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Entrevue avec Heloisa Helena

Face à l’alignement de Lula

jeudi 27 mai 2004

Heloisa Helena, militante de la tendance Démocratie socialiste (affiliée à la IVe Internationale) a été élue sénatrice de l’Etat de Alagoas, dans le Nordeste brésilien, pour le Parti des travailleurs (PT) en 1998. Exclue de ce parti, le 14 décembre 2003, pour avoir défendu les résolutions du congrès du PT concernant les retraites, contre la réforme proposée par le gouvernement Lula, Heloisa Helena fait toujours partie de la IVe Internationale. Elle organise avec trois autres exclus du PT, le lancement du Nouveau Parti, prévu les 5 et 6 juin, à Brasilia, capitale du Brésil.

- Quel jugement portes-tu sur l’action du gouvernement Lula ?
Heloisa Helena - Du plus grand parti de gauche d’Amérique latine, le Parti des travailleurs (PT) s’est transformé en outil de propagande triomphaliste du néolibéralisme. Soit à partir de son intervention dans le gouvernement Lula, en légitimant tous les propos fatalistes des institutions de financement multilatéral, du Fonds monétaire internationale (FMI), de la pensée unique, en consolidant toutes les directives du FMI, soit en multipliant les obstacles à l’action des mouvements sociaux, notamment à celle du mouvement syndical où les partisans de Lula sont majoritaires dans la direction.

Ce gouvernement ouvertement néolibéral a dégagé 60 % du budget public pour le service de la dette externe et a réussi à promouvoir le plus grand ajustement fiscal de l’histoire de ce pays. Alors que le FMI avait suggéré de porter le superavit (1) à 3,77 % du PIB, le gouvernement l’a fixé à 4,35% avant d’atteindre 5, 25 %. C’est une des situations les plus dramatiques qu’ait vécu le peuple brésilien dans l’histoire récente de ce pays. D’ailleurs, si l’on compare les huit années de gouvernement de Fernando Henrique Cardoso avec une année de gouvernement Lula, on s’aperçoit que ce dernier a entamé plus de rigueur fiscale que le gouvernement précédent : augmentation du paiement de plus de 40 % destinés au service de la dette extérieur par rapport au gouvernement Fernando Henrique, absence de politique dans le domaine de la réforme agraire, de la réforme urbaine, de la santé, de l’éducation, de la sécurité publique, privatisation de quatre banques d’Etat (Banque du Maranhão, Santa Catarina, Ceara), etc. Le plus grand projet de privatisation d’initiative public-privé, basé sur le modèle promu par Margaret Thatcher, est celui de l’approvisionnement d’eau et de l’assainissement.

Le plus honteux est le "boulevard des affaires sales" où les pires délinquants de la politique brésilienne sont en train de se partager la machine d’Etat pour cacher l’un des plus gros scandales de corruption en lien avec le gouvernement : l’affaire dite de Waldomiro (2).

La situation est extrêmement grave, sans parler du plus grand taux de chômage de l’histoire des vingt dernières années du pays : récession, paralysie économique et de la machine de l’Etat.

- Comment réagissent les mouvements sociaux face à cette politique ?

H. Helena - Concrètement, les mouvements sociaux, dirigés majoritairement par la tendance gouvernementale de Lula et des sommets du PT, ont aidé les structures syndicales à se transformer en courroies de transmission des intérêts conjoncturels du Palais de Planalto. Néanmoins, les pressions de la base du mouvement syndical ou populaire sont telles que les dirigeants de ces syndicats ou des mouvements des sans-terres ou des sans-toit, sont contraints à agir en fonction de leur base.

Ce n’est pas un hasard si le Mouvement des sans-terres et tous les mouvements sociaux qui luttent pour la réforme agraire ont organisé un nombre gigantesque d’occupations et si les peuples indiens ont amplifié les conflits pour la délimitation de leur territoire ces dernières semaines. La raison est à chercher du côté de l’absence de politique du gouvernement. Ces luttes sont tellement intenses qu’après avoir fabriqué et brûlé une poupée représentant Lula, les paysans ont fait de même avec le ministre de la Réforme agraire, Miguel Rossetto. Cela est extrêmement grave parce qu’un de nos camarades devient à son tour une cible du mécontentement populaire !

- Comment vous situez-vous et quelles sont vos perspectives par rapport aux discussions qui sont en train de se dérouler à la gauche de la gauche du PT ?

H. Helena - La gauche du PT est pulvérisée par les interprétations multiples sur la conjoncture brésilienne et le gouvernement Lula. Il est évident que nombreux sont celles et ceux qui, de bonne foi, croient à la possibilité de mener la bataille pour un changement d’orientation du gouvernement Lula et du PT. Quelques-uns utiliseront ce même discours, de façon opportuniste, pour continuer à se salir dans l’opulent banquet du pouvoir, pour grappiller des postes, du prestige et se laisser séduire par la machine gouvernementale.

Un secteur à "la gauche de la gauche", face à l’impossibilité de faire bouger le rapport de forces au sein du PT, se pose la question de sortir. Soit pour construire une nouvelle organisation, soit en se plongeant dans les mouvements sociaux. Cela dépendra de l’ampleur de la déception vis-à-vis du parti, déjà très fortement ressentie dans les têtes et dans les coeurs de la majorité des camarades.

- Quelles sont les initiatives et les perspectives de votre mouvement ?

H. Helena - Je dis souvent qu’il s’agit d’une vraie traversée du désert, non seulement à cause des obstacles électoraux, mais aussi de la trahison du gouvernement Lula et de celle du PT. Cela a fini par légitimer l’imaginaire populaire selon lequel tous les politiciens sont déformés, que démagogie électoraliste et déshonnêteté en font partie, qu’au moment où ils ont touché le sol sacré du Palais du Planalto, ils se conduisent comme s’ils étaient dominés par les dieux de l’univers pour promouvoir tout ce qu’au long de leur histoire ils ont critiqué.

Partout où nous allons, la méfiance est constante. Partout, les plus pauvres nous demandent : "Sur quelle garantie pouvons-nous compter pour que ce nouveau parti ne recommence pas à trahir, une fois parvenu au pouvoir ?"

Nous sommes déterminés à surmonter ces obstacles. Nous sommes malgré tout reçus avec beaucoup de tendresse, de manifestations de lutte, par les groupements de gauche qui ont déjà une tradition organisationnelle et politique dans le mouvement. Travailleurs du secteur privé ou du secteur public, des chômeurs manifestent leur joie et leur motivation pour marcher à nos côtés pour la construction d’un nouveau parti.

Propos recueillis par Beatrice Whitaker


1. Superavit : ce qui reste de la récolte fiscale, pour le paiement de la dette publique.

2. Collaborateur de José Dirceu, ministre du Palais de la République, mêlé à des affaires de pot-de-vin aux patrons des maisons de jeux de hasard.

Rouge 2066 27/05/2004