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Écologie et socialisme

dimanche 30 mars 2008

I. Préface

Les problèmes écologiques s’étaient posés à l’humanité à d’autres époques, mais ils ont acquis à l’heure actuelle une qualité nouvelle à cause de leur ampleur et de leur gravité. Les dégâts causés à l’environnement ont souvent des effets irréversibles sur l’homme et la nature, et la crise écologique qui se profile à l’horizon du XXIème siècle met en danger la vie de millions de gens.

Contrairement aux courants dominants du mouvement ouvrier, qui ont ignoré ou minimisé les problèmes de l’environnement, les mouvements écologistes et les partis verts ont le mérite incontestable d’avoir posé ces questions décisives à l’ordre du jour. Mais les solutions qu’ils mettent en avant ne sont souvent que de fausses solutions du fait qu’elles ignorent le lien intrinsèque entre destruction de l’environnement et logique du profit capitaliste. Si on veut aborder sérieusement les dangers écologiques, il faut justement sortir du cadre fixé par la recherche du profit, dans la perspective d’une société socialiste, démocratiquement planifiée.

II. Données de la crise écologique

La crise écologique, comme résultat de l’action humaine sur la nature, a atteint un point où la survie de l’humanité est potentiellement en question. L’intérêt économique d’une petite minorité commande, d’une part l’apparition accélérée de nouvelles formes de production sans évaluation préalable de leurs conséquences écologiques, et d’autre part le maintien de techniques de fabrication pourtant reconnues comme nuisibles. Tout cela se produit alors que les progrès de la technologie augmentent les possibilités d’agir sur la nature, et donc aussi de la bouleverser et de la détruire.

La révolution industrielle liée à l’essor du capitalisme au XIXème siècle a accru très sensiblement la dissémination des déchets dans l’atmosphère, en portant sérieusement atteinte à la santé des travailleurs et des populations urbaines. Plus généralement, les ondes de choc écologiques d’origine humaine se sont multipliées.

Mais la crise écologique, telle que nous la connaissons, n’est pas la conséquence linéaire du développement industriel depuis le XIXème siècle. Elle est le résultat d’un saut qualitatif, enclenché à l’échelle mondiale par le boom économique capitaliste des années 1950 et 1960, par la généralisation massive de l’utilisation du pétrole et par le développement gigantesque de l’automobile, par le développement de l’industrie chimique et la généralisation de sa pénétration dans tous les secteurs d’activité, et en particulier dans l’agriculture avec les engrais et les pesticides. A partir des années 1970, ce saut qualitatif est devenu plus spectaculaire à la suite de la crise des économies bureaucratiquement planifiées et surtout, de façon particulièrement dramatique, à la suite de la combinaison de crise économique et d’industrialisation sauvage impétueuse dans le « Tiers-Monde ».

Les changements climatiques
Les activités humaines qui recourent aux combustibles fossiles (production d’énergie, transports), l’utilisation du bois de chauffe à usage domestique dans le « Tiers-Monde » et la déforestation dramatique qui en découle, ainsi que les activités agricoles, constituent une cause essentielle du réchauffement du climat en cours. Ces activités rejettent environ 7 milliards de tonnes par an de gaz à effet de serre (CO2, CH4, N2O, CFC) dans l’atmosphère, dont la moitié n’est pas recyclée par les océans ou les forêts. L’effet de serre, responsable du maintien de températures propices à la vie à la surface de la planète, s’en trouve déséquilibré, ce qui induit de graves perturbations du système climatique complexe de la planète, dont le réchauffement global n’est qu’un aspect. En 1989, il a été mesuré que la décennie 1980 avait été la plus chaude jamais enregistrée. En 2000, c’est la décennie 1990 qui est apparue comme la plus chaude jamais enregistrée ! Malgré ces données, il existe encore des forces bourgeoises pour nier l’importance décisive du changement climatique et la nécessité d’agir sans délai pour contrecarrer la hausse des émissions de gaz à effet de serre et limiter des conséquences déjà irréversibles. Les conséquences dans de nombreuses régions seront catastrophiques pour l’économie de vastes communautés humaines. Les perturbations du cycle atmosphérique de l’eau sont le plus à craindre, modifiant le régime des pluies et de l’évaporation, et augmentant le nombre et la brutalité des cyclones tropicaux. La remontée du niveau des mers est probable. Selon son ampleur, elle mettra en péril des zones insulaires et littorales précises.

Ce bouleversement climatique va se combiner, au vu des tendances prévisibles, avec la diminution continue de l’ozone stratosphérique et l’augmentation corrélative du flux de rayons ultraviolets solaires, cancérigènes, atteignant le sol. La destruction de la couche d’ozone est provoquée par les effets de l’accumulation dans la haute atmosphère de composés organo-halogénés, les chloro-fluoro-carbones (CFC), utilisés principalement dans l’industrie du froid et les bombes aérosols. Même si leur interdiction est aujourd’hui presque complète, les CFC déjà émis sont loin d’avoir terminé leurs effets destructeurs prévus jusqu’en 2060.

Les changements globaux dans les régulations au sein et entre les principales composantes de l’environnement terrestre (atmosphère, océans, biosphère...) vont se répercuter tout au long du XXIème siècle, sur des échelles de temps variables mais en général très supérieures aux échelles de temps prises en compte dans les activités humaines qui en sont à l’origine. Ce fait souligne l’urgence d’intégrer les enjeux écologiques dans l’organisation d’ensemble des sociétés.

La pollution de l’air
Une grande variété de substances toxiques est disséminée dans l’air par les industries, les transports ou la dégradation de biens de consommation plus ou moins durables. La croissance débridée, et apparemment incontrôlable, de la circulation automobile en fait la principale source de dioxyde de soufre et d’oxydes d’azote, qui devance nettement les chauffages domestiques et industriels. L’aldéhyde formique, le mercure et l’amiante, par exemple, sont des polluants industriels, mais ils sont présents également, dans une mesure très importante, dans des biens de consommation courants, des matériaux de construction pour le formaldéhyde et l’amiante, des piles électriques (mercure).

La concentration de ces toxiques dans l’air des villes peut être mille fois plus grande que celle dans l’air des campagnes. La pollution de l’air est devenue un véritable fléau des grandes concentrations urbaines, aussi bien celles des pays riches que celles particulièrement gigantesques et anarchiques des pays pauvres. Elle provoque en milieu urbain une augmentation alarmante des maladies respiratoires : asthme, bronchite, cancers pulmonaires. Des études européennes ont révélé que plusieurs dizaines de milliers de décès par an étaient attribuables à la pollution des grandes métropoles de l’Europe de l’Ouest.

L’amiante est à l’origine de nombreux cancers mortels chez les ouvriers des chantiers navals et du bâtiment. A cause du temps d’incubation de ces cancers, le nombre annuel de décès augmente très rapidement et révèle l’ampleur du problème : plus de 100 000 décès liés à une exposition à l’amiante sont attendus rien qu’en France dans le premier quart du XXIème siècle. La dénonciation des dangers de l’amiante a entraîné une réduction très forte de son usage dans les pays industrialisés riches, et son remplacement par d’autres substances ; mais dans le « Tiers-Monde » son usage croît massivement.

Le dioxyde de soufre et les oxydes d’azote sont la cause de l’acidification des pluies qui joue un grand rôle dans la dégradation des forêts tempérées de l’hémisphère nord.

La pollution de l’eau et la dégradation des sols
Les déchets, tant d’origine domestique qu’agricole ou industrielle, débouchent sur les eaux de la planète qui servent ainsi de gigantesques égouts. Les eaux continentales, fleuves et lacs, sont les plus touchées, mais par les fleuves et les villes côtières cette pollution s’étend de plus en plus à la mer. Les conséquences les plus graves en sont l’accumulation de métaux lourds, mercure, cadmium, etc., et de composés organiques, hautement toxiques, dans les sédiments de fond, et surtout l’accumulation dans les eaux de substances engraissantes, nitrates et phosphates, qui provoquent la prolifération débridée d’algues et de végétaux aquatiques dont la décomposition épuise ensuite l’oxygène dissous dans l’eau : d’où une hécatombe d’êtres vivants aquatiques.

L’état des océans s’aggrave rapidement. L’augmentation du trafic maritime mondial est en cause, d’autant plus que l’état de délabrement de nombreux navires provoque des pertes importantes. La recherche systématique du plus bas coût par les multinationales pétrolières est directement responsable de catastrophes comme les naufrages de l’Exxon Valdez, de l’Erika ou du Prestige. A la pollution visible des marées noires — 70 pétroliers ont fait naufrage en 1996 — s’ajoutent la quantité astronomique de pétrole qui s’échappe des forages sous-marins et le dégazage des bateaux. La mer est aussi utilisée pour y décharger des déchets toxiques, chimiques et radioactifs.

La pollution des eaux est liée à celle des sols, à la fois cause et conséquence de certaines pollutions des eaux et de l’air. On voit là toutes les conséquences de pratiques agricoles imposées par la pression du marché : exploitations intensives (abus d’engrais et de pesticides), monocultures, cultures inadaptées aux écosystèmes et climats locaux, etc. L’industrie de guerre, avec ses munitions radioactives, ses sous-marins nucléaires coulés, et ses mines qui rendent la terre inutilisable, contribue à cette dégradation. C’est à une destruction massive des sols à l’échelle planétaire que l’on assiste, dans laquelle se combinent pollution, épuisement, désertification, érosion massive, et qui s’interpénètre avec les causes économiques et sociales de la faim qui frappe 800 millions d’habitants du « Tiers-Monde ».

La destruction des forêts
Parmi les manifestations les plus dramatiques de la crise écologique, la destruction mondiale des forêts est particulièrement inquiétante, à cause de l’ampleur de ses conséquences. En 50 ans, un tiers des surfaces forestières de la planète a disparu. Elle frappe principalement les pays tropicaux. Dans les pays industrialisés, la surface forestière reste assez stable mais est atteinte d’un lent dépérissement dû à la pollution de l’air, des eaux et des sols. Par contre, dans le « Tiers-Monde » c’est le déboisement qui caractérise la crise écologique. La déforestation s’instaure dans un cercle vicieux entre pauvreté et dégradation des sols arables. Autre responsable, la surexploitation des bois tropicaux, sans aucune préoccupation de gestion durable, qui détruit la biodiversité — les forêts tropicales abritent plus de 50 % des espèces végétales et animales de la planète — et les ressources des populations forestières pour alimenter, à moindre coût, les marchés occidentaux de la construction ou de l’ameublement.

De plus, depuis 1997, une recrudescence d’incendies frappe l’Amazonie, l’Amérique centrale, la Russie ou l’Asie du Sud-Est. En Indonésie, des feux de forêt gigantesques, qui ont détruit 10 millions d’hectares en 3 ans, ont affecté 70 millions de personnes et ont coûté plus de 4,5 milliards de dollars. A l’échelle de la planète la déforestation aggrave l’effet de serre.

La biodiversité menacée
L’existence de dizaines de milliers d’espèces est menacée par les atteintes innombrables que subissent les écosystèmes. Un quart de la biodiversité mondiale pourrait ainsi disparaître d’ici 25 ans. Dans certains cas, ces atteintes peuvent entraîner la déstabilisation des équilibres environnementaux avec des conséquences incalculables sur les conditions de vie de l’espèce humaine.

