjoncture favorable prolongée dans le sillage du long cycle expansif de l’ économie américaine. Mais l’émergence du " nouveau capitalisme " ne débouche pas sur une longue phase de stabilisation socio-économique, à l’instar de la période d’expansion d’après-guerre. Au contraire, elle débouche sur une récession internationale avec ses restructurations et ses plans de licenciements de l’industrie et les mouvements erratiques de la Bourse. Plus généralement, le contexte mondial reste caractérisé par des déséquilibres et des inégalités croissantes au détriment de la grande majorité de la population de la planète. Le fossé se creuse davantage à l’intérieur des pays les plus développés eux-mêmes. Une telle situation au niveau socio-économique est, en dernière analyse, à l’origine de la crise assez généralisée des directions politiques traditionnelles, voire de leur éclatement, et des difficultés contre lesquelles butent les tentatives de replâtrage de leurs institutions et États.

Les contradictions qui déchirent la société contemporaine à l’échelle mondiale et provoquent des ravages croissants à tous les niveaux, imposent à l’ordre du jour, plus que jamais auparavant, la définition et la construction d’une alternative systémique.

(4) La principale contradiction qui traverse le monde, et qui constitue en définitive l’obstacle principal à la politique de guerre des pays impérialistes et à l’offensive générale contre les acquis du monde du travail, est certainement celle-ci : jamais dans l’Histoire, une classe dominante n’a eu une telle suprématie sur le plan matériel (militaire, technologique, économique, diplomatique) alors qu’en face des millions d’êtres humains, exploité-e-s et opprimé-e-s, humilié-e-s et écrasé-e-s, subissent le système qui jamais n’a été aussi inique et barbare sur le plan social et humain. Cette contradiction est à l’oeuvre au quotidien dans tous les pays, dans toutes les sociétés. L’acuité et l’explosibilité de la crise sociale mondiale, qu’a engendrée la mondialisation du Capital sous politique néolibérale, font certainement réfléchir les cercles éclairés des classes dominantes.

(5) Mais c’est l’activité consciente et organisée de " ceux d’en bas " qui seule pourra empêcher les désastres du capitalisme. Pour cela, le dépassement de la crise historique du " facteur subjectif " au sens large est notre tâche fondamentale.

Les réactions massives répétées de la jeunesse, des classes salariées et populaires ont finalement débouché sur une première accumulation de forces et d’énergie. Le " mouvement contre la globalisation " avait marqué un court temps d’arrêt, mais, stimulé par le discrédit croissant qui frappe la politique néolibérale et guerrière, il a repris son essor. Il apparaît plus qu’avant comme une " alternative de masse " sur le plan de la société (" post-capitaliste "), comme une nouvelle espérance et comme un levier important dans le redressement radical du mouvement ouvrier et social international. Cette confrontation internationale, symbolisée par Porto Alegre contre Davos/New York, jouera un rôle déterminant sur l’issue de la phase politique actuelle. C’est dans ce cadre général, que les forces sociales et politiques, qui rejettent la " globalisation " prônée par les classes dominantes, existent dans toutes les régions du monde et sont susceptibles de lutter dès maintenant, indépendamment du rapport de forces au niveau national et international à l’étape actuelle. Elles embrassent une grande diversité d’analyses et de réponses politiques, allant d’un protectionnisme nationaliste-bourgeois jusqu’à un internationalisme socialiste et révolutionnaire.

C’est dans le cadre d’une telle mobilisation internationale et d’une relance plus générale de la lutte de classes, qu’il faut chercher le chemin de la reconstruction de fond en comble du mouvement ouvrier et anti-impérialiste, de l’émergence de nouvelles forces anticapitalistes faisant leurs expériences à l’époque nouvelle où nous vivons, et d’une relance d’un nouvel internationalisme et d’une Internationale révolutionnaire.

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