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Agir pour que la prise de parole des femmes devienne au moins égalitaire à celle des hommes ?

dimanche 30 mai 2004

I / Le constat :

Les femmes prennent moins la parole que les hommes dans les assemblées publiques ou militantes. La solution peut sembler simple : il suffit qu’elles apprennent à le faire et gagnent en confiance en elles et qu’elles s’affirment. Des formations proposent ce type de démarche.

" Confiance et affirmation de soi pour répondre à l’agressivité.

Comment se faire entendre, comment maîtriser ses sentiments, comment prendre la parole devant un auditoire, comment répondre aux questions inattendues. Des techniques et des méthodes existent. Cette formation vous permettra d’aborder de nombreuses situations professionnelles ou personnelles dans les meilleures conditions.

Maîtrise de l’écrit pour mieux communiquer.

La maîtrise de l’écrit est un atout majeur pour transmettre ses idées, que ce soit par écrit ou oralement. En quelques heures seulement, vous serez à même de structurer et de présenter une communication (discours, note, mémento) et de prendre des notes avec efficacité. "

Extrait d’une présentation d’une formation payante.

Outre le fait que nous pouvons certainement organiser cela nous-mêmes, nous ne pouvons pas occulter qu’il s’agit d’un effet de la domination des hommes sur les femmes.

" À propos du concept de domination, ne pourrait-on dire qu’il y a une dimension de pouvoir qui n’existe pas dans la question des inégalités ? Pour le dire autrement, les femmes aujourd’hui, subissent de très fortes inégalités ,mais remettent fortement en cause - au moins partiellement - la domination au sens prise de pouvoir dont elles se sentent l’objet, qu’il se soit exprimé par l’exclusion pure et simple (du droit de vote, de certaines filières de formation et d’emploi), par la minorisation ou par le fait de ne pas prendre la parole soi-même. "

Extrait d’un texte où est abordée la question de la domination constamment renouvelée.

Nous pouvons savoir que la domination machiste est sociale et qu’elle est installée au niveau intime de chaque humain. En conséquence, nous savons que pour avancer, il faut à la fois agir collectivement en public et faire un travail personnel.

II / Les représentations sociales.

Les représentations sociales sont fondamentales. Leur intériorisation va de pair avec leur invisibilité.

En questionnant les rôles, les modèles, il est possible de déconstruire les images identificatoires :

Les exemples les plus connus : femme = mère : chargée de la cuisine et des enfants, femme = objet sexuel : les femmes dans la publicité, etc...

Le tableau ci-dessous consigne quelques-unes de ces oppositions :

Masculin
Actif
Fort
Extérieur
Public
Sexuel
Etc ...
Féminin
Passif
Faible
Intérieur
Privé
Romantique Sentimental
Etc ...

Le genre (le sexe social) est une construction sociale, ce formatage entre en concordance avec la structuration psychique individuelle. Celle-ci agit en partie de façon inconsciente. C’est au niveau intime que nous sommes devenu/es " femme " ou " homme ".

Les femmes ont tendance à se sous-estimer. Elles n’ont pas forcément confiance en elles. L’habitus social de la domination machiste fait que, dans la sphère publique, elles prennent souvent en main les tâches passives, ou peu valorisées, beaucoup font le secrétariat, par exemple.

III / Quelques méthodes utilisées pour inférioriser les femmes :

Ulrika Eklund, dans le cadre de son travail de formatrice, en relève quelques-unes :

 Rendre l’autre invisible,

 Rendre l’autre ridicule,

 Faire de la rétention d’informations ,

 Afficher une indifférence permanente,

 Accabler l’autre de culpabilité et de honte.

