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Crise parlementaire à Ottawa : La Coalition : sa nature, son avenir et nos perspectives !

mercredi 10 décembre 2008, par Bernard Rioux

Un énoncé économique intolérable. La mise en place d’une coalition des partis d’opposition qui prétend faire tomber le gouvernement. Un parlement fermé et des député-e-s chassées de ce dernier pour deux mois à la demande du Premier ministre. La Chambre des communes a été le théâtre d’une crise parlementaire jamais vue au Canada. Comment analyser ce qui vient de se produire et ses conséquences ?


Tiré de PTAG
mardi 9 décembre 2008, par Bernard Rioux



Le contexte

La crise économique mondiale est en train d’imposer son lot de souffrances à la population du Canada et du Québec : pertes d’emplois, renforcement de la précarité, endettement, détérioration du pouvoir d’achat, érosion des économies accumulées au fil des ans par les petits épargnants… Et les effets les plus dévastateurs de la crise ne sont encore qu’à nos portes.

Le gouvernement conservateur d’Harper tout à ses projets partisans et sectaires provoque une crise parlementaire

Insensible à l’angoisse et aux difficultés de la population laborieuse, le gouvernement donne la priorité à l’affaiblissement de l’opposition et à l’écrasement du principal parti d’opposition, le Parti Libéral du Canada. Le Premier ministre Harper veut profiter de la crise de leadership de l’opposition officielle pour l’obliger à accepter l’inacceptable tout en lui coupant les vivres. L’énoncé économique du ministre des finances M. Flaherty propose donc d’en finir avec le financement public des partis politiques ; il s’attaque à l’équité salariale pour les femmes ; il interdit le droit de grève dans la fonction publique pour les prochaines années et propose des mesures économiques marquées par l’obsession conservatrice de la lutte au déficit. Le ministre Flaherty annonce en effet des compressions des dépenses gouvernementales de 4 milliards de dollars qui risquent de ralentir davantage l’activité qui est déjà en récession et d’accélérer la détérioration de la situation.

Les partis d’opposition se coalisent !

Devant une telle arrogance, pour sauver leurs partis et dénoncer une politique marquée par une crispation néolibérale décalée par rapport aux besoins de la relance, les partis d’opposition se coalisent et se posent en alternative gouvernementale immédiate au gouvernement Harper. Pour tenter de parer à une telle éventualité, les Conservateurs reculent sur le financement des partis politiques, sur l’interdiction du droit de grève.

Rien n’y fait, car la perspective de renverser le gouvernement conservateur répond en effet à une aspiration démocratique réelle de la population canadienne qui, dans sa majorité, n’a pas voté pour la formation d’un gouvernement conservateur. Cette aspiration est également portée par la volonté d’en finir avec un gouvernement qui veut faire payer aux travailleuses et les travailleuses une crise qu’ils n’ont pas créée.

Le gouvernement Harper utilise les institutions de l’État pour ne pas être renversé

Mais le renversement du gouvernement n’a pas lieu. Utilisant, des institutions de l’État canadien mis en place pour protéger le parti gouvernemental, le premier ministre Harper demande à la gouverneure générale, Michaëlle Jean de proroger le parlement jusqu’à la fin janvier 2009. En répondant à la demande du Premier ministre, elle ne fait que répondre à ses devoirs institutionnels, comme le souligne M. Henri Brun. Il n’y aura donc pas de vote de non-confiance sur l’énoncé économique le 8 décembre.

Pour légitimer cet appel à la fermeture du parlement canadien pendant deux mois, le chef conservateur lance une campagne médiatique en essayant de miner la légitimité de la coalition, en s’appuyant sur le fait qu’un parti politique, le Bloc québécois, en fait partie. Pour lui, l’horreur, c’est de donner à une coalition qui comprend un parti « séparatiste » le contrôle du gouvernement canadien, même si ce parti, ne serait pas partie prenante du gouvernement canadien. Sa campagne n’est pas sans soulever la hargne au Canada anglais contre le Québec.

Son objectif n’est pas seulement de délégitimer la Coalition et son projet gouvernemental, mais de chercher à la diviser et faire payer au Parti Libéral du Canada, tout particulièrement, un fort prix politique pour cette alliance avec les « socialistes » du NPD et les « séparatistes » du Bloc. Il a marqué des points sérieux à ce niveau.

