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Mouvement étudiant

Forces et faiblesses d’un mouvement

dimanche 10 avril 2005, par Pierre Mouterde

Drôle de grève que cette grève étudiante du printemps 2005 ! Depuis des décennies, on n’avait pas vu au Québec autant d’étudiants (près de 200 000) et pour autant de temps (déjà plus de 5 semaines dans certains cas) débrayer et manifester leur claire opposition au gouvernement en place. Avec à l’horizon une atmosphère de printemps et d’ébullition sociale rajeunissante ! A donner l’impression d’un vaste et puissant mouvement social, plus encore d’une vague de fond -qu’on pense aux écoles secondaires, entrées elles aussi dans la danse— touchant la jeunesse scolarisée toute entière. Une jeunesse bien décidée à avoir gain de cause, et cela quelque soit le temps nécessaire et les menaces proférées à son égard !

Avec une belle assurance en prime, car ce mouvement bénéficiait du soutien de larges secteurs de la population. Le 31 mars dernier, 73% de l’opinion publique québécoise appuyait la principale revendication étudiante, et non seulement les syndicats de professeurs ou d’enseignants, mais de manière générale l’ensemble du mouvement syndical (CSN, FTQ, CSQ) s’étaient d’une manière ou d’une autre solidarisés avec la cause étudiante, laissant le gouvernement libéral dans une situation difficile, passablement seul et apparemment sans grand rapport de force pour négocier.

Et ce mouvement paraissait d’autant plus puissant que le gouvernement qu’il affrontait n’avait cessé -affaiblissant ainsi ses dernières marges de manœuvre— de multiplier gaffe sur gaffe et de reculer sur quelques-uns des dossiers les plus importants qu’il avait mis de l’avant : la Centrale du Suroît puis l’affaire des écoles juives et maintenant celle du Chum de Montréal.

Camisole de force

Mais justement c’est là l’étonnant : ce dynamisme rafraîchissant du mouvement étudiant semble en partie enfermé dans une camisole de force. Car à y regarder de près, loin de se radicaliser et de s’élargir à de larges secteurs du mouvement comme l’aurait souhaité la CASSÉE, les revendications étudiantes se sont plutôt focalisées, autour d’une seule revendication, éminemment défensive et partielle : le retrait de la mesure gouvernementale visant à transformer les bourses en prêts et permettant au gouvernement d’économiser 103 millions de dollars. En d’autres mots, les exigences étudiantes ont fini par être ramenées à une demande de statu quo, et encore même pas, puisque l’entente de principe signée cette fin de semaine par la FEUQ et la FECQ accepte l’étalement des « 103 millions » sur deux ans.

Mais si dans le contexte actuel cette entente est apparue à certains comme un gain non négligeable, elle ne s’attaque cependant pas aux problèmes de fond qui, depuis les coupures du « déficit zéro » des années 95-98, paralysent littéralement l’éducation au Québec (son budget a été réduit à l’époque de 20%). Tous les experts n’ayant pas vendu leur âme aux logiques néolibérales, ne cessent pourtant de le dire : la question des prêts de bourses n’est que la pointe de l’Iceberg. C’est le système de l’éducation tout entier qui est en crise et auquel il faut avoir le courage de trouver des solutions de fond : le sous financement chronique des universités ; la disparition à petit feu des Cegeps tels que conçus à l’aune du Rapport Parent ; le manque de moyens financiers et de pédagogies adéquates au primaire et secondaire, sans parler même de la question de la laïcité et de la place grandissante des écoles privées.

Il suffit de porter attention aux revendications actuelles des travailleurs (euses) de l’éducation qui depuis des mois cherchent à renouveler leurs conventions collectives pour s’en rendre compte. Ne l’oublions pas, ce sera la prochaine échéance sociale du gouvernement libéral ! Si leurs demandes sont multidimensionnelles, elles touchent pourtant tous à la même revendication de fond : la nécessité d’un réinvestissement massif dans l’éducation et la santé, sous les auspices d’un Etat qui devrait avoir le souci du « bien commun » et chercher à préserver les inestimables acquis sociaux des années passées.

Pas d’alternatives communes

On le sait : les politiques néolibérales du gouvernement Charest n’ont jamais cessé depuis deux ans de soulever la grogne sociale. Elles n’ont cependant pas encore (?) permis de faire émerger des alternatives sociopolitiques unifiantes et mobilisatrices. Comme si chacun (syndicats, partis, organisations étudiantes, mouvement communautaire, etc.) restait sur son quant à soi, isolé (en pratique) des autres, sans véritable force commune pour oser donner à la dynamique sociopolitique un autre sens... possible. Comme si personne -mises à part d’encore petites forces politiques comme l’UFP et Option citoyenne---- ne voulait avoir l’odieux de s’attaquer frontalement aux politiques néolibérales du gouvernement Charest, alors que pourtant tout le monde en souffre dramatiquement dans son propre secteur. Ni le PQ qui, affaibli par des dissensions internes et une crise stratégique majeure, reste étrangement silencieux. Ni les syndicats qui, préférant prudemment s’en tenir à leur traditionnel calendrier de négociation, auraient pourtant eu là une bonne occasion de s’unir dans l’action, autour de revendications non corporatistes, pour jouer comme jamais le rôle de défenseurs acharnés du « bien public » et de la collectivité.

A l’inverse, dans le sillage de l’entente de principe annoncée, on peut déjà voir se dessiner une partie du scénario le plus probable : sur fond de division du mouvement étudiant (entre partisans et non partisans de l’entente), les élites médiatiques et politiques vont se congratuler et se complaire dans le « jeu de l’autruche », gardant soigneusement la tête enfouie dans les sables du « calcul politique à court terme ». Les uns se félicitant de l’habilité du ministre qui n’a pas lâché son bout, les autres de la fin appréhendée d’une crise sociale décidément embarrassante, laissant en partage aux étudiants la consolation d’avoir au moins symboliquement fait reculer le gouvernement libéral. Certes cela n’est pas rien et laissera des traces pour longtemps chez ces derniers, confortant la certitude que ce n’est qu’à plusieurs qu’on peut faire bouger les choses.

Mais pour aller plus loin, ne serait-ce que pour commencer à résoudre les problèmes de fond de l’éducation, il aurait fallu que d’autres se mobilisent, il aurait fallu plus. C’est le drame d’aujourd’hui, cette absence de projet sociopolitique unificateur crédible et alternatif, de volonté d’agir vraiment ensemble ; passages nécessaires pour rompre avec cette impuissance collective dans laquelle nous nous sentons -chacun à notre manière— si profondément enfermés ; conditions premières pour recommencer à penser... l’avenir. Puisse l’élan du mouvement étudiant de ce printemps 2005 nous le rappeler, nous en redonner le goût ! Nous en avons tant besoin.

Pierre Mouterde


Professeur de philosophie au collège de Limoilou (Québec)

Auteur de Quand l’utopie ne désarme pas, les pratiques alternatives de la gauche latino américaine (Ecosociété 2002), ADQ, voie sans issue (en collaboration avec Jean Claude Saint Onge, (Ecosociété 2002).