Extrait du site COYOTE 2 Jeunesse-Formation-Europe, numéro 2 (Mai 2000)

http://www.training-youth.net/coyote02/french/egalite.htm
Ecrit par Ulrika Eklund Bergsgatan Stockholm, Suède, ulrika.eklund@telia.com
Ou sur http://1libertaire.free.fr/ EgaliteFemmeHom.html

Le texte sur la " langue macho " recense ces méthodes , certains points sont identiques aux précédents :

 Jouer au " solutionneur " de problèmes :

Être toujours celui qui donne la réponse ou la " solution " ", avant que les autres n’aient eu quelque opportunité de contribuer à l’échange.

 Monopoliser le crachoir :

Parler trop souvent, trop longtemps et trop fort.

 Parler en " majuscules " :

Présenter ses opinions et ses solutions comme le point final sur tout sujet, attitude renforcée par le ton de la voix et l’attitude physique.

 Attitude de combat :

Répondre à toute opinion contraire à la sienne, comme s’il s’agissait d’une attaque personnelle.

 Couper les cheveux en quatre :

Soulever chaque imperfection des interventions des autres et une exception à chaque généralité énoncée.

 Diriger la scène :

Prendre continuellement la responsabilité des tâches clés avant que les autres n’aient la chance de se porter volontaires.

 Reformuler :

Reprendre en ses propres mots ce qu’une personne (le plus souvent une femme) vient de dire de façon parfaitement claire. Embarquer sur la conclusion d’une intervention pour la récupérer à ses propres fins (phénomène du " recouvrement ").

 Chercher les feux de la rampe :

Se servir de toutes sortes de stratagèmes, de mises en scène, pour attirer un maximum d’attention sur soi, ses idées, etc.

 Rabaisser :

Commencer ses phrases avec des effets du genre : " auparavant je croyais cela, mais maintenant... " ou " comment peux-tu en venir à dire que... "

 Parler pour les autres :

Faire de ses opinions la voix d’une collectivité pour leur donner plus de poids : " beaucoup d’entre nous pensons que... ". Interpréter à ses fins ce que disent les autres : " ce qu’elle veut dire, en fait, c’est que ... "

 Faire du " forcing " :

Imposer comme seuls valables la tâche et le contenu, en éloignant le groupe de l’éducation de chacun-e, ainsi que d’une attention au processus de travail collectif et à la forme des productions.

 Déplacer la question :

Ramener le sujet de la discussion à quelque thème que l’on maîtrise, de façon à briller en donnant libre cours à ses dadas.

 Négativisme :

Trouver quelque chose d’incorrect ou de problématique à tout sujet ou projet abordé.

 N’écouter que soi :

Formuler mentalement une réponse dès les premières phrases de la personne qui parle, ne plus écouter à partir de ce moment et prendre la parole à la première occasion.

 Intransigeance et dogmatisme :

Affirmer une position finale, sur un ton indiscutable, même à propos de sujets mineurs.

 Jouer à la hiérarchie :

S’accrocher à des positions de pouvoir formelles et leur donner plus d’importance qu’il ne faut.

 Éviter toute émotion :

Intellectualiser, blaguer ou opposer une résistance passive lorsque vient le temps d’échanger des sentiments personnels.

 Condescendance et paternalisme :

Infantiliser les femmes et les nouveaux arrivants. phrase typique : " maintenant, est-ce qu’une des femmes a quelque chose à ajouter ? "

 Draguer :

Traiter les femmes avec séduction, se servir de la sexualité pour les manipuler. humour ambigu, pro-féminisme de façade.

 Jouer au coq :

Aller chercher l’attention et le soutien des femmes en entrant en compétition avec les hommes face à elles.

 Tendance à l’instrumentalisation très développée :

Concentrer jalousement les informations clés du groupe entre ses mains pour son propre usage et profit.

L’origine de ce texte : " La langue "macho" par "Overcoming Masculine Oppression in Mixed Groups" Paru en 1977 dans WIN Magazine ("Workshops in Nonviolence"), il est attribué à Bill Moyer et Alan Tuttle, des activistes pacifistes de Philadelphie. Il sera ensuite publié à plusieurs reprises, notamment dans le "Civil Disobedience Campaign Handbood" (NYC), et "Off Their Backs—understanding & fighting sexism : A call to men overcoming masculine oppression in mixed groups".

