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Mobilisation des opposants et partisans de la révolution bolivarienne

VENEZUELA : VERS UN RÉFÉRENDUM RÉVOCATOIRE ? PAS SÛR ...

par Frédéric Lévêque

dimanche 14 septembre 2003

Bruxelles / Caracas, août 2003. Une semaine sous haute tension s’est achevée le dimanche 24 août au Venezuela. Une semaine qui a vu tant les opposants que les partisans de la dite « Révolution bolivarienne » défiler massivement dans les rues de Caracas. Tous ont fêté à leur manière la moitié du mandat du président Hugo Chávez Frías. Les uns car ils peuvent à présent écourter constitutionnellement son mandat, les autres célébrant les conquêtes de ces trois ans de gouvernement et appelant à l’approfondissement de la révolution.

"Nos sources d’information (…) nous communiquent qu’en réalité, l’opposition, à minuit, a célébré la fête de Noël, longuement reportée depuis décembre passé (du fait du lock-out patronal). La ville semblait vivre davantage une fête de fin d’année qu’autre chose (…)." C’est ainsi qu’un activiste du site vénézuélien révolutionnaire APORREA commente ironiquement le début des mobilisations de l’opposition ce 20 août 2003 à Caracas. En effet, plusieurs milliers de personnes, membres et sympathisantes des secteurs s’opposant au gouvernement, se sont rassemblées à minuit à différents carrefours de la capitale vénézuelienne - essentiellement dans l’est de la ville, où vit la population la plus aisée - et dans d’autres villes de l’intérieur du pays pour célébrer, par des feux d’artifice et des pétards, la moitié du mandat du président de la république, Hugo Chávez Frías, et donc la possibilité, selon la constitution bolivarienne, de mettre un terme à son sextennat par un référendum révocatoire.

Comme un lendemain de réveillon, Caracas était étrangement calme ce 20 août au matin. De nombreuses entreprises et commerces avaient fermés leurs portes. Certains pour que leurs employés puissent participer à la marche de l’opposition, d’autres, par crainte de la violence. Après les quelques feux d’artifices de la nuit, c’est aux petites heures du matin que des représentants de l’opposition se présentèrent au Conseil national électoral (CNE) pour remettre des caisses contenant, selon eux, 2,7 millions de signatures de citoyens vénézuéliens afin d’activer l’article 72 de la Constitution, permettant l’organisation d’un référendum révocatoire contre le président Chávez. Des porte-parole de l’opposition ont affirmé avoir opéré à une heure si matinale (7 heures) par crainte d’en être empêchés par des partisans du gouvernement. Ils ont remis les signatures « à une heure où les chavistes dorment encore, récupérant de leur gueule de bois » [1], a affirmé un des coordinateurs de cette action pour la Coordination démocratique, l’organisation coupole rassemblant les différents secteurs de l’opposition.

Une journée à risque

C’est à 10 heures du matin que débutèrent les marches de l’opposition, des manifestations craintes par de nombreux secteurs favorables au gouvernement car pouvant servir de toile de fond, comme le 11 avril 2002, à un nouvelle tentative de déstabilisation. Au Palais présidentiel de Miraflores, les invités n’étaient pas autorisés à entrer ce 20 août. Quant au président Chávez, il était en voyage officiel en Argentine. Un peu plus à l’ouest, dans la paroisse La Pastora, secteur Manicomio, un quartier populaire majoritairement chaviste, les gens étaient en état d’alerte, prêts à répondre à une nouvelle provocation. Oscar, coordinateur élu de l’école Alberdi, autogérée par la communauté depuis janvier 2002, commente cet état d’alerte : « Il a fallu 30 ans pour que les gens descendent des collines », nous dit-il en se référant au Caracazo [2]. « Lors du coup d’Etat, il a fallu attendre deux jours. Maintenant, il ne faudra pas plus que quelques heures », assure-t-il confiant.

Mais rien de ce que beaucoup prévoyait n’a eu lieu. Tout s’est déroulé pacifiquement. D’un côté, sur l’avenue bolivar, la fête du gouvernement, deux journées durant, avec ses stands, ses discours et ses concerts, a donné une bonne occasion aux buhoneros, les travailleurs informels, de ramener quelques deniers à la maison. Et, de l’autre côté, la marche pacifique de l’opposition qui rassembla, sur l’avenue Libertador, plusieurs dizaines de milliers de gens, comme disent plusieurs correspondants de la presse internationale pour ne pas entrer dans la polémique des chiffres, qui varient de 15.000 à un million et demi.

Polémique autour des signatures

Si les chavistes ont salué le « civisme » de la marche de l’opposition, ils ne se sont pas privés de dénoncer ses intentions, à savoir celles d’utiliser le référendum révocatoire pour, à nouveau, provoquer un climat de déstabilisation et de violence. A chaque fois que l’opposition s’est formellement unie - ce fut le cas à nouveau le 30 juillet dernier avec le « Manifeste pour le référendum et la paix » -, le pays a vécu une tragédie : le coup d’État et le sabotage pétrolier. De plus, ceux qui ont dirigé la conspiration le 11 avril 2002 sont encore et toujours, pour la plupart, les leaders de cette opposition.

