(...) Il y a une semaine, jeudi dernier, une grande manifestation a eu lieu à Montréal. 30 000 citoyens et citoyennes ont participé à cette manifestation dans les rues de Montréal. Il y avait à cette occasion 200 000 personnes qui étaient en grève, dont la totalité des membres de l’ASSÉ. Ce qui est intéressant dans cette manifestation, ce n’est pas seulement le fait qu’il y avait 200 000 personnes qui étaient en grève, mais c’est également la manière dont ont été votées ces grèves-là. Ces grèves ont été votées dans des assemblées générales extrêmement populeuses. Au cégep Maisonneuve, il y avait un étudiant-e sur 3 qui était présent à l’assemblée générale. Et ce sont des votes de grève qui sont passés par des majorités écrasantes, à plusieurs endroits à l’unanimité, à d’autres endroits avec des majorités de 80, 90 ou 95%. Il y a eu plusieurs facultés ou départements universitaires qui ont voté la grève, des endroits où on ne s’attendait pas : par exemple, les étudiant-e-s de médecine à l’Université de Montréal étaient en levée de cours. Les gens du Collège privé André Grasset étaient en levée de cours et les gens de pharmacie de l’Université de Montréal. Cette grève a débordé des limites traditionnelles de la mobilisation étudiante. Tout cela à de quoi donner beaucoup d’espoirs pour la lutte qui s’en vient. Même en 2005, avant la grève contre les coupures, il n’y avait pas eu une telle mobilisation. C’est une manifestation qui nous a enthousiasmés à un point qu’il est difficile de décrire. C’est une manifestation qui a galvanisé les troupes.
Cela vient démolir l’argument qui dit que notre génération est une génération individualiste, cynique ou postpolitique. Cela vient démontrer que la jeunesse d’aujourd’hui n’a rien à envier à la jeunesse des fameuses années 70 au Québec. Il y a une mobilisation qui est en train de se passer ces temps-ci au Québec. C’est une manifestation exceptionnelle qui nous a insufflé beaucoup d’enthousiasme. Ce n’est évidemment pas la fin.
La prochaine étape, la grève générale illimitée
Pour l’ASSÉ, cette manifestation est le début et le dernier avertissement que l’on a adressé au gouvernement de Jean Charest. Avant de passer à la prochaine étape de nos moyens de pression. Cette prochaine étape, on en parle depuis quelques années dans les couloirs des cégeps et des universités, c’est la grève générale illimitée. C’est vers là qu’on se dirige à l’ASSÉ. Il y a déjà une dizaine d’associations étudiantes qui ont des mandats en ce sens là au Québec, ce qui fait 31 000 étudiant-e-s qui ont le mandat de déclencher des grèves générales à l’hiver ou de consulter leur monde sur cette question-là.
Évidemment la grève générale illimitée, ce n’est pas un moyen que l’on utilise par plaisir. C’est un moyen que l’on utilise par nécessité et nous sommes forcés d’admettre que nous sommes rendus à ce point là.
Dans les deux dernières années, il y a eu toute une série d’actions...
Dans les deux dernières années, il y a eu toute une série d’actions, de manifestations, de toutes sortes par l’ensemble du mouvement étudiant pour contester la hausse des frais de scolarité. Depuis le 2 avril 2010, quelques jours à peine après le dépôt du fameux budget Bachand qui lançait le bal de la privatisation et de la tarification des services publics, 12 000 personnes étaient dans les rues pour dénoncer l’ensemble des mesures régressives notamment la hausse des frais de scolarité qui, à ce moment-là, n’était pas chiffrée. Il y a eu des publications de manifestes par l’ensemble des partenaires universitaires dans les mois qui ont suivi. Il y a eu une pétition qui a rassemblé 30 000 noms contre la hausse des frais de scolarité. Il y a eu des occupations de bureaux, ceux la ministre Beauchamp, ceux du ministre Bachand. Il y a eu toute une série de ce type d’actions qui ont été entreprises. Le 6 décembre, il y a eu ici même à Québec une manifestation qui a rassemblé 3 000 personnes dans les rues. 50 000 personnes étaient en grève pour l’occasion. Le 12 mars suivant, il y a eu une manifestation de la Coalition nationale opposée à la tarification et à la privatisation des services publics et de l’Alliance sociale qui regroupe les grandes centrales syndicales. À ce moment-là, il y avait 30 000 personnes dans les rues de Montréal. À peine, deux semaines plus tard, le 31 mars 2011, 5 000 personnes manifestaient à l’appel de l’ASSÉ pour contester la hausse des frais de scolarité. Et il y avait alors 60 000 personnes en grève. Il y a eu des actions durant l’été. Il y a eu manifestation de la Coalition le 22 octobre. Puis celle du 10 novembre.
