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Le G8 cherche à se racheter grâce au 11 septembre

Par Nicola Bullard Traduction : coorditrad@attac.org

2002

Après " le carnage, la pagaille, le ravage " de Gênes, il était entendu que l’ère des " grands sommets " était terminée. Selon l’ expression d’un journal britannique, la réunion annuelle des grandes puissances capitalistes du monde s’était révélée un " événement médiatique dispendieux" qui n’avait rien produit d’autre que "de longues déclarations dans lesquelles la banalité l’emporte souvent sur la consistance. "

Le sommet de Gênes fut non seulement dispendieux, ce fut aussi un désastre en termes de relations publiques : 250.000 manifestants dans la rue, un jeune homme abattu par la police, la confirmation par les témoignages que la police italienne avait provoqué et couvert une bonne partie de la violence attribuée au "black bloc ". Dans sa réaction, le G8 s’est montré arrogant, distant et désuni. Sa seule réponse a consisté en une déclaration finale conforme à la règle de la banalité qui l’emporte sur la consistance

L’insistance du G8 à engager une nouvelle série de rencontres sur le commerce n’a surpris personne, le fond mondial pour le sida avait été annoncé des mois auparavant, l’allègement de la dette fait l’objet de promesses pour la millième fois, et le souhait de " combler le fossé numérique " comme celui de " faire en sorte que la mondialisation sa fasse au bénéfice de tous les citoyens et en particulier au bénéfice des pauvres " étaient devenus des clichés complètement usés. Un ou deux engagements, tels que le " plan Marshall " pour l’Afrique, restaient vagues et ne s’appuyaient sur aucune ressource.

Il ne faut pas s’attendre à ce que le G8 produise une quelconque action politique concertée, ou fasse preuve d’une vision quelconque. En premier lieu, toute décision qui aurait un effet sur les inégalités exigerait que les pays riches abandonnent quelque chose- par exemple leur droit à imposer leur politique économique au reste du monde- et ils ne sont pas prêts à le faire sans combat. En second lieu, ils savent qu’il n’est pas possible de traiter ces problèmes et en même temps de préserver leurs privilèges. Et enfin, ils sont divisés sur ce qu’il convient de faire et le seul terrain d’entente est un ensemble de banalités et de fadaises.

DES FAILLES DANS LE CONSENSUS.

Les divergences politiques entre les responsables ont été particulièrement visibles dans leurs réponses aux manifestations. Alors que le Premier Ministre britannique Tony Blair traitait les participants de voyous anti-démocratiques, le président français Jacques Chirac remarquait- avant même que Carlo Giuliani soit abattu- que " pour remuer cent mille personnes, il faut bien qu’il y ait un problème dans leurs cours et dans leurs âmes. "

Et quand les responsables du G8 ont quitté Gênes, les divergences se sont faites encore plus importantes, en particulier lorsque les informations sur le raid nocturne des autorités italiennes et les brutalités exercées sur les manifestants qui dormaient dans une école sont parues dans les grands journaux.

Le ministre de Tony Blair pour l’Europe, Peter Hain, a critiqué durement la police italienne, et lorsque les manifestants contusionnés et meurtris sont revenus en désordre à Londres, Paris et Francfort avec des récits de passages à tabac et d’interrogatoires, les médias locaux ont commencé à s’intéresser à la chose.

En France, le Premier Ministre Lionel Jospin s’est empressé de renforcer les liens avec les groupes "anti-mondialisation" et a annoncé qu’il encouragerait une discussion de la taxe Tobin entre les ministres européens des finances. Le Chancellier allemand Helmut Schroeder lui a emboîté le pas, sans aucun doute encouragé en cela par la croissance incroyable du mouvement ATTAC d’Allemagne, dont le nombre de membres est brusquement passé de 400 à 2000 après Gênes.

Et c’est un fait que durant le long été qui a suivi en Europe, il semblait que les médias avaient fini par " recevoir le message ". De nombreux "bons"journaux anglais, américains et européens ont commencé à sortir des articles plus longs et plus bienveillants sur le mouvement " anti-mondialisation ". Certains affirmaient même que le fossé entre les dirigeants du G8 et la population était préoccupant et que le niveau des inégalités dans le monde était trop élevé pour qu’on n’en tienne pas compte.

Le Financial Times- le reflet de la pensée de l’institution libérale - a initié une série d’articles sur les " anti-capitalistes ". L’ironie du sort a fait que le premier article est paru le 11 septembre. On conçoit que la série ait été provisoirement suspendue alors que le monde regardait avec horreur et stupéfaction les attentats de New-York. Elle reprit cependant plusieurs semaines après, avec un message discret mais clair : les questions qui préoccupent les " anti-capitalistes " - la dette, la pauvreté, l’injustice du commerce, la désintégration de l’environnement et du social- sont encore plus importantes maintenant qu’elles ne l’étaient avant le 11 septembre.