La biodiversité doit être défendue, non par posture sentimentale ou esthétique, mais au nom de l’espèce à laquelle nous appartenons. Ne maîtrisant pas les conséquences des changements irréversibles qu’il peut faire subir à l’environnement, l’homme doit veiller à déployer ses activités dans le cadre d’une nature dont les équilibres écologiques sont respectés.

Le capitalisme, qui se soucie de la pollution comme d’une guigne, qui exploite les ressources avec l’unique objectif d’une rentabilité immédiate quitte à menacer l’existence même des forêts tropicales, véritables réservoirs d’espèces animales et végétales, ou la vie marine, qui s’empare d’innovations technologiques sans se soucier aucunement de leur possible impact écologique comme dans le cas des organismes génétiquement modifiés (OGM) — dont la dissémination dans l’environnement est un processus irréversible et potentiellement dangereux — doit être mis en cause dans ses fondements par quiconque entend protéger les équilibres écologiques existant.

La production d’organismes génétiquement modifiés, au lieu de rester une technique de laboratoire, s’est imposée comme l’une des biotechnologies-clé utilisées par le capitalisme pour trouver de nouveaux débouchés et étendre son emprise au niveau le plus intime et jusqu’ici hors de sa portée d’une activité humaine millénaire : la reproduction et le contrôle génétique des espèces végétales et animales.

Les catastrophes industrielles et le risque nucléaire
Les conséquences écologiques désastreuses de la production capitaliste se manifestent également sous forme d’accidents de grandes dimensions, ou de risque potentiel de tels accidents, dans des installations industrielles telles que les usines chimiques et les centrales nucléaires. La catastrophe de Bhopal, ses 15 000 morts et les souffrances des victimes de l’isocyanate de méthyle qui décèdent encore par centaines chaque année, en est, avec Tchernobyl, un des exemples les plus tragiques.

A cause de sa nature spécifique, de la portée incalculable de ses effets néfastes possibles, et surtout de la persistance de ces effets à très long terme, et du fait que des solutions alternatives existent, le nucléaire apparaît à juste titre comme une illustration particulièrement angoissante des choix aberrants qui sont faits en matière de développement des forces productives.

Le risque radioactif ne se limite pas au risque d’accident majeur. L’industrie nucléaire n’a toujours pas résolu, après 40 années d’existence, le problème du stockage des déchets nucléaires. Menacée de déclin, elle se cherche des vertus écologiques pour relancer de nouveaux programmes électro-nucléaires, aujourd’hui en panne. L’atome serait la solution pour réduire les émissions de CO2. Cette assertion occulte les dangers de la pollution radioactive (rejets autorisés ou accidentels) et le fait que les transports sont de loin la première source de CO2. De plus, un tel système énergétique, peu flexible, basé sur de grandes unités de production et la construction de centaines de nouvelles centrales, monopoliserait les investissements au détriment d’autres systèmes (économie d’énergies, énergies renouvelables), encouragerait le gaspillage énergétique lié aux surcapacités de production et aux pertes sur les réseaux de distribution, et perpétuerait un modèle de développement néfaste à long terme.

A ce risque permanent s’ajoutent les agressions impérialistes qui ont des conséquences écologiques très graves du fait de la puissance de destruction des armes utilisées, de leur potentiel de pollution durable : les guerres du Viêt-nam, du Golfe et de Serbie-Kosovo en témoignent.

* * *

Tous les éléments de cette crise écologique, loin de créer de nouvelles urgences qui marginaliseraient les problèmes économiques, sociaux et politiques « traditionnels », s’y trouvent au contraire étroitement mêlés.

La crise écologique se manifeste comme un phénomène dramatique qui s’étend, provoquant non seulement des catastrophes locales et partielles, dans certains cas irréversibles, dans d’autres réversibles à court ou à moyen terme, ou à l’échelle de 2-3 siècles (l’âge de nombreux arbres) mais générant aussi des dangers globaux, telle la menace de réchauffement climatique ou la réduction de biodiversité. Tout dépend de ce qui sera consciemment entrepris par les communautés humaines.

III. Les causes structurelles de la crise écologique

Bien qu’il ne puisse se soustraire aux lois de la nature, le mode de production capitaliste est à différents points de vue en contradiction fondamentale avec la nature et les processus d’évolution naturels. Pour le capital, seul l’aspect quantitatif, qui détermine la relation temps de travail/argent dans le cadre de la loi de la valeur, est décisif : des relations qualitatives et globales ne peuvent être prises en considération.

La production capitaliste est basée sur des processus cycliques à réaliser dans les délais les plus courts possibles pour que le capital avancé puisse augmenter. Elle doit donc imposer aux processus naturels un rythme et un cadre qui leur sont étrangers. L’exploitation des ressources naturelles ne peut pas prendre en considération le temps nécessaire à leur formation et à leur renouvellement. L’extension de la production marchande ne peut pas respecter les modes d’organisation sociale préexistants. L’occupation de l’espace nécessaire au bon déroulement de la production, de l’approvisionnement en énergie et de la distribution, doit se faire sans tenir compte de l’environnement naturel, de la faune ou de la flore. Ce n’est donc pas un manque de sagesse du capitalisme qui entraîne la destruction de l’environnement, mais précisément la rationalité qui lui est propre. Voilà pourquoi les sociaux-démocrates qui revendiquent une « croissance qualitative » sont empêtrés dans la logique du capital : croissance qualitative et loi de la valeur s’excluent l’une l’autre.

La rationalité capitaliste détermine le mouvement des capitaux individuels. Mais la concurrence des capitaux entre eux rend irrationnel le système dans son ensemble : l’intelligence mise en œuvre pour améliorer la production, tout comme pour économiser les matières premières, s’arrête aux portes de l’entreprise. C’est l’environnement qui en fait les frais dans tous les domaines pour lesquels « personne » ne se sent responsable : pollution des eaux, de l’air et de la terre. En outre, la concurrence entraîne des crises de surproduction périodiques qui révèlent qu’une quantité considérable d’énergie et de matière a été investie dans des marchandises qui ne se vendent pas. De surcroît, le marché pousse à la fabrication de produits superflus du point de vue de la valeur d’usage (publicité, drogues diverses, armements, etc.) mais dont la valeur d’échange rapporte de gros profits. La concurrence et la course aux profits et aux surprofits sont en fin de compte à l’origine d’agissements criminels, reconnus comme tels par la législation capitaliste elle-même : non-respect de la réglementation sur l’environnement, utilisation de substances toxiques, tests de qualité insuffisants, falsification d’indications de contenu, abandon de déchets dans des décharges sauvages, etc.

Le terme de productivisme, popularisé par le mouvement écologiste, traduit, parfois de manière confuse, un aspect de l’irrationalité du système capitaliste. Au lieu d’être source de progrès social, le développement de la productivité se traduit par une intensification de l’exploitation de la force de travail, des choix de production déconnectés des besoins sociaux et des impératifs écologiques, et des crises chroniques de surproduction. La production, dans une marche aveugle, fonctionne comme si elle était à elle-même son propre but.

La crise écologique dans les métropoles impérialistes
C’est dans les pays capitalistes développés que l’exploitation économique, c’est-à-dire le processus de quantification économique du substrat naturel, social et historique préexistant est la plus avancée. La production de marchandises régit désormais tous les secteurs de la vie sociale, tandis que le processus social de production se trouve de plus en plus parcellisé et les rapports de propriété, que la concurrence entre propriétaires de moyens de production empêche de se figer complètement, de plus en plus centralisés.

Dans tous les pays impérialistes, ceci a mené aux mêmes problèmes écologiques majeurs, une preuve de plus que ces problèmes ne sont pas à considérer comme des « pannes » ou des « ratés », mais qu’ils correspondent à cette logique du système partout dans le monde.

La privatisation des services publics, l’expansion incontrôlée des villes et leur « bétonisation » conduisent à une terrible dégradation de l’environnement urbain, avec la disparition des espaces verts et la destruction des bois et des forêts par les routes et autoroutes. L’exploitation, presque achevée du dernier centimètre carré au profit d’une zone industrielle, d’un centre de commerce, d’une cité-dortoir, d’un parc de loisirs ou d’une zone administrative a allongé continuellement les déplacements nécessaires alors que la structure des besoins reste sensiblement la même. La politique des transports, basée sur la voiture individuelle à essence, a pour conséquence un surnombre chronique d’automobiles et menace toutes les grandes agglomérations de paralysie et/ou d’asphyxie.

En particulier dans le domaine de l’énergie, les rapports de propriété centralisés ont dicté la construction de grandes centrales à combustibles fossiles ou nucléaires : un choix néfaste pour l’atmosphère et en même temps tout à fait irrationnel du point de vue d’une utilisation économique de l’énergie.

L’irrationalité du marché et la recherche du profit sont responsables de façon décisive du problème des déchets. Il est de plus en plus « avantageux » pour chaque entreprise de jeter, de mettre à la décharge ou de brûler ce qui est inutile à la production. Ainsi, les montagnes de déchets, en particulier de déchets toxiques, sont presque devenues un symbole de la société de surabondance capitaliste. Sans parler du problème monumental posé par les déchets nucléaires militaires et des destructions de l’environnement provoquées par les guerres — notamment par les expéditions militaires impérialistes. Le capitalisme n’est pas à même de corriger ces « excès ».

Les conséquences de ces problèmes écologiques fondamentaux sont : la destruction des sites naturels et l’urbanisation envahissante, le surencombrement des routes, la pollution de l’air due à la voiture individuelle, l’empoisonnement par l’industrie chimique, la pollution radioactive due à l’énergie nucléaire, les montagnes de déchets de plus en plus grandes. Le capitalisme n’est pas à même de corriger ces « déviations ». Si les ressources naturelles, comme l’eau, le bois, les sols, sont « librement » disponibles, sous le capitalisme elles sont usées, gaspillées et polluées, le plus souvent sans contrôle. Elles sont — et pas seulement au sens économique — des « facteurs exogènes ». Elles restent conditionnées, c’est-à-dire qu’elles sont l’objet de la recherche de profit privé. En d’autres termes, la nature limitée des ressources n’est perçue que par ceux qui sont contraints à les acheter. Ceux qui les vendent, ont un intérêt fondamental à l’expansion et s’opposent à toute tentative de les économiser.

Toute tentative de correction va à l’encontre de la campagne actuelle des capitalistes en faveur d’une plus grande dérégulation ; ou bien elles ne sont concevables qu’en partant de la prémisse fausse que la loi de la valeur serait à même de distinguer d’une manière quelconque entre de « bons » profits (respectant l’environnement) et de « mauvais » profits. Ainsi, les pays impérialistes sont condamnés à un rafistolage toujours en retard sur les problèmes, qui peut obtenir quelques succès tout au plus au niveau de remèdes ou de limitations partielles comme l’obligation d’installer des filtres pour l’épuration des eaux et de l’air, etc.