L’opération conservatrice a été particulièrement cynique et ... facile. N’y avait-il pas, de la part des forces d’opposition, une surestimation radicale de la profondeur de la crise politique ? La crise parlementaire était bien réelle, mais la légitimité du changement de gouvernement n’était pas enracinée dans l’ensemble de la population, particulièrement au Canada anglais, et nulle part ces sentiments n’avaient pris des expressions de masse extraparlementaires significatives. C’est ce qui explique l’angle d’attaque du premier ministre Harper sur l’unité canadienne et sa capacité à repousser la crise parlementaire qui va bien sûr rebondir. C’est ce qui explique également que les sondages montrent qu’il sort gagnant de la crise, si on se fie aux intentions de vote pour une prochaine élection fédérale que révèlent les sondages.

La nature de cette coalition et son programme

Le Parti Libéral du Canada est entré dans cette Coalition pour des raisons de survie et par opposition au non-interventionnisme de principe du gouvernement Harper, alors que l’ensemble des gouvernements occidentaux ont déjà rejeté cet abstentionnisme économique.

Dans cette coalition, le PLC a imposé un programme qui s’inscrit dans la logique du G-20 . « Le gouvernement s’engage à travailler avec la communauté internationale, particulièrement avec les membres du G-20 afin d’élaborer une nouvelle architecture financière mondiale ». [1] Mais les plans du G-20 ne remettent aucunement en question la dérégulation du secteur financier. Le G20 a confié au FMI et à l’OMC, les promoteurs d’un modèle injuste et non viable, la fonction de les tirer de la crise actuelle. Les seules solutions proposées défendent l’intérêt des grands créanciers. Les populations et les pays pauvres n’ont toujours pas leur mot à dire.

Le plan commun de la coalition vise à « … stimuler activement l’économie. Il renferme également un engagement commun de revenir aux budgets excédentaires en quatre ans ». [2] C’est le principe de la responsabilité budgétaire lourde d’attaques futures contre les acquis de la population. Même le soutien promis aux familles est conditionné à l’état des finances… Pas fort.

Le NPD et le Bloc demandent des mesures pour aider les gens touchés par la crise économique afin de protéger les pensions et les revenus tirés des primes de l’assurance-emploi. Des priorités pour le soutien à la culture par l’annulation des compressions annoncées par le gouvernement conservateur. En somme, il y a très peu d’engagements clairs et chiffrés dans l’accord fondant la coalition. C’est compréhensible, elle est dirigée par un parti qui a coupé dans l’assurance-chômage, qui s’est attaqué aux libertés démocratiques par ses lois antiterroristes et qui a initié la désastreuse intervention en Afghanistan.

Et puis, il y a ce qui n’est pas écrit explicitement. « Afin de signer l’accord de coalition avec les libéraux, lundi, le leader du NPD, Jack Layton, a renoncé à la demande de son parti en faveur de l’annulation d’un projet de réduction de l’impôt sur les sociétés. » [3] Plus grave encore... « Le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair, a affirmé mercredi que la formation cesserait de s’opposer à la guerre menée par le Canada en Afghanistan tant qu’elle fera équipe avec les libéraux. Il s’agit d’une concession significative pour un parti qui a été le porte-étendard du mouvement pour la paix au pays. M. Mulcair, unique député néo-démocrate au Québec, a indiqué que « le NPD met de côté les divergences d’opinion qui ont toujours existé avec les libéraux au sujet de questions telles que l’Afghanistan ». [4]

C’est une entente minimaliste compte tenu de l’ampleur de la crise, qui reprend essentiellement comme cadre d’intervention les positions élaborées par les États du G-20 pour viser à maintenir un modèle de développement qui nous a menés à cette crise en y ajoutant un interventionnisme entièrement tourné vers le soutien au grand capital. C’est une entente qui ne dit pas un mot sur le retrait des troupes canadiennes, sur les sommes colossales qui y sont dépensées et qui se tait sur le caractère inacceptable de cette intervention.

Cette coalition va-t-elle tenir la route ?

Le Parti Libéral du Canada est en crise de direction. Stéphane Dion a été éjecté de son poste de chef du Parti libéral du Canada. Déjà le Parti libéral a décidé qu’il n’allait pas élaborer un budget alternatif à celui que doivent présenter les Conservateurs le 26 janvier prochain. Va-t-il participer aux consultations mises de l’avant par Stephen Harper pour élaborer son budget ? Sans aucun doute.

Pour le NPD, la coalition est encore une alternative gouvernementale et s’il y a de bonnes idées dans le budget conservateur, la Coalition devrait les faire siennes et les inclure dans le budget de la Coalition. Prendre le pouvoir comme coalition reste sa perspective. Pour le parti, il n’y a pas de retour en arrière possible.