Le camp oficialista a également mis en évidence les irrégularités du processus de recollection des signatures. Ces signatures ont été recueillies il y a presque sept mois lors du dénommé Firmazo. A l’époque, l’opposition, engagée dans le sabotage pétrolier de décembre 2002 et janvier 2003, tentait d’imposer au pays un référendum consultatif [3] - qu’elle voulait révocatoire - faisant fi des normes constitutionnelles. Elle avait recueilli, selon ses propres dires, des millions de signatures qui avaient été acceptées par le Conseil national électoral, aux mains de l’opposition à l’époque. Par la suite, le Tribunal suprême de justice avait annulé ce référendum en se basant sur la Constitution.

Ce sont ces signatures que l’opposition a remises au Conseil national électoral. Une aberration du point de vue légal. Représenter les mêmes signatures, autant de temps après, c’est d’une part anticonstitutionnel - malgré le flou entourant la procédure -, et c’est considérer l’opinion publique comme étant statique. De plus, ces fameuses signatures ont été contestées dès les premiers jours. Le ministre de l’Infrastructure Diosdallo Cabello disait à ce propos le jeudi 21 août à Venpres : « Ils ont d’abord dit que il y avaient 27 millions de signatures [4], ils ont parlé après de 4 millions et demi, et puis de trois millions contenues dans 609 caisses et maintenant, finalement, ils en ont donné 2 million 600 mille dans 152 caisses. Où sont les autres ? ». De nombreuses personnes se sont plaintes d’avoir été forcées de signer, dans des entreprises par exemple. Certains ont dénoncé le recours à des banques de données de certaines banques pour la "collecte" des signatures. Deux députés chavistes se sont étonnés de faire partie des signataires. De plus, aucun organe, à l’exception d’une ONG d’opposition - Sumate -, n’a supervisé la récollection des signatures.

Sur la validité de ces signatures, l’opposition ne semble pas être sur la même longueur d’onde. Le gouverneur de l’État de Miranda et possible candidat présidentiel, Enrique Mendoza, a réitéré ce 6 septembre que les signatures étaient valides et que le processus révocatoire était « irréversible ». Il a affirmé également qu’ « il y a 7 millions de Vénézuéliens - sur un total d’électeurs de 11.996.000 - qui veulent le référendum » (Panorama, 07-09-03). De son côté, d’autres secteurs de l’opposition, comme le parti Acción Democratica, semblent déjà convaincus qu’ils devront procéder à une nouvelle campagne de signatures, selon les règles cette fois-ci. Mais pourquoi avoir remis ces signatures alors ? L’article 72 de la Constitution est clair. Il stipule que « (…)durant la période de son mandat, le ou la fonctionnaire ne peut subir plus d’une sollicitation de révocation de son mandat. »

Dans l’hypothèse où l’opposition relancerait une campagne pour recueillir des signatures, elle ne devrait pas rencontrer trop de difficultés, si l’on en croit les sondages des médias commerciaux relatant la constante chute de popularité du président de la république. La suggestion de Jorge Armand est pertinente à ce sujet : "Il semble curieux qu’au lieu de collecter massivement cet "incommensurable volume de signatures de rejet à Chávez" qu’ils prétendent posséder aujourd’hui, les secteurs qui composent majoritairement la Coordination démocratique ont transformé le "firmazo" en bannière politique. Cela peut signifier une chose : la CD s’est rendue compte qu’elle ne possède plus le même appui populaire d’il y a sept mois, un fait qu’elle prétend occulter en divulguant des enquêtes d’opinion à la réputation douteuse" (Sobre El Firmazo y otras trapacerías, Panorama, 21-08-03).

Un nouveau Conseil national électoral

Après des semaines de débats, de polémiques politiques et juridiques, de blocages institutionnels à l’Assemblée nationale, c’est finalement le Tribunal suprême de justice qui a nommé temporairement les membres du nouveau Conseil national électoral ; des nominations qui semblent satisfaire les parties en présence. Cette étape était essentielle pour entamer le processus devant mener à un référendum révocatoire, si les signatures recueillies par l’opposition s’avèrent être valides et représenter plus de 20% du corps électoral (plus de 2.399.676 personnes). La nomination de nouveaux membres du CNE est inscrite dans l’accord signé par l’opposition et le gouvernement le 28 mai dernier, sous l’égide de l’Organisation des états américains (OEA). Le CNE doit jouer le rôle d’arbitre lors d’un référendum ou d’élections. Ses membres doivent pouvoir se situer au dessus de la mêlée, ce pourquoi il est un enjeu essentiel.

Un référendum, vraiment ?

Pour se débarrasser d’un président dérangeant pour ses intérêts, l’opposition a donc dû se résoudre à emprunter la voie institutionnelle. Si ses dirigeants, de l’oligarchie créole, avaient choisi dés le départ la résolution constitutionnelle du conflit, la situation économique du pays serait certainement meilleure. Les milliards de dollars perdus suite au sabotage pétrolier, l’augmentation du chômage et de l’inflation sont des conséquences des tentatives répétées de l’opposition de venir à bout du gouvernement de Chávez. De nombreux commerces ont mis la clé sous le paillasson suite au lock-out patronal de deux mois. L’opposition s’est tirée elle-même une balle dans le pied car ses propres partisans ont subi de plein fouet les conséquences économiques de telles actions.