La production capitaliste, par ailleurs, façonne ses consommateurs. Ainsi, le comportement des individus est un facteur qui aggrave la crise écologique et entrave la sortie de celle-ci. Un exemple flagrant est ce que l’on pourrait désigner comme « la dictature automobile », c’est-à-dire le système, écologiquement catastrophique, de la voiture individuelle, promu par le marketing de l’industrie automobile, par l’idéologie individualiste bourgeoise, par la dégradation délibérée des transports publics, mais aussi par la structure urbaine des grandes villes, qui oblige les travailleurs à des grands déplacements. Des changements individuels de comportement ne peuvent cependant exercer qu’une influence minime sur la nature fondamentalement destructrice de l’environnement de la production capitaliste.

La crise écologique dans les pays dépendants
La conclusion lucide d’une étude de l’organisation de l’ONU pour l’environnement selon laquelle les problèmes écologiques du « Tiers-Monde » sont des problèmes de pauvreté, est parfaitement juste si l’on n’oublie pas que cette pauvreté n’est pas le résultat d’une fatalité, mais de la politique et de l’action économique des pays impérialistes. S’il est possible, en défigurant les faits, de présenter la crise de l’environnement dans les pays impérialistes comme la conséquence d’une société d’abondance et non comme le résultat de l’économie de marché, dans les pays dépendants d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, le rapport entre crise économique et crise écologique est absolument transparent. Pour des millions d’êtres humains, la destruction croissante de l’environnement et de la biosphère et la lutte quotidienne pour survivre font partie de la même expérience directe. Plus de 800 millions de personnes sont sous-alimentées, 40 millions meurent chaque année de faim ou de maladies dues à la malnutrition. Près de 2 milliards ne connaissent pas d’approvisionnement régulier en eau potable propre ; 25 millions en meurent chaque année. Un milliard et demi d’êtres humains souffrent d’un manque aigu de bois de chauffage qui est souvent leur seule source d’énergie. La nourriture, l’eau et le combustible pour se chauffer, ces trois éléments essentiels de l’existence physique de l’homme, sont très largement insuffisants dans cette partie du monde. L’ONU estime de plus qu’environ 500 millions d’hommes sont des « réfugiés de l’environnement », forcés de quitter leur région d’origine suite à la sécheresse, aux inondations, à l’érosion des terres, à l’extension de l’agriculture orientée vers l’exportation, etc. C’est un fait : la crise écologique dans ces parties du monde n’est pas une « bombe à retardement », ou un problème pour le futur, mais une crise existentielle bien réelle déjà aujourd’hui.

La principale cause de la misère et de la crise écologique, c’est le mode de production capitaliste. Les structures bien connues de dépendance de l’impérialisme et du marché mondial dominé par celui-ci ont soumis la nature des pays dominés à une exploitation économique beaucoup plus directe et brutale que dans les pays impérialistes. C’est le cas, par exemple, de l’exportation vers le Sud des déchets industriels ou nucléaires des pays capitalistes avancés, transformant ceux-ci en gigantesques poubelles de matériaux toxiques et/ou irradiés. Ou encore de la biopiraterie des entreprises capitalistes — notamment pharmaceutiques — qui s’approprient et mettent sous brevet les connaissances traditionnelles des populations indigènes.

La destruction de l’environnement suivant les besoins du marché mondial et les intérêts des multinationales y est en contradiction encore plus flagrante avec les structures sociales et les modes de vie hérités de leur histoire. Dans tous ces pays, l’impérialisme a façonné les territoires en imposant une infrastructure construite presque exclusivement autour des centres d’activité économique dépendants du marché mondial. C’est sur cette base que sont choisis les « centres de matières premières », les centres d’affaires, les zones touristiques, les plantations et les pâturages pour une production orientée vers l’exportation. L’énorme pression sur les hommes victimes de ces processus, le refoulement des modes de vie différents et de fonctions sociales « dépassées » vers les régions marginalisées du pays, ont été et sont encore sans commune mesure avec les bouleversements dont l’homme et l’environnement souffrent, à la suite de processus déterminés par d’autres, dans les métropoles capitalistes.

Du point de vue écologique, aussi, on peut donc constater l’effet fatal de la loi du « développement inégal et combiné » dans les pays dépendants. Le marché mondial porte sa dynamique destructrice pour l’environnement et ses contradictions les plus déchirantes même dans les coins les plus « arriérés » du monde. Et son action y est incomparablement plus dévastatrice, les forces qui s’y opposent incomparablement plus faibles. On peut distinguer une série de caractéristiques structurelles de ce mécanisme :

— L’exploitation directe de matières premières pour le marché mondial (minerais, bois, coton, caoutchouc, etc.) et le développement parallèle d’infrastructures, de routes, de voies ferrées, de centrales énergétiques, etc. ;

— La transformation de terres en terrains agricoles ou en pâturages destinés à la production pour l’exportation, par le truchement d’une politique de défrichements, qui comporte une grande dépendance des engrais chimiques et des pesticides avec la pollution qui en découle.

Ces deux processus, font du problème de la terre la question la plus brûlante dans la plupart des pays dépendants. La voracité des entreprises d’agrobusiness et les politiques d’ajustement néolibérales conduisent au déboisement ou à l’incendie des forêts tropicales, l’usure, l’érosion ou la destruction des couches de terre fertiles, renforçant le risque de modification du climat et l’intensification des « catastrophes naturelles ». Ce sont souvent les communautés indigènes qui se mobilisent pour protéger l’environnement — en Amazonie, en Équateur, en Inde — et agissent comme gardiennes du patrimoine naturel de l’ensemble de l’humanité, en luttant contre les dégâts causés par les multinationales.

Une urbanisation provoquée par une structure économique spécifique et le problème de la terre constituent un autre grave danger. Suivant les estimations de l’ONU, les villes dans les pays dépendants grandissent trois fois plus vite que celles dans les pays capitalistes industrialisés. Dans ces villes, les problèmes urbains bien connus sont encore plus catastrophiques pour la nature et la vie. La pollution de l’air par le trafic automobile et le chauffage domestique sont une menace aiguë. La qualité de l’approvisionnement en eau propre et des eaux épurées représente le deuxième problème des villes dans les pays dépendants. L’élimination des déchets est le troisième. Dans la plupart des grandes villes d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, les ordures sont simplement entassées ou brûlées à ciel ouvert.

Le problème des pays dépendants qui est actuellement le plus souvent souligné, est celui de la dette vis-à-vis des banques et des gouvernements impérialistes. Sur la période 1990-1995, la déforestation dans les 33 pays africains classés parmi les pays pauvres les plus endettés a été de 50 % supérieure aux destructions de forêts dans les autres pays africains, et de 140 % supérieure comparé au niveau moyen de déforestation dans le monde. Parallèlement, il n’y a pas de moyens pour financer des mesures de conservation de la nature. Les institutions financières internationales, comme la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, font payer de plus en plus à l’homme et à la nature les conséquences de l’endettement. Dans le secteur agricole, l’austérité imposée par les plans d’ajustement structurel a entraîné la suppression des subventions garantissant les prix et la libéralisation des marchés agricoles. Le défaut d’investissement public accentue les problèmes d’infrastructures pour les transports ou l’irrigation. Depuis 1994, les accords de l’OMC ont encore accéléré le démantèlement de l’agriculture des pays dépendants. La recherche effrénée de revenus d’exportation, aux dépens des cultures vivrières, provoque des crises de sous-alimentation dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie. La pauvreté aiguë et l’exode rural augmentent tandis que l’environnement se détériore constamment.

Tout cela est cyniquement complété par une série de destructions directes de la nature et de crimes écologiques commis par les multinationales impérialistes. Ainsi, des unités de production dangereuses (surtout dans l’industrie chimique) sont transférées dans les pays dépendants. Là, non seulement la main-d’œuvre est bon marché, mais l’environnement peut aussi être impunément pollué.

Les gouvernements de la plupart des pays dépendants sont impuissants devant la crise écologique. Leur attachement aux intérêts impérialistes et leurs propres privilèges ou intérêts de classe prolongent la dépendance économique et la crise écologique. Même certains programmes d’aide internationale (contre la faim, contre les catastrophes écologiques ou les projets récents d’une annulation partielle de la dette en échange de mesures de protection de l’environnement) ne font souvent que contribuer à l’enrichissement des élites au pouvoir.

La solution de la crise écologique dans les pays dépendants est inconcevable sans rupture de la dépendance de l’impérialisme. La recherche, face aux problèmes sociaux urgents, d’une « modernisation » par les crédits et l’endettement a été une erreur qui n’a fait que détériorer davantage la situation . Ceci est d’autant plus vrai pour la crise écologique. Des millions d’hommes sont contraints par la pauvreté et la dépendance économique à un comportement quotidien extrêmement destructeur de l’environnement, mais sans lequel leur simple survie ne serait pas possible. Le processus de révolution anti-impérialiste, de révolution permanente dans les pays dépendants devra donc aborder les problèmes écologiques d’une manière consciente, les intégrer dans le programme de lutte contre le pillage capitaliste. C’est la condition pour construire avec succès des rapports de production alternatifs, socialistes.

La crise écologique dans les anciennes sociétés bureaucratisées
Malgré la disparition de l’URSS et de la plupart des sociétés se réclamant du modèle soviétique, il est nécessaire de revenir brièvement sur leur politique face à l’environnement. Le bilan écologique de l’URSS et des pays ayant un régime de planification bureaucratiquement centralisée, est égal, sinon pire que celui des métropoles impérialistes, notamment pour ce qui est de la pollution de l’air, des eaux et des terres, du nucléaire — Tchernobyl ! — et des problèmes des grandes agglomérations urbaines.

L’une des raisons de cette situation est le fait que ces sociétés n’aient pu surmonter que partiellement la loi de la valeur capitaliste et les contraintes objectives sur la production qu’elle comporte. Dans de nombreux secteurs-clés de la production, la dépendance du capitalisme et du marché mondial était toujours présente. L’exploitation des ressources naturelles pour une économie d’exportation ainsi que la dépendance de produits et de technologies provenant des industries capitalistes ont provoqué, dans ces sociétés aussi, une destruction inévitable de l’environnement. Et ceci d’une manière comparable à celle des pays dépendants.

L’économie planifiée a été une tentative de développer une économie qui soit directement sociale. En opposition au capitalisme où ce n’est qu’au niveau du marché qu’on vérifie l’utilité du travail, c’est-à-dire la possibilité d’en vendre le produit, les sociétés non-capitalistes ont essayé de déterminer et de planifier les besoins sociaux avant la production. Il est évident que cette tentative ne peut réussir que si tous les besoins et intérêts spécifiques des hommes sont intégrés dans un processus global de réflexion et de décision démocratique . Lorsqu’il s’agit de répartir quelque chose qui manque réellement, la démocratie devient d’autant plus une nécessité vitale. La bureaucratisation des sociétés de transition a cependant aboli systématiquement la démocratie. La multitude de besoins sociaux et nationaux, culturels et économiques des hommes fut standardisée, normalisée et intégrée par la force dans un plan central dicté d’en haut. Comme tout aspect qualitatif était enterré avec la démocratie, les caractéristiques déterminantes de ce plan ne pouvaient qu’être des normes et des taux de croissance quantitatifs. Ainsi, les sociétés de transition ont fait une priorité, parfois même plus que les sociétés capitalistes, de l’augmentation quantitative de la production, l’augmentation étant ordonnée par décrets et imposée par la répression. La protection des ressources et de l’environnement n’entrait dans de tels plans, tout au plus, que sous forme quantitative (nombre de stations d’épuration, de filtres, dépenses de certains budgets, etc.). Cette planification était dès le départ truffée d’erreurs et d’immenses fautes de planification (avec un gâchis correspondant de ressources) qui, faute de contrôle social, n’étaient repérées qu’au moment où elles étaient reconnues d’« en haut ».

