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De la politique, il faudra peut-être en faire à gauche aussi...

dimanche 25 avril 2004, par Amir Khadir

Médecin et candidat de l’Union des forces progressistes dans la circonscription montréalaise de Mercier aux élections québécoises d’avril 2003

Les dernières élections au Québec, le 14 avril 2003, évoquent de forts sentiments et des souvenirs pour beaucoup de gens. Pour les uns, la fierté d’une victoire personnelle, pour d’autres, le sentiment d’un devoir accompli en dépit de la défaite. Et pour beaucoup de Québécois aujourd’hui — de très nombreux même qui ont voté pour le Parti libéral —, le grave sentiment d’avoir été trompés.

C’est de la politique, dit-on ! Celle qu’on aimerait peut-être changer. Et si on veut la changer "il faut bien en faire", car, comme Parizeau, je suis d’avis que c’est "le passage obligé de toute transformation importante".

Dans le village gaulois de Mercier, j’ai eu le privilège exceptionnel "d’en faire" de la politique, lors des élections d’avril 2003, en arborant les couleurs de l’Union des forces progressistes. Durant cette campagne, convaincus qu’"un autre monde est possible", énormément de gens ont donné à moi et aux

72 autres candidats de l’UFP le meilleur de leur talent et de leur énergie.

Les derniers jours avant l’élection, ça bourdonnait comme abeille en ruche, pas tant parce que les gens croyaient une percée de la gauche possible à si brève échéance, mais parce qu’ils voulaient que l’idée fasse son nid. L’idée qu’il faut cesser de se complaire dans la marginalité ou dans le rôle de la victime ; que pour agir on n’a pas besoin d’attendre que tous les obstacles soient levés. [...]

Le soir du scrutin, l’UFP a fait 18 % dans Mercier — le double de l’objectif fixé — et des scores au-dessus de 5 % dans quelques autres circonsriptions. Ce fut un petit succès d’estime certes, mais aussi la démonstration que la route sera longue et ardue. [...] La réforme du mode de scrutin serait salutaire, mais l’actuel est profondément injuste et pénalise les partis émergents.

Rouge et vert

Un an plus tard, l’UFP reste encore méconnu du large public. Je suis souvent appelé à décrire l’UFP, à expliquer ses couleurs — rouge et vert. D’abord à l’image du drapeau des Patriotes, qui voulaient émanciper leurs semblables. Mais surtout rouge pour la justice sociale et vert pour l’écologie : rouge et vert comme l’arc-en-ciel planétaire des mouvements sociaux et environnementaux qui convergent dans leur rejet du système économique qui domine la planète, car ce système productiviste et polluant est outrageusement inégalitaire et écologiquement irresponsable.

La nouvelle gauche qui se retrouve à l’UFP se définit comme écologiste. Cette gauche ne pense plus le progrès en termes de croissance strictement économique, mais selon un développement durable, respectueux de l’homme et de la nature — ce qui nécessitera peut-être de repenser l’économie vers la décroissance. Cette pensée politique est marquée aussi par l’engagement résolu pour l’émancipation, le plein exercice des droits et l’égalité des femmes.

Le projet social, écologiste et féministe de l’UFP nécessite cependant des changements radicaux. Dans la pensée politique d’abord, pour transformer les institutions démocratiques à tous les échelons ; pour favoriser la participation citoyenne la plus large possible aux choix de société, de façon décentralisée et dans des espaces de proximité ; pour éliminer la violence dans les rapports sociaux.

Cette perspective démocratique et décentralisatrice reconnaît en premier lieu le droit pour le peuple québécois de s’autodéterminer et de revendiquer son indépendance nationale. L’aspiration légitime à l’indépendance s’inscrit toutefois dans la reconnaissance que nous partageons une maison commune avec le reste de l’humanité, où le vivre ensemble nécessite de refonder les liens entre peuples et nations sur la solidarité et la coopération pacifique plutôt que sur des rapports conflictuels de compétition : l’UFP est donc internationaliste.

Et le PQ ?

L’identité de l’UFP tourne autour d’une rupture avec les dérives néo-libérales observées chez nombres de formations politiques occidentales, y compris plusieurs qui se prétendaient sociaux-démocrates à l’instar du Parti québécois. Est-ce à dire qu’on est là pour combattre le PQ ? Non.