PLUS CA CHANGE, PLUS C’EST LA MÊME CHOSE.

Le monde a beaucoup changé depuis le 11 septembre. Pour beaucoup de gens, il est bien pire qu’avant. La récession- dont on a à peine parlé à Gênes et que la déclaration du G8 a éludée- est devenu un fait, que les contrecoups du 11 septembre n’ont fait qu’aiguiser et renforcer. L’O.I.T. (Organisation Internationale du Travail) prévoit qu’une récession pourrait entraîner la perte de 24 millions d’emplois dans le monde. C’est un désastre pour bon nombre de pays en développement, en particulier ceux qui dépendent étroitement des exportations. La guerre d’Afghanistan ne peut qu’apporter des souffrances aux Afghans, et la "guerre totale au terrorisme" pourrait se muer en une guerre mondiale de faible intensité, au nom de laquelle on peut justifier tout et n’importe quoi.

Mais pour le G8, les événements du 11 septembre revêtent les apparences d’un bienfait, puisqu’ils donnent à l’alliance discréditée des élites une nouvelle jeunesse.

Avec la caution morale de la " guerre totale au terrorisme ", et l’"Opération Justice Infinie " comme manuel, le G8 est passé de l’état d’officine de bavardages économiques à celui d’alliance militaire à part entière. Les USA, qui, avant le 11 septembre, faisaient de plus en plus figure de paria sur la scène internationale, à la suite de manifestations répétées d’unilatéralisme arrogant, ont repris place dans le siège du pilote, avec le Royaume-Uni comme co-pilote. L’Allemagne, la France et l’Italie ont engagé leur "solidarité sans limite" et leurs troupes, tandis que le Japon - au grand désespoir de son très important mouvement pour la paix - a modifié sa constitution d’après-guerre pour permettre à des troupes japonaises d’être envoyées outre-mer. La Russie se présente comme la grande gagnante : non seulement sa guerre en Tchétchénie s’est vue légitimée comme guerre contre le terrorisme, mais elle peut aussi bénéficier de l’aubaine de pipelines pétroliers stratégiques traversant son territoire. Le Canada, comme toujours, est l’allié fidèle.

La question est alors de savoir quel équilibre ces pays vont trouver entre d’un côté leur engagement international dans la " guerre contre la terreur " et de l’autre la montée de la pression interne en faveur des changements dans le commerce mondial et dans le système financier, la récession et la montée du chômage, ainsi que la reconnaissance du fait que l’injustice et les inégalités qui ont entraîné les manifestations de Gênes sont aussi la source d’un terrible malaise du Sud.

" LES GRAINES DE LA VIOLENCE LÈVENT DANS LE SOL PAUVRE ".

Dans les jours qui ont suivi les attentats, de nombreux commentateurs ont judicieusement observé que la pauvreté est le terreau du terrorisme et du fondamentalisme (islamique, bien sûr, mais pas chrétien ou hindou) comme s’ils savaient cela depuis longtemps, mais que personne ne s’était jamais soucié de le leur demander.

Il est par trop simpliste de confondre pauvreté et terrorisme. Ce n’est pas seulement absurde (un milliard de personnes qui vivent avec un dollar par jour et combien de terroristes ?) mais c’est surtout réduire les capacités humaines à une simple expression économique : c’est bien là une solution néo-libérale à un problème complexe de l’histoire, de la politique et du social. On imagine bien George W.Bush disant : " il suffit d’amener tous ces gens dans l’économie de marché et le tour est joué ".

Cette simplification est également dangereuse en ce qu’elle nous évite un débat sérieux sur le terrorisme, ce qu’il est et qui le détermine. Cela nous évite de parler de la violence et de l’intolérance, de l’impérialisme et de la liberté, de la culture et des choix personnels, et de ce qui se tient au cour des idées dominantes en Occident sur la modernité et le progrès. Mais si l’on oublie tout cela, et qu’on accepte le postulat tout bête que le monde se compose des bons, des méchants et des pauvres qui pourraient devenir méchants s’ils restent pauvres, on arrive très vite à la conclusion que ce qu’il leur faut, c’est le " développement ". Le développement signifie l’entrée dans le marché et - John Maynard Keynes le savait bien -, l’un des meilleurs remèdes à la récession est la dilatation de la base de la consommation.