En outre, les différentes parties du plan correspondaient aux intérêts des différentes fractions de la bureaucratie qui le fixaient. Ainsi est né ce système de gigantisme si caractéristique pour l’URSS et les autres États bureaucratisés. Plus grands, plus vastes et plus centralisés sont les projets (exemple : détournement des fleuves sibériens), plus cela signifie de pouvoir pour les bureaucrates. On a vu apparaître des bureaucrates préoccupés de la défense de l’environnement depuis les années 1970, mais ils étaient sans influence et restaient enfermés dans de petits départements annexes.

L’idéologie de la bureaucratie a prôné comme une obligation l’optimisme et la foi dans le progrès. Les bureaucrates avançaient la perspective de la « concurrence entre les deux systèmes » et du « dépassement » des sociétés capitalistes. Dans ce sens, des modèles de consommation et de modernisation capitalistes catastrophiques pour l’environnement étaient valorisés et adoptés comme valeurs idéologiques contribuant à déterminer le cadre du plan. Seuls des modèles basés sur une quantification des ressources naturelles (c’est-à-dire, des modèles comparables à ceux d’économistes bourgeois conservateurs) étaient acceptés par la bureaucratie.

Il va sans dire que la crise écologique ne pourra que s’aggraver dans le contexte de pillage économique et de capitalisme sauvage qui règne en Russie depuis la disparition de l’URSS, avec la bénédiction des puissances occidentales et du FMI.

Le cas de Cuba est différent, dans la mesure où, pour des raisons de nécessité, mais aussi par conviction écologique, l’économie planifiée s’éloigne, à partir des années 1990, du modèle soviétique productiviste et éco-destructeur. Le même vaut pour le remplacement partiel des voitures par les bicyclettes dans la circulation urbaine.

IV. Mouvement ouvrier et écologie

Les écologistes accusent Marx et Engels de productivisme. Cette accusation est-elle justifiée ?

Non, dans la mesure où personne n’a autant dénoncé que Marx la logique capitaliste de production pour la production, l’accumulation du capital, des richesses et des marchandises comme but en soi. L’idée même de socialisme — au contraire de ses misérables contrefaçons bureaucratiques — est celle d’une production de valeurs d’usage, de biens nécessaires à la satisfaction de nécessités humaines. L’objectif suprême du progrès technique pour Marx n’est pas l’accroissement infini de biens (« l’avoir ») mais la réduction de la journée de travail et l’accroissement du temps libre (« l’être »).

Cependant, il est vrai que l’on trouve parfois chez Marx ou Engels — et encore plus dans le marxisme ultérieur — une tendance à faire du « développement des forces productives » le principal vecteur du progrès, et une posture peu critique envers la civilisation industrielle, notamment dans son rapport destructeur à l’environnement. Le passage suivant des Gründrisse est un bon exemple de l’admiration trop peu critique de Marx pour l’œuvre « civilisatrice » de la production capitaliste, et pour son instrumentalisation brutale de la nature : « Le capital commence donc à créer la société bourgeoise et l’appropriation universelle de la nature et établit un réseau englobant tous les membres de la société : telle est la grande action civilisatrice du capital. Il s’élève à un niveau social tel que toutes les sociétés antérieures apparaissent comme des développements purement locaux de l’humanité et comme une idolâtrie de la nature. En effet la nature devient un pur objet pour l’homme, une chose utile. On ne la reconnaît plus comme une puissance. L’intelligence théorique des lois naturelles a tous les aspects de la ruse qui cherche à soumettre la nature aux besoins humains, soit comme objet de consommation, soit comme moyen de production. »

Par contre, on trouve aussi chez Marx des textes qui mentionnent explicitement les ravages provoqués par le capital sur l’environnement naturel — témoignant d’une vision dialectique des contradictions du « progrès » induit par les forces productives — comme par exemple le célèbre passage sur l’agriculture capitaliste dans le Capital : « Ainsi elle détruit et la santé physique de l’ouvrier urbain et la vie spirituelle du travailleur rural. Chaque pas vers le progrès de l’agriculture capitaliste, chaque gain de fertilité à court terme, constitue en même temps un progrès dans les ruines des sources durables de cette fertilité. Plus un pays, les États-Unis du Nord de l’Amérique par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce processus de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. »

Même chez Engels, qui a si souvent célébré la « maîtrise » et la « domination » humaines sur la nature, on trouve des écrits qui attirent l’attention, de la façon la plus explicite, sur les dangers d’une telle attitude, comme par exemple le passage suivant de l’article sur « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme » (1876) : « Nous ne devons pas nous vanter trop de nos victoires humaines sur la nature. Pour chacune de ces victoires, la nature se venge sur nous. Il est vrai que chaque victoire nous donne, en première instance, les résultats attendus, mais en deuxième et troisième instance elle a des effets différents, inattendus qui trop souvent annulent le premier. Les gens qui, en Mésopotamie, Grèce, Asie Mineure et ailleurs, ont détruit les forêts pour obtenir de la terre cultivable, n’ont jamais imaginé qu’en éliminant ensemble avec les forêts les centres de collecte et les réservoirs d’humidité ils ont jeté les bases pour l’état désolé actuel de ces pays. (...) Les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui est en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et à pouvoir nous en servir judicieusement. »

Il ne serait pas difficile de trouver d’autres exemples. Il n’en reste pas moins qu’il manque à Marx et Engels une perspective écologique d’ensemble. La question écologique est un des plus grands défis pour un renouveau de la pensée marxiste au seuil du XXIème siècle. Elle exige des marxistes une révision critique profonde de leur conception traditionnelle des « forces productives », et une rupture radicale avec l’idéologie du progrès linéaire ainsi qu’avec le paradigme technologique et économique de la civilisation industrielle moderne. Malgré ces faiblesses, la critique marxiste de l’économie politique capitaliste demeure fondatrice de tout projet émancipateur et le mouvement écologiste ne peut faire l’économie de s’y confronter.

Parallèlement au développement du réformisme dans les rangs du mouvement ouvrier, la réflexion critique de Marx et Engels concernant les menaces que fait peser la civilisation capitaliste sur la nature a été mise sous le boisseau. Tout comme il s’est intégré pas à pas dans la société bourgeoise en acceptant ses principales institutions (État, armée, lois, etc.), le réformisme a repris point par point les conceptions productivistes de celle-ci. Par exemple, vers le début du siècle, le Deutscher Metallarbeiterverband (DMV), organisation des ouvriers de la métallurgie, dominée par la social-démocratie, explique dans une prise de position significative : « Plus le développement de la technique sera rapide, plus vite le mode de production capitaliste aura atteint le point où il se bloquera lui-même et où il devra être remplacé par un mode de production supérieur. »

La social-démocratie et le stalinisme, malgré leurs désaccords sur beaucoup de questions, avaient en commun une conception productiviste de l’économie et une profonde insensibilité aux questions de l’environnement. Il faut reconnaître que les courants révolutionnaires en général — et la IVème Internationale en particulier — n’ont commencé à intégrer la problématique écologique qu’avec beaucoup de retard...

La persistance de catastrophes écologiques, la croissance de mouvements pour la protection de la nature, les succès partiels de ceux-ci, leurs tentatives de structuration politique (partis « verts »), etc. ont conduit à des différenciations à l’intérieur du mouvement ouvrier : dans une série de pays, des syndicats entiers ou du moins de fortes minorités en leur sein s’opposent à l’utilisation « pacifique » de l’énergie nucléaire — CGIL en Italie, mineurs britanniques — et font preuve d’une sensibilité accrue face aux questions écologiques : CUT au Brésil, SUD en France, les Commissions Ouvrières en Espagne, IG-Metall en Allemagne, etc.

On peut distinguer actuellement quatre courants dans les partis et syndicats qui se réclament des travailleurs :

a) La fraction « béton » qui veut continuer comme si rien ne s’était passé. Même cette fraction a dû procéder à des adaptations, vu les développements catastrophiques pour l’environnement. Elle revendique aujourd’hui des normes d’émissions et de réglementations nouvelles, mais plaide pour le maintien de l’énergie nucléaire. Sans modifier ses positions myopes, elle s’est pourtant déclarée d’accord avec des « réparations » écologiques, surtout si celles-ci ouvrent de nouveaux marchés.

b) Un courant technocratique qui croît pouvoir résoudre les problèmes écologiques par l’utilisation de technologies avancées (high-tech). En réalité, il ne s’agit le plus souvent que d’un simple transfert des problèmes : que faire, par exemple, des quantités énormes de résidus de filtrage, de boues d’épuration et autres déchets ? Peter Glotz du SPD allemand plaide en faveur d’une coopération avec la fraction « end of the pipe technology » du grand capital : par une alliance entre « la gauche traditionnelle, les élites techniques et les minorités critiques des capitalistes bien orientés en matière de croissance », une innovation socialement dirigée pourrait être réalisée. Il rejette expressément la remise en cause de la propriété privée des moyens de production.

c) Le troisième courant qu’on pourrait appeler « réformiste écologique », craint lui aussi de parler des rapports de production. Une fois de plus, on prétend qu’il serait possible de débarrasser le capitalisme, traité pudiquement de « société industrielle », d’une de ses excroissances, en l’occurrence, de ses péchés écologiques. Erhard Eppler, en tant que président de la « commission des valeurs fondamentales » du SPD allemand, a pu expliquer : « Plus que jamais, la tâche de la social-démocratie est donc de procéder, par une nouvelle politique de réformes, à des corrections démocratiques, humaines et écologiques de la société industrielle. »

d) Le quatrième courant, plutôt minoritaire, mais loin d’être négligeable, c’est l’éco-socialisme, qui intègre les acquis fondamentaux du marxisme — tout en le débarrassant de ses scories productivistes. Les éco-socialistes ont compris que la logique du marché et du profit (de même que celle de l’autoritarisme techno-bureaucratique des défuntes « démocraties populaires ») sont incompatibles avec les exigences écologiques. Tout en critiquant l’idéologie des courants dominants du mouvement ouvrier, ils savent que les travailleurs et leurs organisations sont une force essentielle pour toute transformation radicale du système.

En rupture avec l’idéologie productiviste du progrès — dans sa forme capitaliste et/ou bureaucratique (dite « socialiste réelle ») — et opposé à l’expansion à l’infini d’un mode de production et de consommation destructeur de l’environnement, l’éco-socialisme représente dans le mouvement ouvrier et dans l’écologie la tendance la plus sensible aux intérêts des travailleurs et des peuples du Sud, celle qui a compris l’impossibilité d’un « développement soutenable » dans les cadres de l’économie capitaliste de marché.

