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Brésil

Un agenda qui a été interdit : une alternative de prospérité pour le Brésil

dimanche 22 juin 2003

Plus de 200 économistes exigent un changement dans la politique économique du gouvernement Lula. C’est la prise de position critique la plus importante dans le sens d’exiger une rupture avec le programme social et libéral. Le contenu même de ce programme, centré sur le plein emploi, révèle la distance entre ces propositions modérées et la politique du gouvernement Lula, que de nombreux organes de presse qualifient de libéralisme plus décidé que celle appliquée par Fernando Henrique Cardoso. - réd.

Le Brésil a été conduit dans une impasse de stagnation et de chômage par une politique économique qui a capitulé face au délire totalitaire du « marché ». Depuis les années 1990, le débat sur les alternatives de développement fut pratiquement interdit par le biais du recours au dogme selon lequel le « marché », sage et vertueux, laissé à lui-même allait promouvoir une prospérité collective. Après plus d’une décennie au cours de laquelle l’expérience néolibérale a été mise en pratique au Brésil, il est l’heure de faire un bilan et de poser une question : jusqu’à quand la croissance avec une redistribution de la rente sera-t-elle refusée à la société brésilienne ?

L’interdiction du débat économique au cours des dernières années prétendait disqualifier, comme anachronique, toute critique à un quelconque aspect de politique économique. Aujourd’hui, en répétant ce qui s’est produit durant la dernière décennie, la société se voit privée de participer ou d’accompagner un débat réel sur les mesures de politique économique, dont une grande partie ont été décidées d’un commun accord avec le FMI à l’écart d’une quelconque instance démocratique, y compris le Congrès national [les deux chambres du législatif brésilien].

Le « marché » ne débat pas ; il ne fait que menacer. Et ceux qui devraient débattre en son nom prennent les menaces de sa réaction comme une raison suffisante pour mettre fin au débat. Les points clés de la politique économique sont contenus dans une chaîne de tabous parce que la simple mention de vouloir les discuter est écartée en face des risques de spéculation du « marché » [fuite de capitaux, chute de la Bourse, non-souscription des obligations de l’Etat brésilien, grève des investissements], afin que le « marché » obtienne un blanc-seing pour continuer à dicter les orientations d’une politique économique au profit unique de ses opérateurs. Le résultat pour la société en a été taux bas de croissance économique et un accroissement du chômage.

Cela suffit. Nous voulons ouvrir un programme de débat sur la politique économique brésilienne et ouvrir la boîte noire de la politique économique, pour un débat public. C’est un impératif moral que nous reconnaissions le taux de chômage élevé, sans précédent dans notre histoire, comme le plus grave problème social brésilien ; il résulte directement des politiques monétaires et budgétaires restrictives ainsi que de l’ouverture commerciale sans restriction. C’est un impératif politique, face aux droits des citoyens et en ayant en vue la préservation de la démocratie, que l’on remette en úuvre une politique de développement liée à la justice sociale et à la stabilité dont l’objectif final est le plein emploi.

Il existe une alternative. Elle ne passe pas par un changement ponctuel dans un ou un autre aspect de la politique orthodoxe « cohérente » en cours. Mais par une inversion de toute la structure de la politique économique. Cela signifie renforcer une interférence de l’Etat dans le domaine économique, à l’exemple de ce qui s’est produit historiquement dans des situations similaires, comme le New Deal aux Etats-Unis [seconde moitié des années 1930], pour corriger les distorsions provoquées par le libre marché, avant tout le taux élevé de chômage qui compromettait la stabilité sociale et politique du pays. En lignes générales, cela impliquerait un ensemble de mesures prises de façon simultanée, du type :

1. Le contrôle des flux de capitaux (entrées, sorties) et la fixation d’un taux de change [par rapport au dollar et à l’euro] à un niveau favorable aux exportations.
2. Face au maintien d’un haut taux de chômage, il faut réduire l’excédent primaire [c’est-à-dire la situation budgétaire avant le paiement des intérêts sur la dette] grâce à une augmentation responsable de la dépense publique afin d’accroître la demande effective agrégée [la consommation finale] induisant ainsi une relance du développement et de l’emploi.
3. Accroissement des dépenses publiques aux trois niveaux de l’administration publique, avec une priorité pour un accroissement des dépenses dans l’éducation, la santé, la sécurité sociale, la construction, qui génère un grand nombre d’emplois ; et, y compris, pour les dépenses relevant des Etats [le Brésil est un Etat fédéral] et des municipalités ; ce qui implique une restauration de la santé financière de l’Etat fédéral, y compris à travers une renégociation de la dette des Etats et des municipalités comme de celle du gouvernement fédéral.
4. Réduction significative des taux d’intérêt de base comme complément indispensable de la politique budgétaire de stimulation d’une reprise des investissements privés.
5. Soutien des investissements publics et privés dans l’entretien et dans les infrastructures (logistique et énergie) afin d’assurer une meilleure compétitivité systémique de l’économie ; soutien aux investissements immédiats dans des secteurs privés proches d’une utilisation pleine des capacités.
6. Maintien et accroissement de la politique de soutien aux exportations et de substitution des importations [production pour le marché intérieur afin de diminuer les importations].
7. Politique de concertation sur les revenus afin de contrôler l’inflation.

Nous affirmons que le Brésil a devant lui une alternative de politique économique en faveur de la prospérité. Le gouvernement actuel, qui fut élu en fonction des attentes de changement, a face à lui la responsabilité d’éviter que la crise sociale héritée [de la période de gestion de Fernando Henrique Cardoso] se transforme en une crise politique de proportion imprévisible, à l’instar de ce qui s’est passé au même moment dans d’autres pays d’Amérique latine ou de ce qui s’est produit historiquement en Europe, au cours des années 1920 et 1930. Les obstacles politiques à un tel changement ne sont pas plus grands que les risques inhérents à sa non-réalisation. Nous mettons au centre de nos suggestions la promotion du plein emploi parce que c’est une politique qui structure la solution d’autres problèmes sociaux et économiques : misère, sous-emploi, marginalité, répartition inique des revenus, violence, insécurité. Toutefois, ce n’est pas un projet strictement économique ni un projet fermé. C’est une contribution d’économistes en vue d’une nouvelle destinée nationale, fondée sur la réappropriation d’une citoyenneté et qui est une condition pour une société solidaire. Aucune des mesures proposées, ou leur ensemble, ne constitue un anathème à la lumière de l’histoire économique réelle des pays qui ont connu un certain succès économique et social, aujourd’hui comme dans le passé. Nous défions ceux qui se cachent derrière l’omnipotence du dieu marché qu’ils défendent leur point de vue dans une discussion publique, en tenant compte des conséquences actuelles et futures de leur orientation de politique économique. Nous voulons un débat maintenant. Nous voulons exercer le droit démocratique à la controverse. Il faut en finir avec l’interdit. - 15 juin 2003