Le fait que l’opposition semble jouer le jeu institutionnel est une victoire pour le gouvernement qui, à maintes reprises, a appelé ses opposants à profiter des possibilités qu’offre la Constitution pour révoquer le président de la république. La question que se posent de nombreuse personnes aujourd’hui est celle de savoir si les dirigeants de la contestation n’utilisent pas le référendum comme bannière de leur lutte tout en continuant d’un autre côté à conspirer pour une sortie violente de la crise. Ces derniers sont pleinement conscients qu’un référendum révocatoire contre Chávez sera nécessairement accompagné d’autres référendum, très risqués, contre les gouverneurs, députés et maires de l’opposition, peu disposés à céder leur position de pouvoir. Les médias sont à ce sujet un bon thermomètre de la situation. A travers eux s’expriment les secteurs les plus extrémistes de l’opposition. Durant tout l’été, les médias, audiovisuels et presse écrite, ont relancé une campagne particulièrement agressive contre Hugo Chávez et les mesures du son gouvernement : « cubanisation » du pays, terrorisme, relations fraternelles avec la guérillas colombiennes, corruption, etc. Tout cela malgré les démentis, dans la plus totale impunité. Deux possibles présidents du Conseil national électoral, Moisés Troconis Villarreal et Eleazar Díaz Rangel, ont décliné l’offre du Tribunal suprême de justice à cause de la pression des médias commerciaux. Ce qui a fait dire à Roberto Malaver, journaliste et professeur d’université, au quotidien Panorama que « les médias ne sont pas des médias sinon des partis politiques (…) Le cinquième membre du Conseil national électoral dépend plus du pouvoir médiatique que du Tribunal suprême » .

Lors de la grande marche de l’opposition, le 20 août dernier, ce furent Enrique Mendoza, gouverneur de l’État de Miranda, et Juan Fernandez, leader des cadres licenciés de PDVSA, la société publique nationale pétrolière, qui ont été les plus ovationnés par la multitude lors du meeting final. Or, ces messieurs ont dirigé le coup d’État. D’où la légitimité des questions suivantes : existe-t-il une opposition modérée, une opposition qui accepterait, par exemple, une défaite électorale et jouerait le jeu démocratique jusqu’au bout ? Et en cas de victoire, y a-t-il une opposition démocratique qui ne s’acharnerait pas à persécuter les partisans du président Chávez et à plonger, plus que certainement, le pays dans la guerre civile ?

Un marée rouge sur Caracas

Bien que la presse internationale n’ait que très peu relayé l’information, la Coordination démocratique n’a pas été la seule à mobiliser ses troupes à la fin du mois d’août. Le 23, les partisans du processus "révolutionnaire" bolivarien sont descendus par centaines de milliers dans les rues de Caracas pour célébrer les trois ans d’un gouvernement qui semble maintenir intact sa capacité de mobilisation. Lors de son discours final, le Comandante Chávez s’est longuement attardé, devant une foule acquise à sa personne, sur les conquêtes du processus. Comme réponse à la volonté, véritable ou simulée, de l’opposition de révoquer son mandat, Chávez s’est contenté de présenter sa candidature aux prochaines élections présidentielles de 2006 et d’annoncer les noms des candidats "bolivariens" aux postes de gouverneurs des États tenus par l’opposition. Car l’année qui vient, référendum ou pas, est une année électorale qui permettra probablement d’éclairer la situation quant à la popularité et la force des partisans et opposants de la Révolution bolivarienne.

NOTES :

[1] Vu et entendu sur la chaîne d’« information » en continu Globovisión.

[2] Le doublement de tarifs des transports le 27 février 1989, suite aux mesures économiques imposées par le FMI, a servi de détonateur à un soulèvement spontané et anarchique des quartiers populaires de Caracas et d’autres villes. Cet événement connu comme le Caracazo a été réprimé dans le sang par le président social-démocrate Carlos Andrés Pérez, faisant plusieurs milliers de victimes.

[3] Selon l’article 71 de la Constitution, seules les matières de droit international et les matières particulières, municipale, communale et étatique, pourront être soumises à un référendum consultatif. Le fonctionnaire public - le président, le maire, le député, etc. - ne peut être soumis qu’à un référendum révocatoire.

[4] Propos tenus par Enrique Mendoza, opposant farouche à Chávez, gouverneur de l’Etat de Miranda. Il est connu notamment pour avoir appelé à fermer Venezolana de Televisión, le chaîne publique de télévision durant le coup d’Etat d’avril 2002. Rappelons que la population vénézuélienne se compose d’un peu moins de 25 millions d’habitants.

8 septembre 2003

Photos : Manifestation des partisants du gouvernement, 23-08-03 (Chapulin, Venpres, Juan V. Gómez G., F.Lévêque).

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(tiré de Risbal, no 24)