Notre objectif, en tant que révolutionnaires, c’est d’être partie prenante de ce courant et de convaincre les travailleurs que les réformes partielles sont totalement insuffisantes : il faut remplacer la micro-rationalité du profit par une macro-rationalité socialiste et écologique, ce qui exige un véritable changement de civilisation. Cela est impossible sans une profonde réorientation technologique, visant au remplacement des sources actuelles d’énergie par d’autres, non polluantes et renouvelables, telles que l’énergie solaire. La première question qui se pose est donc celle du contrôle sur les moyens de production, et surtout sur les décisions d’investissement et de mutation technologique.

Une réorganisation d’ensemble du mode de production et de consommation est nécessaire, fondée sur des critères extérieurs au marché capitaliste : les besoins réels de la population et la sauvegarde de l’environnement. En d’autres termes, une économie de transition au socialisme fondée sur le choix démocratique des priorités et des investissements par la population elle-même — et non par les « lois du marché » ou par un Politburo omniscient. Une économie planifiée, capable de surmonter durablement les tensions entre satisfaction des besoins sociaux et impératifs écologiques. Une transition conduisant à un mode de vie alternatif, à une civilisation nouvelle, au-delà du règne de l’argent, des habitudes de consommation artificiellement induites par la publicité, et de la production à l’infini de marchandises nuisibles à l’environnement (la voiture individuelle !).

V. Acquis et limites du mouvement écologique.

L’acquis fondamental du mouvement écologique, qui a provoqué un changement profond dans la prise de conscience des questions de l’environnement, a été et reste la compréhension de l’ampleur de la destruction de l’environnement par le capitalisme tardif. La destruction de la nature a atteint des dimensions qui mettent en péril l’humanité toute entière. Il s’agit ici, comme dans le cas d’une guerre nucléaire mondiale, d’une question de survie. Toutefois, à la différence du danger de destruction nucléaire, c’est une question qui est toujours « neuve » et qui s’aggrave constamment par des manifestations de plus en plus évidentes. Cependant, ce n’est pas parce que la question est reconnue comme vitale pour l’ensemble de l’humanité, que l’on doit, comme le proposent la plupart des écologistes, chercher des solutions interclassistes, en faisant abstraction de la lutte de classes contre le capital. La distinction entre ceux qui sont intéressés au maintien, quel qu’en soit le coût, du système, et ceux qui ont intérêt à son abolition n’est pas effacée, bien au contraire.

La remise en question du concept de « progrès » est, elle aussi, un acquis du mouvement écologique. Elle a montré les carences de l’analyse marxiste du capitalisme tardif : on ne peut plus parler comme au début du développement du capitalisme d’un développement positif de forces de production qui ne seraient que freinées par le cadre de la propriété privée des moyens de production ou développées au détriment du prolétariat. Le capitalisme transforme de plus en plus les forces de production en forces de destruction. Mais ceci signifie aussi qu’elles ne peuvent pas être « libérées » telles quelles, c’est-à-dire utilisées dans un système socialiste au profit de tous, mais qu’une sélection et une analyse critique sont nécessaires. Il ne s’agit pas seulement d’une question théorique, mais aussi d’une question éminemment pratique qui comporte la critique de l’idée de « dépassement du capitalisme » propre à la bureaucratie stalinienne. De plus, le côté matériel de la production (valeur d’usage) a été mis en avant pour la première fois par une analyse plus fouillée, en posant la question de savoir quels produits sont désirables d’un point de vue écologique et social, etc. Après le recul du mouvement de 1968, le mouvement écologique a de nouveau introduit dans la politique la dimension « utopique ». La discussion sur un changement fondamental du système social, sur une autre façon de vivre et de produire, est relancée à partir des nécessités écologiques. Au débat susmentionné sur la valeur d’usage des produits est intégrée la discussion d’une production socialement utile, de nouvelles idées utopiques à propos d’une société différente sont exprimées et des « plans de reconversion » concrets sont esquissés.

Le premier lieu de développement du mouvement écologique a été l’Europe. Des mobilisations de masse importantes ont eu lieu, même dans les pays où le mouvement ouvrier était sur la défensive, comme l’Autriche, la Suisse ou l’Allemagne. Les formes de lutte combatives et concrètes, comme des manifestations, des blocus, des occupations de sites ont favorisé l’essor d’une « culture de résistance ». Si dans un premier moment l’axe principal des luttes a été la question du nucléaire, par la suite d’autres thèmes se sont révélés mobilisateurs : le combat contre la pollution et le refus des OGM. Des événements comme la crise de la « vache folle » ont sensibilisé l’opinion à la question de la « malbouffe » et des dangers résultant de la logique de rentabilité du marché capitaliste. En France, l’entrée en scène de la Confédération Paysanne a créé une dynamique radicale : partant d’une action symbolique (démontage d’un MacDonald) contre les mesures de rétorsion américaines face à l’interdiction française d’importation de bœuf aux hormones, la lutte s’est étendue à une dénonciation de l’OMC, avec le soutien de syndicats, associations écologiques et partis de gauche, et une large sympathie de l’opinion publique. Cette sympathie s’est manifestée en juin 2000 lors du rassemblement de solidarité avec les paysans en procès à Millau (France).

Les États-Unis ont aussi connu des mobilisations écologiques importantes, et la formation d’un mouvement complexe et hétérogène, allant de la « deep ecology », qui prétend donner la priorité aux espèces végétales et animales sur l’humanité, à l’éco-socialisme. Les mobilisations à Seattle ont montré la puissance de ce mouvement et la disposition de plusieurs de ses composantes — comme par exemple l’importante association écologique « Amis de la Terre » — à s’allier avec les syndicats et la gauche dans le combat contre l’OMC et la marchandisation du monde. Seattle a aussi permis une première convergence dans la lutte entre mouvements nord-américains, européens — la Confédération Paysanne française était représentée par ses porte-parole (José Bové) — et du « Tiers-Monde ». Il faut aussi mentionner la présence des réseaux d’action directe, d’inspiration éco-libertaire, composés de jeunes très combatifs, qui jouent un rôle important dans toutes les grandes mobilisations anti-néolibérales.

Rien ne serait plus faux que de considérer que les questions écologiques ne concernent que les pays du Nord — un luxe des sociétés riches. De plus en plus se développent dans les pays du capitalisme périphérique — le « Sud » — des mouvements sociaux à dimension écologique.

Ces mouvements réagissent à une aggravation croissante des problèmes écologiques d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, en conséquence d’une politique délibérée d’« exportation de la pollution » par les pays impérialistes, et du productivisme effréné exigé par la « compétitivité ». On voit ainsi apparaître dans les pays du Sud des mobilisations populaires en défense de l’agriculture paysanne, et de l’accès communal aux ressources naturelles, menacés de destruction par l’expansion agressive du marché (ou de l’État), ainsi que des luttes contre la dégradation de l’environnement immédiat provoquée par l’échange inégal, l’industrialisation dépendante et le développement du capitalisme (l’« agro-business ») dans les campagnes. Souvent, ces mouvements ne se définissent pas comme écologistes, mais leur combat n’en a pas moins une dimension écologique déterminante.

Il va de soi que ces mouvements ne s’opposent pas aux améliorations apportées par le progrès technologique : au contraire, la demande d’électricité, de l’eau courante, des canalisation des égouts, et la multiplication des dispensaires médicaux figurent en bonne place dans leur plate-forme de revendications. Ce qu’ils refusent c’est la pollution et la destruction de leur milieu naturel au nom des « lois du marché » et des impératifs de l’« expansion » capitaliste.

Un texte de 1991 du dirigeant paysan péruvien Hugo Blanco (de la IVème Internationale) exprime remarquablement la signification de cette « écologie des pauvres » : « A première vue, les défenseurs de l’environnement ou les conservationistes apparaissent comme des types gentils, légèrement fous, dont le principal objectif dans la vie c’est d’empêcher la disparition des baleines bleues ou des ours pandas. Le peuple commun a des choses plus importantes à s’occuper, par exemple comment obtenir son pain quotidien. (...) Cependant, il existe au Pérou un grand nombre de gens qui sont des défenseurs de l’environnement. Bien sûr, si on leur dit, « vous êtes des écologistes », ils répondront probablement « écologiste ta sœur »...! Et pourtant : les habitants de la ville d’Ilo et des villages environnants, en lutte contre la pollution provoquée par la Southern Peru Copper Corporation ne sont-ils pas des défenseurs de l’environnement ? (...) Et la population de l’Amazonie, n’est-elle pas totalement écologiste, prête à mourir pour défendre ses forêts contre la déprédation ? De même la population pauvre de Lima, lorsqu’elle proteste contre la pollution des eaux. »

Le Brésil est un des pays où l’articulation du social et de l’écologique a atteint des niveaux importants. On assiste à la mobilisation du Mouvement des Paysans Sans Terre (MST) contre les OGM, dans un affrontement direct avec le grand trust multinational Monsanto, et à la tentative des municipalités ou provinces gérées par le Parti des Travailleurs d’introduire des objectifs écologiques dans leur programme de démocratie participative. Le gouvernement de la province du Rio Grande do Sul, lorsqu’il était proche du MST et de la gauche du PT, voulait éliminer les OGM de la région, au grand dam des riches propriétaires fonciers, qui dénonçaient cet exemple d’« archaïsme » et voyaient dans la lutte contre les semences transgéniques une « conspiration pour imposer la réforme agraire ».

Les populations indigènes, qui vivent au contact direct avec la forêt, sont parmi les premières victimes de la « modernisation » imposée par le capitalisme agraire. Elles se mobilisent donc dans beaucoup de pays d’Amérique Latine pour défendre leur mode de vie traditionnel, en harmonie avec l’environnement, contre les bulldozers de la « civilisation » capitaliste. Parmi les innombrables manifestations de l’« écologie des pauvres » brésilienne, un mouvement apparaît comme particulièrement exemplaire, par sa portée à la fois sociale et écologique, locale et planétaire, « rouge » et « verte » : le combat de Chico Mendes et de la Coalition des Peuples de la Forêt en défense de l’Amazonie brésilienne, contre l’œuvre destructrice des grands propriétaires fonciers et de l’agro-business multinational.

Rappelons brièvement les principaux moments de cet affrontement. Militant syndical lié à la Centrale Unique des Travailleurs et au Parti des Travailleurs brésilien, se réclamant explicitement du socialisme et de l’écologie, Chico Mendes organise, au début des années 1980, des occupations de terres par des paysans qui vivent de la collecte du caoutchouc (seringueiros) contre les latifundistes qui envoient leurs bulldozers abattre la forêt en vue de la remplacer par des pâturages. Dans un deuxième moment il réussit à rassembler des paysans, des travailleurs agricoles, des seringueiros, des syndicalistes et des tribus indigènes — avec le soutien des communautés de base de l’Église — dans l’Alliance des Peuples de la Forêt, qui met en échec plusieurs tentatives de déforestation. L’écho international de ces actions lui vaut en 1987 l’attribution du Prix Écologique Global, mais peu après, en décembre 1988, les latifundistes lui font payer très cher son combat en le faisant assassiner par des tueurs à gages.

Par son articulation entre luttes sociales et écologie, résistances paysannes et indigènes, survivance des populations locales et sauvegarde d’un enjeu global (la protection de la dernière grande forêt tropicale), ce mouvement peut devenir un paradigme des futures mobilisations populaires dans le « Sud ».

