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Entrevue avec Joao Pedro Stédile

En finir avec le pouvoir de l’OMC !

Par Luis Hernandez Navarro, la Brécha - Uruguay

dimanche 7 septembre 2003

Entre le 8 et le 13 septembre, le Mouvement des sans terre (MST) sera présent à Cancun, partie prenante des journées de lutte contre l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) convoquée par Via Campesina. Pour Joao Pedro Stedile, principal dirigeant sans terre, il s’agit « de condamner l’OMC, de la démoraliser, de lui enlever toute prétention de pouvoir »

— Que pense le MST de la prochaine réunion de l’OMC à Cancun ? Qu’est-ce qui est en jeu ? Quels sont vos objectifs comme organisation durant cette rencontre ?

La réunion de l’OMC est un affront pour les peuples de nos pays. L’OMC est devenue un terrain privilégié des grandes transnationales et des gouvernements des pays riches. Les peuples, les gouvernements du Sud n’y détiennent aucun pouvoir ou influence. Il serait plus démocratique d’établir des négociations sur le commerce international à l’intérieur du système des Nations Unies et de lier le commerce et le développement. L’OMC s’est convertie en un lieu qui ne sert que les intérêts du capital international qui veut obtenir des avantages aux moyens d’accords qui protègent leurs investissements et leur taux de profit. Ces accords servent qu’à s’attaquer à notre souveraineté nationale. Durant cette réunion de Cancun, il y a beaucoup de contradictions entre les intérêts des entreprises transnationales et les gouvernements des pays riches. Nous ne croyons pas qu’ils parviennent à des résultats durant cette réunion. La contradiction principale en jeu pour eux, à l’étape actuelle de l’impérialisme, c’est que la forme principale de l’accumulation ne provient plus des industries, de la production de marchandises mais du contrôle du commerce des biens et, surtout, des services. Et en ce moment, il existe des conflits pour savoir qui obtiendra le plus d’avantages, où qui pourra obtenir le plus de profits en exploitant nos marchés nationaux. Imaginez ! Ils veulent contrôler et transformer l’éducation supérieure des universités en un simple service, et pour cela ils veulent garantir « le droit » du capital international à exploiter ce « service » pour en tirer des profits. Il ne nous reste plus qu’à prier (ou à nous mobiliser et à protester ) pour qu’ils ne parviennent à aucun résultat lors de cette rencontre. Car tout accord entre eux serait un accord contre les peuples des pays pauvres.

—Une délégation du MST ira au Mexique comme membre de Via Campesina. Quels actions pensez-vous faire ?

En plus de ce qui se déroule au Mexique, au Brésil et dans toute l’Amérique latine, il y aura des mobilisations entre le 8 et le 13 septembre pour protester contre la ZLÉA et l’OMC. Et le 13, septembre, il y aura des mobilisations dans presque toutes les capitales du monde contre la réunion de Cancun. Ici au Brésil, nous ferons des manifestations dans toutes les capitales des États.

—Vous avez défendu que l’agriculture devrait à être retirer de l’OMC. Pour quelle raison ?

L’agriculture est une activité productive très importante pour nos peuples et pour nos pays. On ne produit pas n’importe quelle sorte de marchandises. Nous produisons des aliments et des aliments doivent rester dans le cadre des droits des peuples, sous le contrôle des politiques nationales qui garantissent la souveraineté nationale sur ce derniers. Les aliments ne peuvent être subordonnés à des accords internationaux qui ne cherchent qu’à assurer les profits des entreprises transnationales. Le commerce agricole doit se baser sur un échange entre pays, sur la base de la complémentarité. Non sur la base des profits. À l’intérieur de l’OMC, les transnationales cherchent à garantir le droit de propriété intellectuelle sur les semences transgéniques, pour ensuite imposer leur utilisation aux pays pauvres et obtenir des profits pour le paiement de ces droits. Voyez le cas du soja transgénique Round-up. L’OMC a déclaré lors des audiences de son tribunal, le 5 mai dernier, que tout soja transgénique rr appartient à l’entreprise américaine Monsanto. Suite à cela, tout agriculteur ou entreprise qui commercialise cette variété devra payer des droits à Monsanto. Ici au Brésil, maintenant, il est défendu de cultiver des semences transgéniques, mais si le gouvernement légalise sa culture, Monsanto pourra toucher environ 16 dollars pour chaque tonne de soja qui sera semée. Ainsi, avec un simple accord international à l’OMC, on pourra soutirer de notre société presque 800 millions de dollars par année, sans n’avoir rien fait.

— Vous parlez de lutter pour la souveraineté alimentaire. Qu’est-ce que cela signifie ? Est-il possible de faire cela dans le cadre de la globalisation ?

La souveraineté alimentaire est un principe qui est présent dans tous les courants politiques ou philosophiques. Il défend l’idée qu’un peuple a le droit de produire ses propres aliments, parce qu’un peuple qui ne parvient pas à produire ses propres aliments est un peuple réduit en esclavage, un peuple dépendant. La base principale pour forger un peuple libre, souverain, c’est qu’il puisse produire ses propres aliments. Si un pays, une nation, un peuple se retrouve dépendant d’un autre pour alimenter son peuple, il deviendra une nation dépendante aux niveaux politique économique et idéologique. C’est pourquoi nous défendons dans Via Campesina que chaque gouvernement national doit développer des politiques pour garantir, en premier lieu, que tous les aliments nécessaires pour le peuple soit produit dans un environnement national. Et qu’on ne commercialise à l’extérieur que les surplus. Et ce sont les surplus qui pourront être échangés avec d’autres pays ayant d’autres types d’aliments. Un pays qui ne protège pas son agriculture et ses aliments, pour garantir l’alimentation pour tout le peuple, est un pays condamné à l’échec. Cela explique, par exemple, pourquoi au Japon le prix du riz est dix fois plus élevé que sur le marché international et pourquoi le gouvernement japonais empêche l’importation du riz. Il garantit ainsi que toute la production du riz nécessaire pour son peuple soit produit au Japon. Cela c’est de la souveraineté alimentaire. D’autre part, les gouvernements qui n’ont pas assuré la souveraineté alimentaire seront à la merci de la volonté des transnationales et des gouvernements impérialistes qui utilisent les aliments comme des moyens de pression politiques. Voyez ce qui se passe en Afrique, ce qu’ils ont fait au Vietnam et ce qui se fait maintenant avec le gouvernement néolibéral en Inde.

— Quelques ONG défendent qu’il est nécessaire de lutter pour l’acceptation d’une « caisse de développement » pour l’agriculture. Pourquoi rejetez-vous cette idée ?

Parce qu’il ne s’agit pas de lutter pour des améliorations à l’intérieur de l’OMC . Ce que nous devons faire ç’est de condamner l’OMC, de la démoraliser et de lui enlever son pouvoir et d’amener nos gouvernements à défendre des politiques de souveraineté alimentaire et de faire des négociations agricoles au niveau bilatéral en accord avec les intérêts mutuels des peuples des pays. Et nous n’y parviendrons pas seulement en participant à des réunions internationales dans laquelle ceux d’en haut nous donnent que 15 minutes pour dire ce que nous pensons, et qui, ensuite, continuent avec leur agenda et leurs intérêts. Nous ne changerons cela qu’en mobilisant les gens pour qu’ils descendent dans les rues et qu’en faisant pression sur les gouvernements locaux pour qu’ils changent leur politique internationale.
(…)
(tiré de Rebelion)
(Traduction La Gauche)