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Une Marche qui marche...

par Sonia Mitralias

vendredi 29 juillet 2005

Altermondialisme/Femmes

L’action planétaire 2005 de la Marche Mondiale des Femmes
L’année 2005 est marquée par la deuxième action planétaire de la Marche Mondiale des Femmes contre les violences et la pauvreté (MMF). Cette deuxième campagne planétaire de la Marche Mondiale a débuté d’une manière impressionnante à Sao Paolo au Brésil le 8 mars dernier, avec une manifestation de 40 000 femmes de toutes origines, blanches, noires, indiennes autochtones de l’Amazonie, qui ont défilé avec les paysannes sans terre du MST, les femmes sans logis, les syndicalistes... C’est dans la joie et dans une atmosphère festive que débutait cette nouvelle aventure. Jusqu’à présent la Marche à déjà parcouru les Amériques, et maintenant est en train de traverser l’Europe. Ensuite elle s’en ira en Asie et aboutira en Afrique pour terminer le 17 octobre, à Ouagadougou au Burkina Fasso. Ce jour-là sera la journée internationale de mobilisations de femmes partout sur la planète.

D’où vient la Marche ?

La Marche Mondiale de 2000 avait été une grande et bonne surprise, surtout à l’époque où on s’empressait d’affirmer la mort du féminisme.

C’était en l’an 2000, que des femmes de plus de 159 pays des quatre coins de notre planète s’étaient réunies et plus de 6000 groupes de femmes dans le monde s’étaient mobilisés pour faire entendre leurs voix contre la pauvreté et les violences intolérables à leur égard, pour dénoncer l’oppression qu’elles subissaient dans toutes les civilisations, les cultures, les régimes politiques et que le néolibéralisme ne faisait qu’aggraver... C’était la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’avait lieu une mobilisation mondiale de ce genre et de cette ampleur. C’était une première mondiale ! Des femmes de toutes nationalités, origines politiques, culturelles et sexuelles se mettaient ensemble avec enthousiasme. Elles s’organisaient en réseaux horizontaux, larges et unitaires, et se coordonnaient au niveau local, national et planétaire. Jusqu’à nos jours, il s’agit du seul mouvement social implanté aux Amériques, en Europe, en Asie, en Australie et en Afrique...

Tout cela était nouveau. La Marche Mondiale était bel et bien à l’avant-garde du mouvement altermondialiste et ce n’est pas un hasard si un peu plus tard, la MMF figurait parmi les forces fondatrices du Forum Social Mondial. Pourtant, encore aujourd’hui, les acquis théoriques et les expériences sociales et politiques de ce mouvement si novateur et radical, restent inégalement appréciés et valorisés dans les mouvements mixtes.

La Marche de 2005, un remake de 2000 ?

La deuxième marche de 2005 est loin d’être un remake, une répétition de celle de 2000. Si le grand acquis de la campagne de 2000 était d’avoir mis ensemble des dizaines des milliers de femmes d’origines diverses et d’avoir donné de la visibilité à leur invisible détresse, elle restait néanmoins un large regroupement défensif de nature symbolique et généraliste. Depuis lors la Marche a évolué, elle est devenue « une action permanente, un réseau qui se caractérise par une continuité ».

Cette année, la campagne de 2005 de la Marche prend une forme inédite qui s’articule autour de trois actions :

1. La Charte Mondiale des Femmes pour l’Humanité, plus qu’un texte programmatique est un outil, un fil qui nous lie entre nous afin de construire notre propre mouvement autonome des femmes, tout en construisant un autre monde. En effet, elle est l’aboutissement d’un processus collectif et consensuel d’élaboration, après près de deux ans de discussion planétaire, auquel ont pu participer les 6000 associations et autres organisations et collectivités de femmes de la Marche. Elle a été adoptée le 10 décembre 2004 à Kigali, au Rwanda, lors d’une rencontre internationale de la MMF, qui a vu les femmes de l’Afrique Noire y participer en masse. La Charte nous propose de construire un autre monde d’égalité, de liberté, de solidarité, de justice et de paix.

2. Une marche à relais qui fait le tour du monde et qui fait passer la Charte a travers 53 pays, créant ainsi une foule d’événements locaux et une myriade d’actions revendicatives. Lors du passage du relais de la Charte, chaque pays marque son identité et illustre une image avec son idée d’un autre monde possible sur un carré de tissu qui s’ajoute aux autres, formant ainsi un patchwork mondial.

3. Une action mondiale qui aura lieu le 17 octobre prochain, journée internationale contre la pauvreté.

La Marche à relais, une idée géniale !

Avant qu’elle n’arrive en Europe, quelques points relais nous donnent une idée du voyage de la Charte a travers les Amériques. Après le départ du relais au Brésil, l’accueil de la Charte en Argentine a mobilisé des milliers de femmes (et d’hommes) et des mouvements sociaux aussi divers que les associations de quartier de Buenos Aires et des secteurs syndicaux en lutte. La traversée de la Bolivie et du Pérou, a donné l’occasion aux femmes indigènes Aymara et Quechua d’attirer l’attention sur les revendications des peuples autochtones. De même en Équateur, encore un pays andin en ébullition sociale et politique comme d’ailleurs en Colombie, où les manifestations accompagnant le passage de la Charte se sont transformées en protestations contre la violence endémique du régime de ce pays. Et ensuite, changement de décor à Cuba ou l’accueil de la Charte a pris les dimensions d’une (presque) affaire d’État, avec lecture et explication du texte dans les centaines d’organisations de base de l’organisation des femmes officielle ! Et puis, il y a eu la traversée de l’Amérique centrale (Honduras, Guatemala,...) centrée sur le refus de la ZLÉA (Zone de libre échange des Amériques) avant que le relais n’aboutisse en Amérique du Nord. Après un bref passage aux États-Unis, la Charte a fait ses adieux aux Amériques en toute beauté par une grande manifestation de 15 000 femmes au Québec, qui d’ailleurs a été son berceau...