Dans certains pays — notamment en Europe — le mouvement écologique a réussi à faire adopter de nombreuses réformes, qui ont partiellement freiné un accroissement explosif de la destruction de la nature. Ainsi, par exemple, il n’y a eu presque plus de nouvelles centrales nucléaires, la production de certains produits chimiques (CFC, engrais, etc.) a été limitée, des normes restrictives ont été fixées pour certaines usines, pour les automobiles, etc. Une industrie de l’environnement capitaliste s’est développée, des réformes écologiques entrent même dans le catalogue des revendications des partis bourgeois.

Pourtant, malgré toutes les tentatives de réformes et malgré l’industrie de l’environnement, les destructions au niveau mondial sont plus graves que jamais. La pollution des mers, le déboisement des forêts tropicales, les changements climatiques, montrent clairement que la dynamique globale de la crise écologique reste inchangée. De ce point de vue, cette crise montre la nécessité, par-dessus toute réforme, d’un changement fondamental de notre société.

Comme il n’a pas de programme révolutionnaire cohérent et qu’il ne considère pas les travailleurs comme sujet révolutionnaire, le mouvement écologique est loin de concrétiser son aspiration à constituer une nouvelle force sociale, qui puisse occuper ou hériter de la place du mouvement ouvrier. Néanmoins, si on fait abstraction des groupements explicitement bourgeois ou réactionnaires, numériquement faibles, le mouvement écologique reste un allié important des révolutionnaires dans la lutte d’ensemble contre le système capitaliste.

VI. Les problèmes de l’environnement et la domination bourgeoise

A cause des effets de la production capitaliste sur l’environnement, la destruction des fondements naturels de la société humaine a atteint une dimension nouvelle qui est en soi un problème pour la domination de la bourgeoisie et son idéologie :

— la crise écologique est mondiale et, dans un contexte de concurrence inhérent au capitalisme, elle ne peut qu’être conçue comme un mal commun ;

— certaines causes de la crise écologique remontent dans le temps, d’autres sont le produit du développement combiné de différents facteurs séparés ; il est donc difficile d’en établir et d’en dater les causes temporelles et physiologiques. De même, la maîtrise de la crise écologique nécessite du temps et des investissements qui condamnent au désarroi toutes les conceptions bourgeoises des cycles input/output ;

— enfin, contrairement à ce qui est le cas quant à la crise économique classique, aux conséquences sociales néfastes du capitalisme et même aux suites d’affrontements militaires, on ne peut faire payer que partiellement l’addition de la crise écologique aux classes dominées et exploitées. Cependant, il est incontestable que, surtout dans les pays dépendants, les classes opprimées en portent le fardeau essentiel et ceci d’autant plus qu’il y a interaction entre crise sociale et économique et crise écologique.

La prise de conscience croissante de la crise écologique et le mouvement écologique qui s’est formé dès le début des années 1960, ont représenté une attaque vigoureuse à l’un des concepts les plus importants de l’idéologie bourgeoise : l’idée selon laquelle l’ordre social et économique bourgeois serait à même de garantir de façon continue un « progrès pour tous », ou bien que la soumission continue de la nature est en soi positive et que tous les problèmes en rapport avec elle pourraient être résolus.

Face au défi idéologique, des tentatives d’actualisation de l’idéologie bourgeoise ont vu le jour. La première, mondialement connue, a été le rapport du Club de Rome (« Les limites de la croissance », 1972), qui démontrait que la destruction de l’environnement progresse rapidement et proposait une politique supranationale contre la croissance démographique, le gâchis de matières premières, la destruction de l’environnement, etc. Cette étude, et d’autres qui ont suivi, ont eu un effet à double tranchant. D’une part, l’idéologie bourgeoise et les scientifiques qui en sont proches reprenaient l’initiative sur les questions de l’environnement et entamaient la discussion sur les pronostics et les exigences à mettre en avant. D’autre part, cela confirmait les visions pessimistes de l’avenir du monde en stimulant davantage le mouvement écologique. L’ordre existant de l’économie capitaliste mondiale perdait son auréole de supériorité ; sa finalité et ses mécanismes étaient remis en question de l’intérieur. En même temps, ces analyses aboutissaient à des catalogues de revendications plus ou moins élaborées tendant à une planification mondiale et à une régulation politique de l’économie. Ainsi, elles entraient directement en conflit avec l’économie de marché capitaliste, le libéralisme économique et les offensives gouvernementales de dérégulation à l’ordre du jour partout dans le monde à l’époque.

Au plus tard au milieu des années 1980, une deuxième offensive bourgeoise sur le terrain de la défense de l’environnement s’était avérée nécessaire : il fallait apporter des solutions, surtout au niveau de la politique concrète, à de telles contradictions. Le rapport Brundtland (« Our Common Future »), adopté par l’Assemblée générale de l’ONU en 1988, en est une expression. Il est déjà entièrement marqué par la conviction bourgeoise que le capitalisme, tout en portant malheureusement atteinte à l’environnement, sera en même temps en condition de prendre les mesures de réparation nécessaires. Il prétendait ainsi rassembler les éléments d’une nouvelle croissance plus équilibrée (« développement soutenable »).

Les années 1990 ont accentué la contradiction entre les promesses de nouvelles régulations internationales du capitalisme mondialisé et la brutalité de ses conséquences sociales et environnementales. La Déclaration de Rio, issue du sommet de la Terre (1992), a certes énoncé quelques principes, comme le principe de précaution, qui représentent une avancée dans la prise de conscience des données de la crise écologique. Ni l’Agenda 21, un vaste fourre-tout de 2500 mesures, ni les conventions internationales sur la biodiversité ou les changements climatiques, n’ont débouché sur les solutions radicales nécessaires. Tandis que la création de l’OMC soumet plus encore l’environnement aux effets de la libéralisation du commerce international, ces conventions sont restées largement en échec. Les proclamations en défense de la biodiversité sont impuissantes face à la dégradation continue des milieux naturels. Sur le plan politique, elles se heurtent aux intérêts des multinationales de l’agrochimie et de la pharmacie qui cherchent à s’approprier le vivant par l’expansion des OGM et le brevetage des génomes.

Le protocole de Kyoto (1997) sur l’effet de serre a été rejeté par l’administration Bush supportée par les lobbies énergétiques. L’accord fragile intervenu en 2001 entre les autres pays impérialistes ne leur impose aucune mesure domestique de réduction des émissions de gaz à effet de serre et revient à renoncer aux objectifs déjà très insuffisants inscrits dans le protocole initial. En effet, le protocole ne propose qu’un objectif de baisse de 5,2 % des émissions de CO2, alors qu’il faudrait réduire ces émissions de plus de 50 % pour que la concentration de CO2 dans l’air ne dépasse pas 550 ppm, le double du niveau de l’ère préindustrielle, et que la température moyenne sur le globe ne monte pas de plus de 2°C !

125 milliards de dollars sur 10 ans avaient été annoncés à Rio pour ces politiques de défense de l’environnement à l’échelle internationale. En 1996, seuls 315 millions de dollars avaient été investis. Entre les idées réformistes prônées dans le rapport Bruntland, puis à Rio, et le modèle ultra-libéral de l’impérialisme dominant, ce dernier l’a pour le moment emporté. Le sommet de Johannesburg en septembre 2002 s’est traduit par un cinglant échec : aucune mesure significative internationale n’a été actée. Par contre ce sommet a montré qu’en quelques années les grandes multinationales avaient réussi à faire prévaloir leurs vues dans les enceintes des institutions internationales. Elles ont ainsi disposé d’une tribune pour promouvoir la privatisation des ressources et des biens publics au travers de notions telles que les « partenariat public/privé ». Le Forum mondial de l’eau de Kyoto fin mars 2003 a confirmé les mêmes orientations.

Les ONG, fortement présentes à Rio et depuis lors, se sont parfois laissées enivrer par les discours environnementalistes du G7 et des institutions internationales. Pour l’avenir, elles n’auront guère d’autres choix qu’entre une intégration complète comme vernis écologique du capitalisme ou le retour à une critique écologiste radicale, qui a été au fondement de nombre d’entre elles.

Aujourd’hui, une approche pratique des problèmes de l’environnement fait partie du programme de tout gouvernement bourgeois. En général, on s’efforce de fixer des limites à la pollution de l’air, de la terre et de l’eau. S’y ajoutent des plans progressifs de réduction des effets dangereux des résidus des processus de production. Ces plans font péniblement l’objet d’accords internationaux. En fin de compte, une telle politique n’est que du rafistolage : elle reste toujours insuffisante pour contrecarrer les destructions qui se produisent réellement. Les programmes économiques et les orientations politiques concernant « l’économie écologique de marché » prennent eux aussi de l’importance. Jusqu’à présent, les tentatives de tourner intrinsèquement l’économie capitaliste vers un fonctionnement respectueux de l’environnement n’ont pas dépassé le stade de la théorie.

Cependant dans le contexte de mondialisation capitaliste, une vaste offensive est en cours pour imposer un système de « marchés de droits à polluer » à l’échelle mondiale dans le cadre de la lutte pour la réduction de la quantité de gaz à effet de serre. Mis en avant par les États-Unis, ce mécanisme a été accepté par l’Union Européenne. Il comporte de graves dangers qu’il convient de combattre. En premier lieu, il ouvre la voie à un renforcement de la dépendance des pays sous-développés par rapport à ceux du Nord : dans un dispositif où chacun dispose de son quota monnayable de pollution, le pouvoir de décider appartient à ceux qui disposent de la puissance financière pour marchander la pollution à leur guise. Les pays du Sud et de l’Est, fortement endettés, risquent fort de vendre leur quota aux pays du Nord, pourtant déjà largement les plus pollueurs.

Ensuite le système vise à transformer la pollution en marchandise, donc en source de profit. Comment imaginer dans ces conditions que cela permette une réduction effective de la pollution ?

Enfin, il faut souligner que ce dispositif, pièce maîtresse de l’offensive libérale dans le domaine environnemental, a pour objectif de désamorcer la charge subversive de la critique écologique dont la logique tend à remettre en cause le fonctionnement d’ensemble du système capitaliste : il s’agit d’accréditer l’idée que le marché est le meilleur instrument de lutte contre la pollution, que plus de capitalisme rendrait le capitalisme intrinsèquement « propre ».

Cette idée doit être combattue au même titre que la thèse selon laquelle la protection de l’environnement pourrait devenir le moteur d’une « nouvelle modernisation de l’économie capitaliste ».

Un véritable fossé sépare les États riches des États pauvres. Si, dans les pays impérialistes riches, on a réussi ces dernières années à endiguer quelques-uns des phénomènes les plus graves de pollution et de destruction, dans les pays pauvres, même les moindres mesures nécessaires échouent face aux problèmes de financement ou face à l’intérêt de quelques entreprises qui réalisent leurs profits, en grande partie, justement en dégradant l’environnement. Devant ces obstacles, des idéologues réactionnaires et aussi certains écologistes soutiennent parfois l’idée que la surpopulation serait une cause essentielle des problèmes environnementaux et qu’une politique coercitive de contrôle démographique est nécessaire dans les pays sous-développés. Cette thèse est porteuse d’une conception fondamentalement autoritaire, voire raciste, de l’organisation sociale. Elle doit être dénoncée avec la plus grande vigueur.

