Accueil > Nos dossiers > Contre la mondialisation capitaliste > Un Forum en questions

Forum social européen - Londres

Un Forum en questions

dimanche 17 octobre 2004

Un Forum en questions

Troisième édition pour un Forum social européen qui s’annonce en demi-teinte. Londres la ville d’accueil se révèle pleine d’écueils. Mais plus encore, les spécificités anglaises ne sont pas sans susciter la perplexité auprès des organisations françaises. Et l’enthousiasme ne semble pas au rendez-vous.

Quelques heures de l’ouverture du IIIe Forum social européen, l’enthousiasme, vu de Paris, ne semble pas au rendez-vous. C’est que Londres, déjà, est difficile d’abord. Et qu’au-delà d’une mer, il subsiste bien des obstacles à franchir.

La frontière en premier lieu, qui exige pièces d’identité pour tous et visas pour ceux qui n’ont pas la nationalité d’un pays de l’Union européenne. Non signataire des accords de Schengen, la Grande-Bretagne ne lésine pas avec les contrôles. Exit donc les sans papiers, les migrants, les demandeurs d’asile qui, du Forum de Florence à celui de Paris/Saint-Denis étaient parvenus à s’organiser à l’échelle européenne et entendaient poursuivre leurs rencontres. Ils resteront plantés à Calais, en bout de terre continentale. Derrière la banderole, "Pour les demandeurs d’asile, le chemin de la liberté s’arrête dans les rues de Calais", ils et elles défileront ce jour dans les rues de la ville, avec le soutien de nombreuses associations. Quant aux ressortissants des pays du Sud, ils seront bien peu en capacité d’obtenir un visa pour l’Angleterre.

Autre obstacle de taille à dissuader une large participation, l’argent. Londres, la capitale la plus chère d’Europe, exige un porte-monnaie très rempli. Le coût de la vie y est très élevé et, aux transports (4,30 livres un pass pour la journée), à l’hébergement (7 livres pour l’accès à un sol où déposer son sac de couchage dans un gymnase), à la restauration s’ajoutent un tarif d’inscription au FSE particulièrement prohibitif : 30 livres (1 livre est égale à 1,56 euro). Ceux qui, à Florence et à Paris, avaient déjà bien du mal à survivre - les maigres bourses et, notamment, les européens de l’Est éviteront le voyage.

Le comité d’organisation de ce troisième FSE mise sur la participation de 20000 personnes, contre 50000 à Paris/Saint-Denis par exemple. "Du côté français, nous serons beaucoup moins nombreux qu’aux forums précédents, estime Annick Coupé, porte-parole de l’Union syndicale G10 solidaires. Il se tient plus tôt que les précédents, c’est difficile de mobiliser des gens à la rentrée, c’est cher, c’est le troisième, le côté nouveauté s’émousse un peu et on rencontre aussi malheureusement beaucoup de méfiance sur la façon toute britannique d’avoir construit l’événement."

Un peu social, un peu européen

"Il s’agit sans nul doute d’un forum un peu social, un peu européen". Cette formule de Bernard Cassen, président d’honneur d’Attac, pourrait résumer le sentiment partagé par nombre de ceux qui ont participé, tout au long de cette année, aux réunions européennes de préparation. Pour chaque FSE, un nouveau lieu, un nouveau comité d’organisation du pays accueillant. "Et d’autres préoccupations et priorités politiques, explique Annick Coupé. Dans celui-ci, la dimension européenne n’est malheureusement pas centrale et c’est une vraie difficulté. La constitution européenne est pourtant au coeur de l’actualité de nos luttes et résistances. Elle n’apparaissait presque pas dans les thèmes des séminaires déposés par les organisations britanniques. Et il a fallu de nombreux échanges et discussions pour que la manifestation prévue en clôture du Forum affirme la revendication d’une ’Europe des droits, contre la guerre, contre le racisme’. Le comité anglais voulait quant à lui qu’elle soit contre la politique américaine de guerre, à 15 jours des élections aux Etats-Unis" C’est que la guerre en Irak occupe une place très importante dans les débats anglais. Rien de bien étonnant : les troupes britanniques participent depuis le début à l’offensive en Irak et les critiques de la politique étrangère de Tony Blair prennent de l’ampleur, d’autant avec l’assassinat des deux otages anglais.

Mais si la dimension européenne a peine à s’imposer, bienvenue en revanche aux préoccupations "communautaires", spécifique à l’organisation sociale en Grande-Bretagne. Les séminaires et débats sur le racisme, sur la guerre mais aussi sur les questions religieuses, et l’islam notamment ("La contribution musulmane à la civilisation", Musulmans en Europe : perspectives de défis", "L’islamophobie en Europe"), font flores, au grand dam d’organisations très attachées à leur conception toute française de la laïcité [1]. "C’est réellement une dimension importante de la culture politique et sociale anglaise, explique Annick Coupé. Et qui n’est pas propre à un courant particulier. Même avec les syndicalistes avec lesquels nous travaillons habituellement, ces questions-là sont très importantes. Un séminaire sur le Hijab déposé par une organisation syndicale, on ne verrait jamais ça en France ! Pour ma part, je n’ai pas vraiment été surprise. Mais nous nous sommes battus, les Français avec d’autres, pour obtenir un équilibre avec les questions sociales qui étaient quelque peu remisées en marge."

