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Prostitution comme violence :Le corps des femmes est attaqué. Que fait-on ? On se tient debout et on riposte !

mardi 10 février 2009


Tiré du site Sisyphe


Myriam Ariey-Jouglard, Stéphanie Charron, Amélie Châteauneuf, Laurence Fortin-Pellerin, Katherine Hébert-Metthé, Rhéa Jean, Yara Kadulina, Maude Marcaurelle, Ana Popovic, Ariane Vinet-Bonin

Nous sommes de jeunes femmes qui étaient présentes lors du Rassemblement pancanadien de jeunes féministes qui a eu lieu à Montréal les 11, 12, et 13 octobre 2008. Nous sommes également de celles qui ont participé à l’atelier sur l’industrie du sexe et à l’action contre la pornographie et la prostitution sur la rue Sainte-Catherine. Nous tenons ici à réagir aux propos d’Ariel Troster publiés sur le site de xtra.ca, le 31 octobre 2008, sous un article intitulé « Anti-porn feminists. PERSONAL/ POLITICAL/Women’s conference still divided on sex work » (www.xtra.ca).

Tout d’abord, il est important de comprendre que notre action n’était pas dirigée contre les femmes dans l’industrie du sexe. Au contraire, parce que nous sommes solidaires de l’ensemble des femmes, et surtout des femmes exploitées sexuellement, nous avons manifesté contre ceux qui profitent de l’industrie du sexe et de la marchandisation du corps des femmes. Notre action visait à dénoncer les clients-prostitueurs et les proxénètes, comme en témoignent les slogans scandés lors de la manifestation : « Nous, les femmes, ne sommes pas des marchandises », « Non à la pornographie », « Non à la prostitution », « Les hommes doivent arrêter d’acheter les femmes pour du sexe ». Nous avons d’ailleurs rencontré un autre groupe de jeunes femmes, également présentes à l’occasion du Rassemblement, qui manifestaient dans le même sens que nous. Il y avait donc deux groupes (et non pas un seul) qui ont choisi de dénoncer l’industrie du sexe.

L’atelier sur l’industrie du sexe était ouvert à toutes, y compris aux femmes qui se définissent « travailleuses du sexe ». Peut-on présumer qu’il n’y avait aucune femme présente dans cet atelier ou dans la manifestation qui est (ou a déjà été) dans l’industrie du sexe ? C’est difficile à savoir puisque l’histoire ou le vécu des femmes n’est pas inscrit sur leur front. Durant l’atelier, l’une des animatrices a d’ailleurs témoigné de son expérience difficile et douloureuse dans l’industrie du sexe. Pourquoi le témoignage des femmes qui ont un vécu dans l’industrie sexuelle, mais qui critiquent cette industrie, ne compte-t-il pas ? C’est très difficile et ça prend beaucoup de courage de parler de son expérience dans ce milieu, et quand les femmes le font, elles se font dire qu’elles n’existent pas. Nous sommes toutes, par ailleurs, concernées par la marchandisation du corps des femmes. Celle-ci a un impact sur l’ensemble des femmes puisqu’elle nous rend potentiellement marchandable. Nous sommes toutes sollicitées en tant que femmes par l’industrie du sexe, que ce soit par le biais des annonces dans les journaux ou par d’autres types de pressions, souvent directement par les clients-prostitueurs. Les femmes qui ne sont pas dans l’industrie du sexe n’y sont pas parce qu’elles ont eu la chance de l’éviter.

« Le débat de 1982 » n’est pas réglé. Il existe toujours des féministes abolitionnistes, jeunes et moins jeunes. Peut-être bien que l’action sur la rue St-Catherine ressemble aux actions anti-porno menées dans les années 1980. De la même façon, les tentatives contribuant à invisibiliser les femmes dans l’industrie du sexe et à faire taire la voix de celles qui ont le courage de se prononcer contre la violence et l’humiliation inhérente à la prostitution et à la pornographie ressemblent aux actions de celles qui ont réussi à les faire sentir coupables dans les années 80. Nous sommes d’accord qu’il est essentiel de lutter contre la violence, l’intimidation et la criminalisation des femmes dans l’industrie du sexe. Mais, il n’y a pas, et il n’y a jamais eu, de « consensus » sur la décriminalisation des clients-exploiteurs et des proxénètes. Nous réaffirmons notre solidarité envers les femmes dans la prostitution. Être contre la prostitution, ce n’est pas être contre les femmes dans la prostitution. Par ailleurs, être contre le viol, ce n’est pas être contre les femmes violées.

Le fait de traiter la violence liée à la prostitution simplement comme un problème d’« environnement de travail » minimise la réalité même de la prostitution et ses causes, soit les pressions sexuelles et les attentes sociales qui découlent des rapports inégalitaires entre les femmes et les hommes. Il y a une différence fondamentale entre la prostitution et un rapport sexuel désiré, consentant et réciproque. La simple dichotomie entre « prostitution choisie » et « prostitution forcée » ne rend pas compte de la complexité du problème. Aborder le problème de la prostitution sous l’angle du consentement sexuel relève d’une erreur méthodologique puisque l’on omet les forces et les pressions qui contraignent les femmes à faire le « choix » de la prostitution. De plus, il existe un lien entre la prostitution et le trafic des femmes puisque la prostitution constitue le socle du trafic des femmes visant à répondre à la demande masculine.

Nous pensons également qu’il est dangereux d’associer ou de confondre les termes « pro-sexe » et « pro-travail du sexe ». Pour nous, ce sont deux notions contradictoires. La sexualité telle qu’elle est définie dans la société est teintée des rapports de domination entre les hommes et les femmes. Est-ce qu’être « pro-sexe » signifie cautionner une société où les désirs des hommes doivent être comblés selon leurs diktats à eux ? Est-ce qu’être « pro-sexe » signifie que les femmes doivent répondre aux exigences sexuelles des hommes ? Nous considérons que la liberté sexuelle est celle de pouvoir choisir des relations sexuelles réciproques, mutuelles et spontanées, libres de toute contrainte financière ou autre. Le rapport marchand fausse la liberté sexuelle des femmes parce que les hommes achètent leur consentement. Si l’on veut que la sexualité reste un choix libre, elle doit donc être exempte de tout rapport marchand. Cela signifie également de pouvoir refuser un rapport sexuel à tout moment. Or, cela n’est pas possible dans la prostitution puisqu’il s’agit d’un contrat monnayé. La liberté sexuelle signifie, pour nous, la liberté de choisir sa sexualité, et avec quelLE partenaire, quand et, surtout, comment. La liberté sexuelle est celle d’avoir le choix de ne pas se prostituer.

Finalement, nous saluons l’adoption du terme « exploitation sexuelle » dans le manifeste du Rassemblement de jeunes féministes. Il est déplorable, toutefois, de constater que les médias contribuent à une telle banalisation et désinformation en ce qui concerne les réalités de la prostitution. Il est encore plus déplorable de faire un tel constat de la part de médias alternatifs comme le xtra.ca.

Myriam Ariey-Jouglard, Stéphanie Charron, Amélie Châteauneuf, Laurence Fortin-Pellerin, Katherine Hébert-Metthé, Rhéa Jean, Yara Kadulina*, Maude Marcaurelle, Ana Popovic, Ariane Vinet-Bonin.

* Note : Yara Kadulina n’était pas présente au Rassemblement de Jeunes féministes (2008), mais elle est solidaire des femmes exploitées sexuellement et endosse la position énoncée dans cette lettre.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 décembre 2008

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