VII. Expériences d’organisation politique du mouvement écologique

Dans un nombre croissant de pays, des partis verts se développent. En Europe occidentale, ils ont acquis une représentation parlementaire dans des pays aussi différents que l’Allemagne, la France, l’Autriche, la Belgique, la Suède ou le Portugal et constituent un groupe significatif du Parlement Européen avec 47 députés. Ils participent ou ont participé avec des coalitions de gauche aux gouvernements de trois pays de l’Union : Allemagne, France et Belgique. Des partis verts existent de même dans des pays dépendants (Brésil, Turquie, etc.). Aux USA, la candidature de Ralph Nader aux élections présidentielles symbolise l’émergence politique, à partir des luttes anti-mondialisation, d’un front rassemblant défenseurs de l’environnement, jeunes et syndicalistes.

Le développement d’organisations et de partis verts depuis une vingtaine d’années s’expliquent bien sûr par l’émergence d’une crise écologique à dynamique globale, mais ne peut se comprendre sans des facteurs politiques supplémentaires, comme le manque de perspectives générales des directions traditionnelles du mouvement ouvrier ou l’absence de percée révolutionnaire en Europe capitaliste après 1968.

Il est complètement erroné de mettre dans le même sac les diverses expériences « vertes ». Selon les pays, les cultures politiques, leur origine historique concrète, elles ont des caractéristiques spécifiques. La palette va d’une forte influence de forces bourgeoises et petites-bourgeoises jusqu’à la cohabitation de courants gauches, alternatifs, éco-socialistes, en passant par des groupements verts réformistes. On peut dire d’une façon générale et avec toute la prudence qui s’impose que :

— il s’agit de tentatives d’organisation dans la gauche réformiste qui se situent, le plus souvent, à gauche des directions traditionnelles ;

— bien que leur base sociale soit souvent composée à 75 % de salariés, ces courants ne se considèrent pas comme faisant partie du mouvement ouvrier ;

— tout en étant souvent nés comme des structures électorales informelles sur des plates-formes centrées sur l’écologie, les mouvements verts ont pris des positions critiques dans d’autres domaines aussi (politique sociale, course aux armements, « Tiers-Monde », etc.) ;

L’activité des Verts est caractérisée par la combinaison d’une critique souvent correcte d’injustices sociales sectorielles et des « stratégies » réformistes illusoires. Dans la plupart des cas, l’activité gouvernementale ou parlementaire étouffe quasiment l’activité militante du parti vert, favorise l’apparition de formes traditionnelles de délégation de pouvoir, et par-là même tend à désamorcer le caractère radical du mouvement. Pire, les Verts allemands, par exemple, sont en passe de perdre toute la charge utopique contenue dans la critique écologiste, et de se transformer en un simple « parti de réforme » parmi d’autres. Cette dérive institutionnelle sera accentuée avec les concessions sur le dossier nucléaire, la guerre du Kosovo et le cours de plus en plus néolibéral de la politique gouvernementale. Pour autant, il est vain de spéculer sur le rythme et les formes possibles des évolutions encore à venir dans les partis écologistes et sur la question de savoir dans quelle mesure la succession de décisions prises par les Verts pourrait faire système en modifiant ainsi leur caractère.

Les marxistes révolutionnaires jugent les acteurs politiques non pas en premier lieu en fonction de leurs affirmations, de leurs programmes ou de la conscience qu’ils ont d’eux-mêmes, mais d’après leur fonction réelle dans la lutte de classe. De façon générale, on peut affirmer que l’apparition d’organisations et de partis verts n’a pas eu d’effets rétrogrades, mais a, dans nombre de cas, élargi le champ d’action de la gauche. Loin de les ignorer, il s’agit plutôt de développer face à eux une politique active : actions communes, débat sur leurs positions théoriques, etc. Dans certains pays, ont surgi des partis de protestation et des mouvements écologiques qui rassemblent électoralement et organisent une partie du potentiel critique social. Il appartient à chaque section de l’Internationale de juger concrètement de la meilleure forme de coopération avec de tels partis ou mouvements.

VIII. La Quatrième Internationale et la crise écologique

Comme nous l’avons vu dans le chapitre IV, nous trouvons dans la pensée marxiste originelle les prémisses d’une critique écologique radicale du capitalisme. Mais, comme ce fut le cas pour la plupart des partis du mouvement ouvrier, cette problématique n’a pas été abordée dans les premières années d’existence de notre Internationale. Il serait inutile de la chercher, par exemple, dans le Programme de transition, qui est le document programmatique de base du congrès de fondation en 1938. Dans la période qui a suivi la seconde guerre mondiale, les marxistes révolutionnaires n’ont pas du tout ignoré la destruction de l’environnement et la pollution de l’air et de l’eau. Mais ces phénomènes n’étaient considérés que comme l’une des conséquences néfastes d’un système exploiteur et inhumain et non perçus comme un phénomène global qui menace de détruire les bases même de toute vie.

Ceci a changé depuis le début des années 1970, lorsque la tendance autodestructrice de la société capitaliste était devenue un sujet largement discuté et repris, notamment par des idéologues bourgeois du Club de Rome en 1972. Des articles et des études écrits par des membres de notre mouvement sont apparus.

Mais le véritable test pour les organisations du mouvement ouvrier a été la naissance d’un mouvement populaire contre l’énergie nucléaire, surtout au Japon, en Europe de l’Ouest et aux États-Unis.

Pratiquement toutes les sections de la IVème Internationale ont été impliquées dans ces mouvements de masse, même si très peu de sections ont trouvé les moyens de consolider leur travail écologique quand le mouvement antinucléaire a commencé à décliner. L’expérience des ces mouvements a cependant frayé son chemin dans nos discussions pour les congrès mondiaux. Tandis que dans les textes du Xe congrès (1973), l’écologie ou les problèmes qui lui sont liés ne sont même pas mentionnés, au congrès suivant, en 1979, la lutte contre l’industrie nucléaire est considérée comme « une question de survie de la classe ouvrière » et on déclare que la tâche de l’Internationale et de ses sections est de « renforcer le mouvement en entraînant les ouvriers industriels » dans sa lutte. Au congrès de 1985, les positions sont mieux élaborées. Les documents donnent une analyse plus détaillée pour chacun des trois secteurs de la révolution mondiale. La résolution principale appelle l’Internationale et ses sections à avancer de plus en plus la question écologique dans leur propagande et leurs activités et à organiser des actions communes avec les mouvements écologistes. En 1990, un projet de résolution sur l’écologie fut rédigé par une commission composée de membres de différentes sections de l’Internationale, et présenté à la discussion du XIIIème Congrès, mais il fut décidé d’approfondir le débat avant d’adopter un document.

Aujourd’hui, la IVème Internationale considère la destruction de l’environnement comme un des principaux dangers qui menacent l’humanité, un problème qui donne un sens nouveau à la fameuse formule de Rosa Luxembourg : socialisme ou barbarie. Elle voit dans l’engagement du mouvement ouvrier et de ses organisations dans la lutte contre la destruction de la planète sa tâche principale dans ce domaine et elle s’efforce de frayer le chemin de la collaboration du mouvement social et du mouvement écologique, non seulement contre les différentes formes de destruction, mais aussi contre le système qui les détermine. Elle veut contribuer à la discussion dans ces mouvements et essaye de contrecarrer les illusions largement répandues sur la possibilité d’un capitalisme « propre ».

Dans de nombreux pays, l’Internationale participe activement aux luttes en cours, comme celle contre les OGM ou contre la destruction de la forêt amazonienne au Brésil. Les sections européennes sont de plus en plus impliquées dans le mouvement écologique de leur pays. Dans nos analyses, le problème écologique constitue un des pôles les plus importants autour desquels la restructuration du mouvement ouvrier doit s’opérer.

Tout cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de problèmes avec l’intégration de ces « nouveaux » thèmes dans l’activité de notre mouvement. Beaucoup de camarades ont continué à considérer les problèmes écologiques comme une contradiction du capitalisme parmi d’autres. Ils ne les ont pas conçus comme des problèmes étroitement liés aux luttes quotidiennes pour la survie de la classe ouvrière, contre des conditions de vie et de travail inhumaines, contre le danger de guerre. La plupart des sections n’ont commencé à se poser les problèmes écologiques que lorsqu’ils ont fait les gros titres de la presse à la suite des actions d’autres forces. Il s’en est suivi que le débat au sein de l’Internationale a été relativement lent. Tandis que d’autres courants et individus discutent de la question de l’écologie et du socialisme depuis des dizaines d’années, les marxistes révolutionnaires sont restés plutôt silencieux. Il est de plus en plus clair que les marxistes doivent faire un effort spécial pour appliquer leur méthode aux questions posées. Il n’est pas possible de se limiter à prendre quelques éléments de la pensée écologique et de les peindre un peu en rouge.

La IVème Internationale ne veut pas seulement contribuer aux discussions sur la politique écologique concrète. Elle veut aussi faire les pas en avant politiques et organisationnels nécessaires aux actions de masses. Car ce n’est que par l’action du mouvement de masse que les conditions actuelles pourront être changées.

IX. Programme d’action

Aujourd’hui, il existe à travers le monde une multitude d’initiatives et de mouvements contre le pillage et la destruction de la nature. La IVème Internationale soutient ces initiatives et ces mouvements et y participe parfois d’une façon critique, car les positions générales de certains écologistes sont souvent plutôt confuses. Les expériences du mouvement écologique montrent que seules de larges mobilisations et des protestations de masse permettent de gagner l’opinion publique et d’obtenir des succès réels.

a) Propositions
Rappelons ici quelques problèmes écologiques fondamentaux qui doivent être résolus sous peine de disparition de l’humanité. Toutes ces questions ne peuvent être abordées qu’à l’échelle internationale. C’est sur ce terrain que nous voulons concentrer nos forces — par exemple, dans le cadre de campagnes transnationales —, avancer nos propositions et montrer par quels moyens celles-ci peuvent être réalisées.

Ces mobilisations peuvent se faire autour des propositions suivantes, qui ne se veulent nullement exhaustives :

Revendications :

— rupture radicale, dans les pays du « Tiers-Monde », avec le système agricole exploiteur de la production pour l’exportation, système qui est source de faim et de misère ;

— contre l’agro-business capitaliste destructeur de l’environnement et générateur de crises sanitaires graves (ex. la « vache folle ») ;

— sortie immédiate du cycle nucléaire ;

— non à la destruction des forêts tropicales et à la dégradation des forêts dans les pays industrialisés ;

— les mers, les fleuves, les lacs ne doivent plus être considérés comme poubelles ;

— contre le brevetage capitaliste du vivant ;

— moratoire sur les OGM ;

— non à l’appropriation privée de biens publics, tels que l’eau ;

— halte à la destruction accélérée des espèces vivantes et sauvegarde de la bio-diversité ;

Alternatives :

— dans le « Tiers-Monde », un système de production agricole qui garantisse d’abord la satisfaction des besoins élémentaires de la population ;

— utilisation rationnelle et planifiée de l’énergie face au pillage des sources d’énergie non-renouvelables : développement de sources d’énergie alternatives comme l’énergie solaire et l’énergie éolienne, la biomasse, etc. ;

— organisation de l’exploitation agricole selon des critères écologiques ;

— face au développement du transport individuel, développement des transports en commun et des chemins de fer ;

— une politique radicale tendant à éviter les déchets et à les recycler : des installations de filtrage, d’épuration etc. ne suffisent pas à elles seules, il faut une conversion industrielle fondamentale qui évite à priori la pollution à la source.

