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Colloque : "Les mouvements sociaux et l’action politique de gauche au Québec"

Des débats à poursuivre !

lundi 23 septembre 2002, par Bernard Rioux

Les 20 et 21 septembre dernier s’est tenue à l’UQAM, à l’initiative de la Chaire d’études soci-économique, un colloque ayant pour thème "Les mouvements sociaux et l’action politique de gauche au Québec". Ce colloque a réuni près de 300 militantEs la gauche sociale et politique du Québec.

Vendredi, des conférences ont situé la réflexion dans son contexte international. Caio Galvao de Franco nous a parlé de l’expérience brésilienne et particulièrement du rôle et de l’importance des Parti des travailleurs et des rapports qu’entretient le Parti avec les organisations sociales. Il a souligné que les organisations sociales avaient su garder leur autonomie politique face au PT. Christophe Aguiton d’ATTAC a fait un portait de l’expérience française. Judy Rebick a tiré pour nous quelques leçons de l’expérience canadienne anglaise. Elle a souligné tout particulièrement qu’un gouvernement qui n’est pas menacé par un parti politique alternatif peut se montrer très fermé, y compris face 2à des mobilisations d’ampleur. L’exemple de l’intransigeance du gouvernement Harris face aux luttes des mouvements sociaux est particulièrement révélateur à cet égard.

Le samedi, Jean-Marc Piotte, après un court retour de Josée Belleau sur la soirée précédente, nous a fait, sur un mode anecdotique une histoire rapide de la gauche québécoise depuis les années 60 et a essayé de tirer quelques leçons de ces dernières. En fait, il a surtout insisté sur le fait que la gauche s’était engoncée dans une démarche de démarcation à tout prix, était restée prisonnière d’un idéologisme abstrait et qu’elle avait abordée l’action électorale sur le mode de l’amateurisme ce qui avait conduit à des démobilisations successives.

Pour lancer véritablement le débat, deux positions divergentes ont été présentées à l’assemblée. Arthur Sandborn, président du Conseil central de Montréal de la CSN, a plaidé pour la nécessité pour les mouvements sociaux de s’engager dans l’action politique partisane , y compris dans l’action électorale. Il a souligné l’importance de travailler activement à la mise en place d’une alternative politique de gauche. Puis Françoise David, ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec, a défendu que la priorité de l’heure, était moins de s’engager dans l’action politique partisane et électorale que de favoriser l’émergence d’un vaste mouvement d’éducation politique centré sur le bien commun et la justice sociale qui aurait pour tâche de se questionner sur les positions contradictoires véhiculées dans les milieux syndicaux et populaires, d’élaborer des alternatives politiques véritables et d’élargir le débat à l’ensemble de la société au-delà de ce qu’était la gauche qui reste somme toute marginale.

Après cette entrée en matière, l’assemblée s’est divisée en différents ateliers : mouvements communautaires, mouvements ouvriers, écologie et développement durable, mouvement des femmes, pluralismes culturels, mouvements des jeunes et des étudiants. Des personnes en plénière ont critiqué ce mode de division qui reproduisait un sectorialisme certain, mais cela a permis de faire ressortir les sensibilités très différentes selon les mouvements sociaux.

Dans l’atelier mouvements ouvriers, les interventions ont assumé que si on se retrouve avec la montée de l’ADQ et l’omniprésence des partis néolibéraux, c’est bien qu’il y a un travail qui n’a pas été fait tant d’éducation que d’organisation politiques. Mais un fois ce constat fait, des militantEs soutenaient qu’on en était pas encore rendu à l’action politique puisque le patronat était à l’offensive et qu’on arrivait pas à se mobiliser pour défendre nos droits les plus élémentaires. Et ils ajoutaient que sans montée des luttes, la mise sur pied d’un parti serait très difficile. D’autres, par contre, soulignaient que la tâche de s’attaquer à la construction d’une alternative politique partisane avait toujours été remis au lendemain au profit d’un alignement à court terme, d’un vote pour le moins pire et qu’on se retrouvait des décennies plus tard au même point. Il était nécessaire de procéder et qu’un parti serait un levier pour le renversement du rapport de force, pour améliorer notre autonomie, pour aider à élaborer un programme unificateur et contrer les projets du patronat. C’est par la lutte politique, ont-ils dit qu’on peut changer la société et poser la question du type de société que nous voulons construire. C’est sur cette dimension qu’a insisté les membres de l’Union des Forces Progressistes présents à l’atelier.

Dans l’atelier jeune, il a été souligné que les mouvements dans lesquels se retrouve la jeunesse ne conçoivent pas, pour leur majorité, l’alternative politique sur le mode du parti. Il y a même une méfiance sérieuse à son égard tout comme à l’égard de l’action politique électorale en général. Les jeunes sont plus préoccupés par leur implication dans des luttes concrètes et militantes et craignent de s’impliquer dans les institutions de la démocratie représentative.

C’est dans l’atelier sur les mouvements communautaires qui a été posé le plus clairement la question de l’attitude à développer face à la montée de l’ADQ. Des personnes appelaient à un certain "réalisme" en argumentant que la faiblesse de la gauche actuelle ne permettrait pas de bloquer son arrivée au pouvoir et qu’il fallait donc concevoir un mouvement plus large et des choix tactiques orientés par la vieille théorie du moindre mal.

Dans l’atelier femme, on a mentionné qu’ils y avait une réticence à l’idée du parti. L’important c’est le travail à la base pour mobiliser. C’est ce qui a pu être réalisé grâce aux deux immenses marches. A l’heure actuelle, il faut faire face à ce qui est urgent, et l’urgence c’est comment contrer la droite .

En plenière, malgré les divergences multiples, reflet du peu d’expériences communes de débat, une écoute importante et respectueuse a permis le partage des points de vue et une ouverture à des orientations différentes. Ainsi, Françoise David, dans une intervention en pleinière a soulevé l’hypothèse que la construction d’un alternative politique partisane n’était pas nécessairement contradictoire avec la mise sur pied d’un vaste mouvement d’éducation politique.

La mise sur pied de l’Union des forces progressistes a été reconnu comme un pas en avant. La capacité de ses militantEs de présenter ce parti comme une organisation ouverte, en construction, capables de fédérer différents courants, qui fait sa place à la dimension féministe, a appelé un respect certain. Mais si la définition de l’UFP comme un parti des urnes et de la rue intrigue, elle est peu comprise, parce qu’aucune organisation de ce type n’a encore agi concrètement sur le terrain.

Mais l’objection la plus forte à l’ouverture au projet de l’UFP est l’idée que l’action électorale si elle n’est pas couplé à la possibilité de résultats substantiels à court terme est une démarche inutile et possiblement destructrice. Cette vision à court terme marque profondément une gauche sociale qui reste essentiellement pragmatique quoi qu’on en dise.

Cette rencontre a été essentiellement positive. Frustante si on croyait qu’il s’y dégagerait une orientation claire et qu’un ralliement à cette dernière se ferait facilement, mais essentiellement enrichissante, si on prenait le temps d’écouter sérieusement la diversité des points de vue, reflet d’une diversité d’expériences.

La situation est complexe et difficile. Le patronat est à l’offensive. Des secteurs de la société se radicalisent mais il n’y a pas encore de pôle véritablement unificateur. C’est pourquoi, il faut soutenir la proposition qu’on fait certainEs militantEs que les débats se continuent et que de telles occasions de débattre soient redonnés à la gauche sociale et politique.