Cette stratégie " anti-terroriste " du développement revêtira sans doute la forme familière de l’encadrement libéral mis au point par les USA pendant la guerre froide, qui consistait à assurer la stabilité économique des pays en développement, et, si nécessaire, de soutenir la contre-révolution armée pour éradiquer le communisme. À cette époque, les objectifs " jumeaux et interdépendants " du programme américain d’aide s’appelaient " la menace communiste contre les pays libres.et la pauvreté prépondérante et le défaut de développement. " Il suffit de remplacer le mot " communisme " par " fondamentalisme islamique " pour voir la direction que va prendre dans les prochains mois le discours américain -ou celui du G8- sur le développement.

Nul doute qu’il se présentera sous un vocable recherché : peut-être un " New Deal Mondial ". Mais quel que soit son nom, il est sûr qu’il n’y aura pas de mise au point préalable. Il n’y aura pas de suppression de la dette du type plan Marshall, il n’y aura pas de révision des accords commerciaux injustes, et il n’y aura pas non plus de démocratisation des institutions ou des marchés.

En fait, ce serait sans doute un " New Deal Mondial " qui ne concernerait que les quelques pays " chanceux " qui ont leur importance dans la guerre contre le terrorisme. C’est ce que sous-entendait la Secrétaire au Développement Clare Short quand elle a dit, dans un revirement total par rapport à la promesse faite à Gênes de " libérer " les aides, que le Pakistan aurait accès à une révision et une réduction de la dette selon des conditions réservées d’habitude aux pays les plus pauvres. Selon elle, " cela répondrait à une finalité géopolitique tout en maintenant le Pakistan sur la lancée des impressionnants efforts de réforme qu’il a fait récemment. "

Il est clair que les principaux bénéficiaires des augmentations d’aide (si cela se concrétise) seront les pays qui ont une importance stratégique dans la géopolitique de la " guerre contre le terrorisme " - le Pakistan, l’Inde, les pays émergents d’Asie centrale, l’Iran et, -qui sait ? - un jour, l’Irak. Les bandits du temps de la guerre froide, le Cambodge, la Chine et le Vietnam ont tous été récupérés dans le giron capitaliste, donc là tout est possible.

Quant aux pays d’Afrique, à moins qu’ils ne relancent quelque forme de fondamentalisme islamique, on peut à nouveau les abandonner à leur sort, avec leur fond mondial sans financement de lutte contre le sida, leur plan sans financement de redressement de l’Afrique, et les malheurs accumulés par la guerre froide et les siècles de colonialisme.

Il est également difficile d’imaginer qu’on puisse assister à un changement important venant modifier la rhétorique globalisante selon laquelle "une économies ouverte, c’est une société ouverte ".Témoin cet appel héroïque de Martin Wolf dans le Financial Times :

" Les maux des pauvres du monde entier proviennent non pas de trop de globalisation, mais de trop peu. Continuer à les marginaliser ne peut que perpétuer leur sentiment d’abandon et d’injustice. Mais l’extraordinaire élan de coopération internationale engendré par les atrocités du mois dernier représente peut-être une lueur d’espoir. Il a créé de nouvelles opportunités de renforcer les liens tant économiques que diplomatiques. La dernière occasion en date se situait après la seconde guerre mondiale, quand les USA exercèrent une domination économique éclairée qui jeta les bases d’une prospérité et d’une stabilité durables en Europe et au Japon. Depuis, beaucoup de choses ont changé dans le monde. Mais il y a là, malgré tout, une occasion à saisir. "( " La garde aux frontières du territoire ", 17 septembre 2001).

D’ici le prochain sommet, le G8 a devant lui une croisade " morale " à mener. Il est aussi incité à réaliser de sérieuses incursions dans le champ des inégalités et des injustices qui alimentent une bonne partie des sentiments anti-occidentaux. C’est ironiquement ce qui peut donner un peu d’élan aux promesses creuses de la déclaration du G8.

Ce qui incombe maintenant aux centaines de milliers de personnes qui étaient à Gênes, qui iront à Porto Alegre, et aux millions qui par le monde font partie du même mouvement, c’est de maintenir la pression sur l’élite politique et ses institutions. Nous ne devons pas nous laisser intimider ni réduire au silence par les tentatives de diviser le monde en bons et en méchants et de nous assimiler aux " terroristes ". L’espace politique entre ces deux pôles est immense et vide. Il nous faut le remplir en exigeant la justice et en affirmant haut et fort que la sécurité et la stabilité politique ne peuvent pas se gagner par la guerre contre le terrorisme, mais par la guerre contre l’injustice.

Nicola Bullard travaille pour Focus on the Global South. Focus on the Global South (FOCUS) c/o CUSRI, Chulalongkorn University Bangkok 10330 THAILAND Tel : 662 218 7363/7364/7365/7383 Fax : 662 255 9976 E-mail : N.Bullard@focusweb.org Web Page http://www.focusweb.org

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