Comment réaliser ces alternatives ?

Il faut lutter pour :

— une réforme agraire profonde dans les pays du « Tiers-Monde » ;

— l’annulation intégrale de la dette des pays sous-développés ;

— le développement de plans d’énergie alternatifs élaborés par le mouvement ouvrier et le mouvement écologique en collaboration avec des scientifiques progressistes ;

— la levée du secret d’entreprise (qui permet, par exemple, de cacher les émissions toxiques) et l’obligation de tenir des registres spécifiant les matières premières et produits utilisés, libre accès à ces registres ;

— la mise sur pied d’un « contre-pouvoir écologique » par le truchement du contrôle social de la production ;

— une production répondant à des critères écologiques, basée sur le principe de la satisfaction des besoins, et non sur le principe des profits ou sur le pouvoir de la bureaucratie ;

— une société socialiste, libre, démocratique, pluraliste et autogestionnaire, respectant l’environnement.

b) Convergences entre l’écologie et le social
Dans une large mesure, la crise écologique et la crise sociale sont alimentées par des mécanismes identiques. Les intérêts des grands lobbies économiques, la dictature toujours plus exclusive des « marchés », l’ordre mondial incarné par l’OMC, le FMI, la BM et le G8, etc., contribuent à l’épuisement conjoint des humains et de la nature. Des facteurs communs étant à l’œuvre dans les crises écologique et sociale contemporaines, des remèdes communs peuvent et doivent être avancés : il faut briser l’étau du « libéralisme économique » pour placer au centre des choix les besoins humains et les contraintes écologiques. D’où cette communauté de combat que l’on retrouve entre l’écologique et le social, ces terrains immédiats de convergences.

1. La défense des services publics
L’exemple des transports illustre combien une logique de service public est nécessaire pour répondre de façon cohérente aux impératifs sociaux et écologiques. En Europe, la logique libérale exige la réduction du réseau ferroviaire aux modes et aux lignes « rentables », favorisant pour le reste l’accroissement du « tout routier ». Les exigences sociales (transports publics bon marché, réseau complet irriguant le territoire, normes de salaires et de travail acceptables), de même que les exigences écologiques (réduction des modes de transports les plus polluants, physiquement les plus destructeurs et énergétiquement les plus coûteux), nécessitent le développement des transports en commun dans une logique de service public. Il en va de même en bien d’autres domaines.

Mais ce constat ne clôt pas le débat sur l’organisation contemporaine d’un service public. En effet, les monopoles d’État sont susceptibles d’élaborer leur politique en fonction d’objectifs non-démocratiques (dans l’énergie, par exemple, liens entre pétroliers et intervention impérialiste en Afrique, ou liens entre nucléaire civil et militaire), selon des modes de gestion et des modèles productifs étroitement capitalistes, en fonction de normes de rentabilité calquées sur celles des monopoles privés.

2. La lutte pour l’eau et contre les pollutions
On prend de plus en plus conscience du coût humain (atteintes à la santé, hausse des prix, etc.) et naturel (atteintes à la biodiversité) des pollutions, ainsi que du rôle que jouent nombre d’intérêts économiques établis, dans leur aggravation. Prépondérance de l’automobile, pollution atmosphérique et problèmes croissants de santé dans les centres urbains. Prépondérance de l’agro-industrie et pollution brutale des eaux, ou pollution difficilement réversible des nappes phréatiques. Prépondérance du lobby nucléaire et accumulation pour de très longues durées des déchets radioactifs, en France et dans d’autres pays. Prépondérance de grands intérêts privés et augmentation socialement insupportable du coût de l’eau potable au Nord — et absence massive d’accès à l’eau potable au Sud… Dans chacun de ces domaines, combat écologique et combat social exigent d’opposer une logique alternative à celle des groupes économiques dominants.

La question de l’eau est déjà l’objet de luttes sociales de masse, dans les pays du Nord (Espagne) comme dans ceux du Sud (Bolivie). Il s’agit de combattre aussi bien contre les privatisations que contre les pollutions, résultant des pratiques industrielles et agro-industrielles capitalistes. C’est une question clé du mouvement altermondialiste, qui a déjà mis la lutte pour l’eau à l’ordre du jour de différents Forums régionaux et mondiaux.

La gravité des problèmes de pollution et de santé publique contribue à faire évoluer les consciences. Il devient plus difficile de présenter les enjeux dits écologiques comme des questions marginales, étrangères aux questions sociales, comme des préoccupations élitaires, un luxe pour petit-bourgeois. En Europe, la crise de la « vache folle » représente probablement un point d’inflexion majeur, analogue à Tchernobyl pour le nucléaire : elle a mis en lumière l’acuité du danger intrinsèquement contenu dans le mode de production incarné par l’agro-industrie.

Il faut également combattre sans concession les solutions illusoires telles que les marchés de droits à polluer que les pays du Nord cherchent à imposer à la planète. La pollution ne doit pas se marchander, mais être éradiquée.

3. En défense de l’emploi
Une politique de protection de l’environnement est porteuse d’emplois dans de nombreux secteurs. Il y a plus. Des logiques économiques dominantes, qui surexploitent la nature, créent aussi le chômage. C’est clairement le cas avec l’agro-industrie qui désertifie les campagnes du double point de vue des espaces (réduction draconienne de la variété des paysages et de la biodiversité) et humain (réduction draconienne de l’emploi et exode rural). C’est aussi le cas dans l’industrie automobile qui licencie massivement tout en augmentant sa capacité de production et qui impose sa dictature sur les modes de transports, d’aménagement du territoire ou de développement urbain. Des logiques socio-économiques alternatives permettent de définir un mode de production à la fois moins prédateur vis-à-vis de la nature ou du mode de vie, et plus riche en emplois.

En particulier, il est important de formuler un programme écologique en lien avec le mouvement syndical, autour de thèmes comme :

a) le rapport entre santé des travailleurs et environnement : les productions toxiques nuisent aussi bien aux ouvriers qu’à la nature ;

b) la nécessité d’un contrôle ouvrier sur la production, pour imposer des techniques non polluantes ;

c) la reconversion écologique de l’industrie, des transports et de l’agriculture comme politique créatrice d’emplois. Il ne s’agit pas de garantir les postes de travail actuels — centrales nucléaires, usines d’armement — mais de garantir à tous un emploi et un revenu, quelle que soit la restructuration nécessaire de la production.

4. La lutte pour la terre
Il s’agit d’un des vecteurs les plus essentiels de la convergence entre mouvements sociaux et écologiques à l’échelle internationale. Ce n’est pas un hasard si les mouvements paysans les plus radicaux du point de vue social sont aussi ceux qui ont la conscience écologique la plus avancée. Il s’agit de lutter contre l’agro-business pollueur, avec ses OGM, ses engrais et ses pesticides qui empoisonnent l’environnement, en refusant l’agriculture capitaliste destructrice du sol et des forêts. Dans les pays du Sud, ce combat est inséparable de celui pour une réforme agraire radicale, contre la monopolisation de la propriété foncière par les latifundistes, et pour une redistribution de la terre. Mais la lutte pour une agriculture alternative, respectant l’environnement, et fondée sur le travail paysan, les coopératives, les collectivités rurales ou les communautés indigènes est un défi planétaire, qui concerne aussi bien le « Tiers-Monde » que les métropoles capitalistes. Un des acteurs les plus conséquents dans cette bataille pour la terre est la « Via Campesina », réseau international de la gauche paysanne, qui regroupe des mouvements aussi importants que le MST brésilien ou la Confédération Paysanne française. Ces mouvements sociaux sont porteurs d’une autre conception de la production agricole, visant à satisfaire les besoins sociaux de la population plutôt que ceux du marché capitaliste mondial, et respectant le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes.

5. Abolir le système de la dette
Le « développement par l’endettement », impulsé à l’origine par les puissances financières du Nord, a débouché sur un système de contrôle de la politique économique des pays débiteurs (surtout du Sud) et le renforcement des pouvoirs du FMI et de la BM (y compris au Nord). Le diktat du service de la dette et les canons ultra-libéraux de l’OMC ont des conséquences dramatiques pour les sociétés humaines (destruction des protections sociales, des cultures vivrières…), ainsi que sur la nature (destruction des ressources naturelles pour l’exportation…). Les mécanismes fondamentaux de ce système de domination doivent donc être combattus tant du point de vue social qu’écologique.

Les règles commerciales instaurées par le GATT, puis l’OMC, renforcent la domination des grandes multinationales du Nord. En imposant l’ouverture des marchés locaux à leurs produits, elles accentuent les dépendances (y compris alimentaires), minent les équilibres sociaux et accroissent irrationnellement les échanges internationaux, nourrissant ainsi la crise énergétique et écologique.

6. Long terme et démocratie
La question écologique exige la prise en compte de contraintes à très long terme, les rythmes naturels appartenant à des temps bien différents de celui, nécessairement court, du marché. De nombreux besoins sociaux (éducation, santé, etc.) réclament aussi, pour être correctement traités, un temps plus long que celui du « marché roi » — c’est d’ailleurs l’une des principales raisons d’être du service public au sens vrai. Contraintes écologiques et besoins humains exigent conjointement de nos politiques alternatives qu’elles intègrent ces temps longs et très longs qui relèvent de la solidarité intergénérationnelle. L’écologie, après la défense des besoins sociaux, donne une légitimité nouvelle à la notion de planification, car qu’est-ce que prendre en compte le long terme si ce n’est planifier ? Mais l’écologie a aussi contribué à la critique au fond des expériences bureaucratiques conduites à l’Est.

Cette indispensable rencontre entre l’écologique, le démocratique et le social est-elle possible ? Oui, parce que les crises écologique et sociale contemporaines ont une origine commune, dans le capitalisme précisément. A causes communes, solutions communes. Loin d’être intrinsèquement « négatif », l’anticapitalisme permet ici de percevoir le terrain de rencontre des combats écologiques et sociaux. Il aide de même à définir des alternatives communes, positives et solidaires. Il éclaire à la fois les causes et les solutions. En revanche, si elle se refuse à intégrer la critique du capitalisme, l’écologie politique risque de s’affaisser, de perdre toute radicalité et de se replier sur des propositions élitistes, finalement antidémocratiques, socialement inégalitaires, à la fois impotentes et injustes.

Il s’agit bien d’un lien, pas d’une simple identification de l’écologie à sa portée sociale. La pensée écologiste introduit en effet une dimension majeure que l’on ne retrouve pas telle quelle dans la pensée sociale : l’analyse des rapports entre sociétés humaines et nature. C’est son apport original, son terrain propre. Disons donc qu’il ne faut ni « rabattre » la question écologique sur le seul terrain social, ni ignorer l’antagonisme social au nom des enjeux écologiques planétaires.