Le Bloc va être le seul parti à tirer profit de l’épisode de la Coalition. Sa participation à la construction de cette dernière ne fut pas l’expression d’une quelconque confiance au PLC, mais de sa compréhension qu’une opposition conséquente au Parti conservateur est la source de sa force dans la population québécoise. Duceppe a bien compris que toutes les manœuvres cherchant à bousculer le Parti conservateur ne pourraient que renforcer sa propre légitimité et ses assises au Québec. Cela ne signifie pas qu’il définit par là une stratégie claire permettant de protéger réellement la population contre la crise. C’est là une tout autre affaire.

La Coalition est déjà tiraillée par les contradictions qui traversent le PLC et c’est la dynamique interne du PLC qui va sans doute conduire à son implosion.

Deux scénarios qui fusionnent en un !

Quelques scénarios sont possibles, mais ils mènent à une même conclusion. Les jours de la Coalition sont comptés.

1. Les libéraux votent pour le budget et refusent de défaire le gouvernement. Cette hypothèse s’appuie sur le fait que nombre de partisans du PLC à Bay Street n’ont pas apprécié que les libéraux s’allient avec le NPD de Layton et avec les souverainistes du Bloc. Cela se reflète dans la remise en question de la Coalition dans la députation du PLC dont l’ampleur est masquée actuellement par la discipline du Parti. Un tel vote est plausible, car il permettrait aux Libéraux de se donner du temps pour se reconstruire sous la direction d’un nouveau chef. De plus, les sondages récents montrent que Stephen Harper est celui qui a, jusqu’ici, le plus profité de la crise au Canada anglais et que les Libéraux ont donc une bonne côte à remonter. Des libéraux ont déjà soutenu que la porte n’est pas totalement fermée à un éventuel appui au budget de Stephen Harper même si les concessions, ont-ils affirmé, devront être nombreuses de la part du Premier ministre. Dans ce cas, la Coalition aura vécu.

2. Si le gouvernement conservateur bouge peu sur sa politique. Le gouvernement peut être défait et des élections seront déclenchées… Le premier ministre Harper se lancera en élections…Une coalition résisterait-elle à une élection ? Poser la question, c’est y répondre. Le PLC ne serait pas prêt à des ententes électorales avec le Bloc. Le NPD y verrait également un péril mortel pour lui, compte tenu de la polarisation nationale qui risque de se manifester durant la prochaine campagne électorale fédérale.

Quelle coalition construire pour faire face à la crise et aux conservateurs et à l’ensemble des forces fédéralistes

Les mouvements syndicaux ont choisi de se ranger derrière la coalition et de s’allier à un parti qui a mené une offensive d’envergure contre la majorité la population laborieuse ces dernières années. La seule perspective qui est devant les classes ouvrières et populaires et leurs organisations, ce n’est pas une coalition sans avenir, c’est l’indépendance de classe et l’unité des forces ouvrières et populaires à l’échelle de l’État canadien dans une lutte unitaire contre les partis du grand capital. Le NPD doit cesser de se lier les mains au Parti de Bay Street et aider à l’organisation de cette coalition ouvrière et populaire. Seules des actions d’ampleur massive et répétée pourront bloquer les attaques qui se préparent pour faire payer la crise économique du système capitaliste par la population. L’important pour les forces syndicales, populaires, féministes et écologistes, c’est de garder leur liberté d’action et de se coaliser sur leurs propres bases.

Nous devons construire des campagnes pour demander une révision complète en faveur des travailleuses et des travailleurs de l’assurance-emploi, la construction de logements sociaux et un meilleur système public de transport, le renforcement des pensions publiques, une régulation sévère des émissions de gaz à effet de serre, et pour appeler à un retrait immédiat des troupes canadiennes de l’Afghanistan.

La crise parlementaire à Ottawa n’a pas provoqué une remontée de l’effervescence nationaliste à la hauteur de celle provoquée par le rejet des accords du Lac Meech. Mais, la campagne de Harper a été une provocation inacceptable pour nombre de Québécoises et de Québécois. Mais, l’élargissement de la perspective de l’indépendance sera le produit de l’enracinement d’un projet sachant articuler projet social et capable de faire face à la crise qui vient. Il n’y aura pas de raccourci à ce niveau. La seule voie pour ce faire est de développer un parti qui fait le lien entre la lutte sociale et nationale à la place d’un parti dont la direction élitiste utilise les sentiments souverainistes pour s’accaparer le pouvoir provincial, pour se contenter de gérer comme le fait depuis longtemps le Parti québécois.

Notes
[1] Un accord politique pour rémédier à la crise économique, texte de la Coalition, premier décembre 2008

[2] idem

[3] La Presse, site de Cyberpresse, Mis à jour le 03 décembre 2008 à 20h32

[4] Cyberpresse, idem