Sa version québécoise est l’oeuvre de Philippe Duhamel et de Martin Dufresne, du Collectif masculin contre le sexisme.

Texte trouvé sur la page :
Elle est présente sur

IV / Les moyens que l’on peut mettre en œuvre dans toute la société :

Il est nécessaire de développer la notion de " genre social " pour le rendre visible et faire en sorte que ce concept devienne banal.

Nous pouvons donc essayer de rendre visibles les femmes, de mettre en lumière publiquement la domination des femmes.

Nous sommes capables de faire un travail afin pour rendre évident les implicites intériorisés de la domination machiste.

Féminiser les textes est une solution, que tout le monde peut mettre en œuvre. Il existe plusieurs façons de le faire. La langue est un enjeu important dans le fonctionnement de la domination masculine.

En employant le mot " personne " ou " humain " pour parler de tous les humains, nous ne parlons plus seulement des hommes. Nous devons voir l’importance symbolique liée à ces changements.

Nous pouvons amener les hommes à remarquer la banalité de leur domination dans leurs comportements, leurs attitudes et leurs mots.

Pour ne plus reproduire une des bases du pouvoir machiste, on peut diffuser l’information et toute l’information aux femmes.

Ne pas prendre la parole au nom des autres, en particulier des femmes, est une marque de respect, qui permet de ne plus occulter leur existence,

Etc ...

V / Quelques éléments pour notre militance.

Le problème se pose dans notre vie militante pour deux raisons, au moins, qui sont la conséquence de la domination machiste. La parole des femmes est un " je " difficile à faire entendre, comme le dit Michèle Riot-Sarcey. Un certain nombre d’hommes prennent la parole facilement en public. L’absence de tour de parole favorise les plus forts, c’est-à-dire les hommes. Le texte sur " La jungle des militants prophètes " le décrit très bien. Avoir ces exigences n’est pas insurmontable. Cela demande un effort, il faut sans doute avoir une attitude volontariste pour inverser la tendance.

Nous pouvons essayer d’arriver à la parité dans les postes de responsabilité et dans la maîtrise des techniques utilisées pour militer.

Nous devons réfléchir à des systèmes préférentiels pour encourager les femmes à prendre la parole, à la mise en œuvre de méthodes de discriminations positives.

Il est possible d’organiser le tour de parole, afin que les personnes membres des groupes dominés puissent s’exprimer correctement. Il est nécessaire de donner le temps à ces personnes de parler, même si cela est plus long que d’habitude. Nous pouvons mettre en place une modération, qui donne la parole aux femmes avant les hommes. Nous devons accorder une priorité de parole aux femmes. À terme, nous prendrons l’habitude d’instaurer une modération qui veille à cela. Il faut le dire et le redire ... Une fois que des progrès ont été faits, il sera possible de donner la parole en alternance homme / femme.

Nous devons veiller à ne pas couper la parole, une façon de faire, qui est une violence machiste banale.

Pour ne plus nier leur présence, il est important de ne pas parler à la place des femmes.

Nous devons encourager les personnes en situation de domination à apprendre à s’exprimer, à classer leurs idées, à argumenter, à s’entraîner et à faire des évaluations pour voir comment tout cela progresse.

Etc ....

VI / Les groupes non mixtes, une nécessité à soutenir.

Contre l’infériorité, la peur, la soumission... la parole des femmes doit pouvoir s’exprimer dans des groupes de femmes. L’existence d’espaces non-mixtes est une des conditions de la lutte féministe.

Il est possible d’utiliser le théâtre-forum, comme le Théâtre de l’Opprimé, pour apprendre à avoir confiance en soi et à prendre la parole en public.

Nous devons favoriser la création et le fonctionnement des réseaux de femmes pour que l’expression féministe devienne plus forte et plus facile.