Et après tout ça, le gouvernement Charest ne recule toujours pas. Le gouvernement Charest est toujours aussi arrogant. Il est toujours aussi sourd aux revendications des étudiantes et des étudiants et de la société québécoise en général. Devant cette fermeté-là, qui n’est pas surprenante de la part du gouvernement Charest, et qui est certainement très assumée, il y a un choix que les étudiant-e-s doivent faire au Québec et c’est celui soit d’arrêter la mobilisation et de baisser les bras ou de continuer la mobilisation et de passer à l’étape suivante, la grève générale illimitée.
La grève générale illimitée est le seul moyen qui a permis dans l’histoire du mouvement étudiant québécois de faire des gains
C’est un moyen dont souvent les associations étudiantes ont peur de peur d’éveiller des débats chauds, des antagonismes forts. Souvent en pensant que leurs propres membres seraient trop égoïstes ou individualistes pour penser faire le sacrifice d’une grève générale illimitée pour rendre l’éducation accessible à tout le monde.
Du côté de l’ASSÉ, on a plutôt décidé de proposer de manière transparente et ouverte ce moyen d’action. Et la réponse, jusqu’à maintenant, est extrêmement positive. Notamment, parce que la grève générale illimitée est le seul moyen qui a permis dans l’histoire du mouvement étudiant québécois de faire des gains ou à tout le moins d’empêcher des reculs. Lorsque des gouvernements, péquiste comme libéral, ont tenté de restreindre l’accessibilité aux études. On pourrait parler de toutes les grèves étudiantes. Mais prenons les grèves de 1996 et de 2005. En 1996, Pauline Marois, qui était ministre de l’Éducation à l’époque, a essayé d’augmenter les frais de scolarité. Il s’en est suivi une grève qui a été initiée par les cégeps, une grève qui a fait reculer le gouvernement du Parti québécois sur la hausse des frais de scolarité.
À ce moment-là, cela n’avait pas été jugé comme une victoire totale par les gens qui avaient fait grève, mais avec le recul historique, on peut dire qu’il y a eu un gain partiel de la part du mouvement étudiant. Dix ans plus tard, en 2005, le gouvernement Charest a transformé 103 millions de dollars qui étaient donnés en bourse en prêts. Il s’en est suivi, une grève, la plus grande grève de l’histoire du Québec, une grève qui a été longue, pénible, près de huit semaines, qui s’était, encore une fois, soldée par une conclusion que certain-e-s à l’époque avaient jugé pas totalement satisfaisante. Encore une fois, avec le recul historique, on peut tout de même affirmer qu’il y a eu un gain significatif de la part du mouvement étudiant. Si on veut faire des gains significatifs, il faut présenter ces grèves-là comme ayant donné quelque chose. Ce chemin-là qui a été pris en 1996, en 2005, mais qui a été raté malheureusement en 2007, c’est celui qu’on veut prendre cette année. On se dirige donc vers une grève générale illimitée.
Il y a trois stratégies principes qui s’imposent pour mener cette grève et surtout la gagner.
La première mesure qui vise à éviter les déchirements qui ont eu lieu en 1996 et en 2005, c’est la ratification par l’ensemble des acteurs nationaux du mouvement étudiant d’une entente qui viserait à éviter que certaines organisations étudiantes règlent le conflit à l’insu d’autres organisations comme cela s’est vu malheureusement dans le passé Et ça, c’est une entente qui a été proposée, non par l’ASSÉ, mais par une grande assemblée étudiante, qui a eu lieu ici même à Québec en mai dernier,et qui s’appelait le Rassemblement national étudiant qui avait rassemblé près de 88 associations étudiantes locales et universitaires. Cette rencontre a jeté les bases d’une entente en trois clauses pour s’assurer la solidarité du mouvement étudiant cette année, la solidité de ce mouvement, pour s’assurer d’un mouvement peut-être pas uni, mais à tout le moins coordonné et conséquent pour éviter que des gens se sentent trahis à l’issue de la grève , sentiment qu’avaient ressenti la plupart des gens à la fin de la grève de 2005. Cette entente est en train d’être négociée. Il y a trois associations nationales sur quatre qui ont accepté. Il reste une association à signer l’entente et pour nous à l’ASSE, on croit beaucoup à cette entente qui va être un moyen privilégié pour que cette grève soit victorieuse pour tout le monde.