Il y a des dogmes qui définissent la pensée néolibérale et qui se résument en des maîtres mots comme : restructuration, privatisation et déréglementation. Quand Jean Charest parle de réingénierie, c’est de cela qu’il s’agit. Quand Lucien Bouchard visait le déficit zéro, c’était une adaptation différente du même dogme néolibéral. L’UFP tente de sortir de ce cadre logique, en remettant en question l’idée reçue selon laquelle la mondialisation marchande qui dicte ces politiques néolibérales est une loi inéluctable. L’UFP rejette ce dogme, qu’il soit épousé par Mario Dumont, Jean Charest ou le PQ de Bouchard et Landry.

Les effets de ces politiques — accroissement des inégalités, écarts de richesse au profit d’un nombre toujours plus restreint de l’élite économique, exploitation non-viable des ressources de la planète — sont à terme les mêmes, bien que la vitesse à laquelle arrive le désastre social et environnemental varie. L’Argentine, bonne élève diligente du néolibéralisme, est en banqueroute ; l’Irlande connaît un réveil douloureux. Un ancien vice-président du FMI, Joseph Stiglitz, parle d’un capitalisme qui "a perdu la tête". Le Québec pourrait éviter l’erreur de s’y aventurer trop loin si une autre option était proposé.

Or cette option, dont l’UFP est uniquement un jalon, est encore en construction au Québec. Alors, comme la vitesse des contre-réformes néolibérales compte pour beaucoup dans notre capacité d’y répondre, et en dépit de la rupture grandissante de la gauche avec le PQ, les progressistes n’ont aucun intérêt à ce que le PQ s’effondre. En attendant que la gauche politique soit capable de faire contrepoids, seule la droite pourrait bénéficier d’un affaiblissement prématuré du PQ.

Le corollaire de ce constat, c’est que les progressistes n’ont rien de plus urgent à faire que de bâtir une alternative politique de gauche, autonome du PQ.

En construction

L’UFP est encore un parti-processus, bien des gens l’oublient avec le temps, même chez nos membres. Depuis l’été 2002, la fondation de l’UFP puis la création de "D’abord solidaires" en passant par la campagne d’éducation politique des syndicats contre l’ADQ, des changements profonds se sont amorcés au sein de la gauche sociale et syndicale.

On trouve au moins quatre foyers de réflexion et d’action à gauche : l’UFP ; les syndicalistes progressistes regroupés dans le club politique "SPQL" initié par Pierre Dubuc de l’Aut’journal ; "D’abord solidaires" qui poursuit son travail d’éducation politique ; et finalement "Option citoyenne", issue de "D’abord solidaires" avec des gens comme François Saillant, Jean-Yves Desgagnés et Françoise David.

Ces derniers préparent un manifeste et multiplient les échanges avec l’UFP et les Verts pour oeuvrer à la création d’un parti de gauche unifié. Ces discussions se déroulent dans le respect des uns et des autres. L’objectif central demeure l’unité la plus grande des diverses composantes de la gauche.

Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Comme médecin j’ai des recettes toutes faites pour les malaises du corps. Hélas, pour les maux sociaux, pour le malaise profond qui frappe le corps politique au Québec comme ailleurs, ce n’est pas si simple. Je sais pourtant qu’il n’y a de remède qui vaille en politique que si les gens s’en mêlent davantage.

Si les élites économiques dominantes sont coupables d’avoir usurpé le contrôle du pouvoir politique, la gauche a pêché par insouciance et négligence ou par naïveté en s’en remettant trop longtemps à d’autres pour ne récolter à la fin que marginalisation et mépris. Il est temps que la gauche prenne confiance en ses moyens et en son discours, auquel adhèrent sur le fond — la défense du bien commun — beaucoup plus de gens qu’il n’y paraît de prime abord.

La gauche est en renouvellement partout. Sa pédagogie et sa culture s’en trouvent profondément transformées. Il est temps qu’elle s’organise pour restituer le pouvoir politique à ceux à qui il appartient : les citoyens et citoyennes ordinaires, Monsieur et Madame Tout-le-monde. Pour cela, de la politique il faudra donc en faire à gauche aussi...avec intelligence et honnêteté pour qu’un autre Québec soit possible.