VII / Nous pouvons reprendre certaines méthodes proposées en Amérique du Nord.

Voici quelques façons concrètes proposées pour prendre nos responsabilités, pour sortir de la "langue macho " du sexisme ordinaire.

 N’interrompre personne :

On a remarqué que dans un groupe mixte, près de 100% des interruptions étaient le fait des hommes. Un bon exercice à tenter est de se donner une pause de quelques secondes entre chaque intervention.

 Offrir une bonne écoute :

Il est aussi important de bien écouter que de bien parler, autrement autant parler tout seul chez soi. Bien écouter ne signifie pas qu’il faille se retirer lorsqu’on ne parle pas. Au contraire, écouter attentivement est aussi une forme de participation.

 Recevoir et donner du soutien :

L’entraide est essentielle dans un groupe où certaines personnes cherchent à reconnaître et à mettre fin à leurs "formes [patterns] de contrôle des autres ". Chacun des membres du groupe doit prendre ses responsabilités en ce sens afin d’éviter que ce ne soit toujours le rôle des femmes. Cette prise en charge permettra aussi aux femmes de sortir de leur rôle traditionnel, qui les forces généralement à prendre soin des besoins des hommes en ignorant les leurs.

 Cesser de parler en réponses / solutions :

On peut communiquer ses opinions et ses idées de façon convaincue, mais non-compétitive face à celles des autres. On n’est pas obligé de parler de tous les sujets, ni d’exprimer chacune des idées qui nous viennent, surtout en grand groupe.

 Ne rabaisser personne :

Apprendre à se surveiller pour s’arrêter au moment, où on s’apprête à attaquer quelqu’un-e. Se demander, par exemple : " Qu’est-ce que je ressens exactement ? Pourquoi est-ce que je ferais cela ? De quoi ai-je vraiment besoin ? Qu’est-ce qui profitera le mieux au groupe ? ".

 Détendre l’atmosphère, rester cool, relax :

Le groupe peut très bien se passer de nos petites attaques d’anxiété. Il s’en portera d’autant mieux.

 Interrompre les schémas d’oppression :

Il appartient à chacun(e) de nous de prendre dès maintenant la responsabilité d’interrompre, chez un collègue ou un ami, un comportement d’oppression qui nuit aux autres et qui paralyse le propre développement de cette personne. Ce n’est pas de l’amitié que de permettre à qui que ce soit de dominer ceux et celles qui l’entourent. Apprenons à ajouter un peu de franchise et d’exigence à nos rapports d’amitié. "

La source de ce texte :
ou
VII / Savoir que la vigilance est nécessaire.

Les acquis sont toujours fragiles, ils peuvent être remis en cause, la notion de "backlash" en rend compte (cf. le livre de Susan Faludi "Backlash" publié aux Editions des Femmes en 1993, avec comme sous-titre "La guerre froide contre les femmes").Le terme " backlash " vient des USA, il veut dire " revanche ", c’est la réaction machiste, qui attaque les femmes et les féministes en particulier.

La reproduction de la domination fonctionne de façon permanente. Il faut donc reprendre sans cesse cette lutte contre la domination machiste. Elle n’est jamais achevée et il est possible qu’elle ne le soit jamais.

Ce document a été réalisé à la demande de Marilyne Anatole, qui constate la difficulté à parler des femmes dans les réunions de la CNT 44. Ce constat est valable pour beaucoup de lieux militants. Ce texte peut être accompagné d’annexes, qui donnent quelques explications sur la façon dont les femmes sont dominées et comment certaines pistes sont proposées pour essayer de faire évoluer la situation.

Philippe Coutant, Nantes le 31 Octobre 2003


Ce texte est paru dans la revue de la CNT Vignoles "Les Temps Maudits" n° 18.

Il a servi de base à un debat lors d’une formation interne de la CNT 44 fin Février 2004

(tiré du site http://1libertaire.free.fr/)