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Le Brésil sous Lula : Vers une déception populaire ?

L’espoir « Lula »

par Eric Toussaint , Olivier Bonfond

dimanche 21 mars 2004

En octobre 2002, c’est avec plus de 20 millions de voix d’avance sur son concurrent José Serra que Luis Inacio « Lula » da Silva accédait à la présidence. Après vingt années de politique néolibérale dévastatrice d’un point de vue social et économique, cette élection redonnait au peuple brésilien mais aussi à toutes les personnes de gauche un énorme souffle d’espoir. L’espoir de voir enfin se concrétiser des actes politiques forts qui mettent la priorité à la satisfaction des besoins humains fondamentaux

Cet enthousiasme se justifiait pleinement. De par son histoire et sa personnalité, c’est la justice sociale qui semblait être au cœur des convictions de Lula. Son programme historique était en totale rupture avec l’idéologie néolibérale : suspension immédiate du paiement de la dette, augmentation du salaire minimum légal, réforme agraire, redistribution des terres aux paysans (MST), augmentation des dépenses publiques, notamment dans les secteurs de l’enseignement et de l’éducation, éradication de la faim, ...le FMI et la BM n’ont qu à bien se tenir !

A la veille de son élection, deux compromis douteux

Premièrement, sans l’aval des membres de son parti ( PT ), il crée une alliance avec le Parti Libéral. Si Lula est élu, ce dernier recevra la vice-présidence de la République. Ensuite, contrairement à ce qu’il avait affirmé avec force ces dernières années, il s’engage à respecter les accords signés entre son prédécesseur ( F-H Cardoso ) et le FMI. La dette continuera d’être remboursée. En accordant au Brésil un nouveau prêt de 33 milliards de dollars répartis sur trois années, le FMI sait ce qu’il fait. Le but est de « bétonner » sa position sur Cardoso mais aussi sur le futur président.

Sur les raisons qui expliquent ce changement de cap, le débat reste ouvert. Une chose est claire cependant, il ne veut pas passer à côté de la présidence une fois de plus. Il est donc essentiel de renforcer sa position. Si certains sont convaincus que ce discours teinté de modération lui a effectivement permis de gagner, entre autre en recevant pour la première fois le soutien du groupe médiatique O’globo, d’autres pensent que ces actes étaient inutiles et contre productifs. Il aurait été élu de toute façon. Il aurait sans doute perdu des voix, mais l’effet désastreux de 15 années de politique néolibérale avait installé au sein de la population brésilienne un réel désir de changement. A posteriori, son écrasante majorité, alimentée par l’ensemble des votes contestataires, confirme cette hypothèse.

L’important à cet instant, c’est que le doute reste permis. Son but était-il tactique ou stratégique ? Avait-il adopté cette position pour s’assurer la présidence, sans perdre ses convictions profondes et avec l’intention ferme de concrétiser son programme progressiste ? Un regard sur l’année 2003 va donner la réponse à ces questions.

Lula sur la route du néolibéralisme

Dès le début de son mandat, les actes qu’il pose ne laissent plus de place au doute. La composition de son gouvernement est un signe tout à fait caractéristique. En effet, tous les postes clés du gouvernement vont aller à des personnes liées aux intérêts des capitalistes alors que les postes dotés de moyens financiers moins importants iront à des personnalités « sympathiques » de gauche. Un seul exemple : il nomme président de la banque centrale Henrique de Campos Meirelles. Il a été président de la banque FleetBoston, 7ème banque aux USA et deuxième créancier du Brésil... no comment.

Lula et son gouvernement vont alors mettre en pratique une politique de type néolibéral en accord avec l’idéologie des institutions internationales. En ce qui concerne les accords avec le FMI, non seulement il les respecte, mais il va encore plus loin : plutôt que 3.75 % comme prévu initialement, c’est 4.25 % de surplus budgétaire que le gouvernement s’engage à atteindre ! Les dépenses sociales devront encore diminuer. On assiste également à une augmentation du taux d’intérêt directeur de la banque centrale, ce qui renforce inévitablement l’inégalité sociale. La réforme de la sécurité sociale favorise les fonds de retraite privés. L’utilisation d’OGM est légalisée.

Ces mesures sont donc non seulement en contradiction avec les engagements qui lui ont permis de recevoir les suffrages populaires, mais elles le mettent dans l’impossibilité de tenir ses promesses : l’austérité budgétaire et le paiement de la dette réduisent drastiquement les montants pouvant servir à éliminer la faim, augmenter les niveaux de salaire, étendre la réforme agraire ou entreprendre d’autres mesures progressistes. La hausse des taux d’intérêts ne fait qu’augmenter les sommes à rembourser, sans parler de la difficulté accrue pour les petits et moyens producteurs d’accéder au crédit, qui réduit l’investissement et empêche l’économie brésilienne de retrouver la croissance.

A sa décharge notons que c’est dans le domaine de la politique internationale qu’il reste le plus radical. Il s’oppose à la guerre en Irak. Il manœuvre pour réduire la portée de l’A.L.C.A.. Il participe à la mise en échec de la réunion de Cancun, où le groupe des 21 ( Brésil, Inde, Afrique du sud, Chine,... ) s’oppose à l’agenda de Doha, qui vise à étendre la libéralisation du commerce à de nouveaux secteurs ( santé, eau, etc. )

Les justifications

A l’heure actuelle, le président Lula justifie fermement ses positions. Toutes les mesures d’austérité qu’il a prises sont nécessaires pour stabiliser la situation. Il a fait des promesses, il va les tenir, mais il a besoin de temps. Même si la réalité nous impose le pessimisme, le peuple brésilien continue à croire en lui et à le soutenir. Demander du temps est légitime et les termes de négociation avec le FMI sont techniquement complexes. Néanmoins, s’il ne change pas de position, tôt ou tard, ce soutien va s’éroder.
Quel avenir ?

Sous peine de perdre la confiance que les Brésiliens lui ont donné, Lula devra rapidement changer de politique. Plus il traînera, plus il maintiendra l’illusion d’un changement, plus la chute sera dure. En priorité il faudra rompre les accords avec le FMI, principal obstacle à la construction d’un autre monde. Pour que le gouvernement redevienne libre et responsable, il devra trouver des sources alternatives pour financer un réel développement où la satisfaction des droits humains est au centre de la réflexion et des choix. Il est presque certain que Lula ne prendra pas le tournant à gauche que nous appelons de nos vœux. Dès lors, la seule possibilité de changement positif repose sur le mouvement social. Il faudra une puissante mobilisation sociale pour forcer Lula à respecter à l’égard du peuple brésiliens ses promesses ou à se démettre.

19 mars 2004


À paraître dans le mensuel La Gauche (Belgique) d’avril 2004.