L’accueil de la Charte en Europe a été l’affaire du très dynamique mouvement féministe turc. A Istanbul, le 9 et le 10 mai, il y a eu deux journées d’activités internationales avec des participantes de Grèce, de Bulgarie, de Chypre et d’Azerbaïdjan. Après une manifestation très colorée et dynamique de 3000 femmes, féministes et syndicalistes venues de différents coins de Turquie, nous avons fait la fête toutes ensemble. Nous avons clôturé avec des discours antinationalistes et sur les droits des femmes, en soulignant le rôle que peut jouer la solidarité féministe pour la construction des ponts entre nos peuples, si longtemps « ennemis héréditaires » dans une région traumatisée par les guerres nationalistes, les « échanges de populations » et les nettoyages ethniques. Nous avons proposé aussi une politique de désarmement à nos pays respectifs. La rencontre des féministes turques et grecques a fait la « une » de la grande presse turque pendant une semaine et a représenté une étape importante dans le processus de développement du réseau balkanique de la MMF.

Ensuite, la Charte a été portée en Grèce par 50 femmes turques. Première étape Thessalonique, capitale de la Grèce du nord, et proche des frontières turques et bulgares. Ici aussi, la presse, la population locale, les autorités ont été impressionnées par les événements. Le 12 mai, manifestation de plusieurs centaines de femmes qui ont déferlé dans les rues de Thessalonique, avec nos amies turques en tête, criant avec entrain notre envie de créer un autre monde ensemble. Jamais dans l’histoire des voix de femmes turques et grecques, manifestant ensemble, n’avaient résonné dans les rues de cette grande ville, très portée sur le nationalisme. Des mémoires enfouies de vies paisibles entre les deux peuples se sont réveillées. Des gens de la minorité turque en Grèce ont rejoint spontanément la manifestation. Plus tard, des amis nous affirmaient que si cette initiative avait été prise par des mouvements mixtes, on aurait eu des attaques de l’extrême droite et on aurait crié à la provocation.

Le meeting qui a suivi a mis l’accent sur les délocalisations et sur les rapports de solidarité entre les syndicats des deux côtés de la frontière gréco-bulgare. En, effet, Thessalonique et toute la Grèce du Nord souffrent des délocalisations de son industrie vers la Bulgarie. L’industrie textile, très importante en Grèce du Nord, a perdu dans cette seule région, 45 000 emplois dont plus de la moitié concernent des travailleuses. De la seule ville de Thessalonique des dizaines d’usines ont été délocalisées vers la ville frontalière bulgare de Sadanski. Ces usines emploient 20 000 jeunes ouvrières bulgares, payées 3,5 euros par jour et travaillant dans des conditions exécrables.

En plus, Sadanski est la plaque tournante régionale de la traite des femmes, dont la plupart viennent des pays de l’Est. Un « marché » de femmes-esclaves sexuelles y prospère dans l’impunité la plus totale. Elles sont achetées parfois seulement pour 1000 euros chacune par des intermédiaires, qui les font entrer « illégalement » en Grèce, où elles sont revendues et achetées en moyenne trois fois, avant d’être considérées comme « non-rentables » par les réseaux des maquereaux.

La Charte a terminé sa traversée de la Grèce au port de Patras, où elle a pris le bateau pour l’Italie, accompagnée par une forte délégation des féministes de cette ville. Accueil chaleureux au port de Brindisi, et le lendemain manifestation assez imposante pour cette ville du sud italien qui n’avait jamais vu des centaines des féministes grecques et italiennes dénoncer la violence contre les femmes. C’était aussi une première qui laissera des traces...

Presque en même temps, à Chypre le réseau de la MMF créait un événement lourd de signification politique. Plus d’une centaine de femmes chypriotes grecques et turques, manifestaient pour la réunification de l’île sur la « ligne verte » qui divise ces deux communautés nationales. Fait exceptionnel, l’ensemble des organisations de femmes ainsi que des syndicats et la majorité des partis politiques chypriotes grecs et turcs, appuyaient la manifestation ! Le lendemain tous les journaux tant grecs que turcs de l’île ne manquaient pas de souligner, photos à l’appui en première page, que c’est le mouvement des femmes qui avait donné une leçon de paix et de réconciliation des peuples aux politiciens nationalistes qui persistent a maintenir Chypre comme ultime pays européen divisé.

En somme, malgré la faiblesse initiale des forces féministes dans la région, le passage de la Charte par les Balkans a produit des résultats concrets prometteurs pour l’avenir. Il a posé les bases pour la création d’un vrai réseau de la MMF en Turquie, en Grèce, à Chypre et en Bulgarie et surtout, il a commencé à jeter des ponts même entre syndicats ! dans une région mondialement connue pour ses nationalismes exacerbés, ses guerres et ses haines chauvines. Et évidemment, ce n’est pas un hasard que cet internationalisme militant et exemplaire est le fait du mouvement féministe et de la Marche Mondiale des femmes, qui unissent là où le patriarcat, les nationalismes et le libéralisme divisent les opprimés...


* Sonia Mitralias est membre du réseau grec de la Marche Mondiale des Femmes et militante de l’organisation politique Kokkino (Rouge).