Quant à l’équilibre justement, il demeure obscur. A quelques semaines du Forum, le comité anglais s’est attelé à refondre les propositions de séminaires des uns et des autres - plus de 1000 au total - pour qu’il n’en existe plus que 150. Vaste tâche. Et qui n’a pas laissé place aux discussions, aux échanges, aux contestations. Un problème de temps. Mais qui laisse un mauvais goût d’incompréhension. "Nous n’avons pas eu le choix, explique Nelly Martin, permanente de Sud-Ptt et l’une des porte-parole de la Marche mondiale des femmes. Et ces regroupements de séminaires donnent naissance à des constructions qui peuvent être très bancales. Beaucoup de séminaires déposés par des organisations anglaises sont restés et d’autres, portés par un panel large d’organisations européennes ont été supprimés. Pourquoi ? On ne le sait pas. Il manque un mois et une réunion européenne pour mettre les gens d’accord, laisser s’exprimer les contestations, construire des compromis."

Les femmes : inaudibles ?

"Sommes-nous inaudibles et invisibles ?", s’alarmait Josette Rome-Chastanet, à quelques jours de la tenue du FSE, au nom de la Marche mondiale des femmes et d’une vingtaine d’organisations féministes. C’est que la tenue d’une assemblée européenne des femmes, actée dès la première réunion de préparation du FSE, n’était toujours pas confirmée. Mieux, elle avait totalement disparu du programme. "Nous l’avons finalement obtenue de haute lutte, résume Nelly Martin. Mais à quel prix ? Nous avons dû accepter d’annuler plusieurs séminaires sur femmes et mondialisation, femmes et pouvoir, etc. pour obtenir une demi-journée assez fourre-tout, avec un patchwork d’interventions. C’est plus qu’une concession. Elle ne s’est faite que sur notre dos."

La déception est grande. La colère partagée par de nombreuses féministes pour lesquelles ce forum risque fort de n’être un coup d’épée dans l’eau du point de vue des femmes. "On a un peu des doutes, des craintes, comme tout le monde, avoue Nelly Martin. Les aspects communautaires sont très importants. Et sous l’intitulé de "Droit de choisir" par exemple, on ne parle pas de contraception mais du voile Ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas ce qu’on voulait : la poursuite du travail engagé l’année dernière lors de l’Assemblée européenne des femmes vers la construction d’un réseau de luttes et d’action. Et je ne suis pas loin de penser qu’on perd une année"

"Mais pour que la dimension femme soit prise en compte, il n’y a pas de mystère, poursuit Annick Coupé, il faut que les organisations de femmes soient présentes et actives dans la préparation de l’événement. Et il semble que les associations britanniques aient été trop faibles pour s’y investir. Elles n’ont pas pris le relais de ce qui avait déjà pu se construire à Florence puis à Paris/Saint-Denis. De notre côté, avec la FSU, nous sommes intervenus plusieurs fois pour rappeler la nécessité de cette dimension mais nous ne pouvons pas nous substituer au comité d’organisation britannique. C’est au quotidien que ces rapports de force se construisent." Au-delà du dépit, une satisfaction : la présence des femmes parmi les intervenants semble être cette année vraiment paritaire

Lassitude et répétition

Au-delà des spécificités anglaises, diversement appréciées, beaucoup pensent que c’est le rythme de ces rendez-vous (FSE, FSM) lui-même qui ne convient plus. Chacun nécessite des temps de préparation extrêmement voraces en temps, en argent et en énergie et qui écarte d’emblée les petites organisations. "Au bout de trois FSE, on répète globalement la même chose, estime Pierre Khalfa, du conseil d’administration d’Attac. Si le forum représente réellement un espace de débats et de confrontations, il n’est pas en revanche parvenu à construire des mobilisations et résistances européennes. Nous manquons de moment d’arrêt, de recul, il faudrait ralentir. Et rediscuter de nos objectifs. Nous avons atteint les limites, je pense que nous sommes à un vrai tournant."

Mais au-delà de leurs doutes, de leurs méfiances et de leur dépit, toutes et tous attendent de cette rencontre de Londres la possibilité d’élargir leurs contacts avec un mouvement social anglais qui reste encore très en marge des réseaux européens déjà construits, actifs, dans lesquels les uns et les autres apprennent à travailler et à construire ensemble. Affaire à suivre donc

Anne Marchand - 14 octobre 2004

[1] "Treize séminaires ou plénières traitent, sous des angles divers, de la question de l’islam, dont 7 auxquels participent Tariq Ramadan, explique Jacques Nikonoff, président d’Attac. Aucune autre religion ni aucune autre personnalité n’ont une telle place au FSE."

(tiré du site Les Pénélopes)

http://www.penelopes.org