La deuxième stratégie que l’on est en train de mettre en branle, c’est la fondation d’une coalition, l’ouverture des structures de l’ASSÉ à un ensemble d’associations collégiales et universitaires. Cette coalition va être lancée d’ici deux semaines au Collège François-Xavier-Garneau. Cette coalition va s’appeler la Coalition large de l’ASSE. Il y a déjà une dizaine d’ associations étudiantes, qui représentent 15 000 étudiant-e-s qui ont le mandat de se joindre à cette coalition alors qu’elle n’est pas encore créée. Cela s’annonce très bien pour une coalition de grève, une coalition qui va se vouloir combative, une coalition qui va se vouloir démocratique, qui va se vouloir féministe, parce que ce sont trois grands piliers de la culture du mouvement étudiant combatif parce qu’on reconnaît l’apport du féminisme dans la lutte. On parle d’une coalition de grève qui va non seulement faire grève contre la hausse des frais de scolarité, mais qui va mettre de l’avant, un projet plus large, un projet de société pour le Québec, pour des universités de plus en plus accessibles. Cela va passer par l’instauration, à moyen terme au Québec, de la gratuité scolaire.
La troisième et dernière stratégie, un axe de discours, c’est la question de la convergence des luttes. La manifestation du 10 novembre dernier n’était pas seulement une manifestation étudiante. Il y avait la participation surprenante de toute une série de groupes sociaux de la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, mais un peu aussi de l’Alliance sociale. On espère bien pouvoir ancrer la grève générale dans la conjoncture.
Dénoncer les abus de l’élite qui gouverne aux dépens de la majorité des citoyennes et citoyens
La grogne se développe au Québec, comme le montre le mouvement des Indignés auquel on peut reprocher une certaine forme d’improvisation, mais auquel on peut accorder qu’il a l’avantage de remettre de l’avant un discours de classe sociale, un discours qui dénonce les abus de l’élite qui gouverne aux dépens de la majorité des citoyennes et citoyens, aux dépens des travailleurs et des travailleuses. Nous, on espère ancrer la grève générale illimitée dans ce contexte-là, dans ce contexte de grogne internationale qui se répercute aussi au Québec alors que le gouvernement Charest atteint un sommet d’impopularité. Les scandales de la corruption ont éveillé dans plusieurs esprits un doute qui sommeillait, celui que ce gouvernement ne gouverne pas dans les intérêts de la collectivité. Il ne gouverne pas dans l’intérêt de la majorité, mais dans l’intérêt d’une minorité. Les seules organisations qui appuient son projet, dont celui de la hausse des frais de scolarité, ce sont les organisations patronales. Cela démontre bien que les gens vont soutenir la grève étudiante, car ils vont y reconnaître une résistance de la population à des projets d’une élite.
La lutte contre la hausse des frais de scolarité est une lutte de classe
La hausse des frais de scolarité, c’est une attaque à l’égalité des chances, c’est une attaque à la justice sociale. C’est une attaque à la démocratie elle-même. La démocratie suppose des institutions autonomes, libres qui permettent aux gens et à la jeunesse en particulier de penser la société, de penser le monde, de penser où va le monde, de penser ce qu’on est en train de faire. Il n’est pas abusif de dire que dans la situation actuelle, c’est une réflexion qu’il faut faire. Face à une crise écologique sans précédent, face à une crise économique qui ne cesse d’empirer, ce n’est pas le bon moment pour fermer les portes de l’Université qui devrait être un lieu privilégié pour réfléchir. On nous parle du Québec de demain, d’innovation, de défis à relever et ce qu’on est en train de faire, c’est de couper littéralement les ailes à une génération entière qui ne pourra réfléchir à comment régler pour vrai ces problèmes pas parce que les jeunes n’ont pas le talent,pas parce qu’ils n’ont pas le courage, mais parce qu’ils n’ont pas assez de cash. Une situation comme celle-là porte un nom, c’est une injustice.
En terminant, je lance un appel à une mobilisation générale de l’ensemble des mouvements sociaux pour bloquer la hausse des frais de scolarité. Il faut le rappeler, les gens qui veulent augmenter le frais de scolarité, les gens qui veulent privatiser la santé, les gens qui refusent d’investir dans le logement social, les gens qui se battent depuis des années pour refuser aux travailleurs et travailleuses de s’associer, ces gens-là sont les mêmes. Ils sont dans les mêmes partis. Ces gens-là forment un petit groupe minoritaire. Ils forment une élite qui partage des intérêts, qui partage un projet politique. Il n’y a pas si longtemps au Québec, on n’avait pas peur d’appeler ces gens-là par leur nom c’est-à-dire une classe. Il faut présenter la lutte contre la hausse des frais de scolarité plus que comme une lutte étudiante ou d’idées, il faut le dire, c’est une lutte de classe.