... Dans les numéros de février et de mars de l’Aut’ Journal, le journaliste Pierre Dubuc et le syndicaliste Marc Laviolette (ancien chef de la CSN) appelaient à la rentrée de la gauche syndicale et progressiste dans le PQ comme stratégie d’action dans la nouvelle conjoncture Charest-Martin. Quelques semaines plus tard, ce mot d’ordre se concrétisait par le ralliement d’un certain nombre de têtes d’affiches du milieu syndical et social sous la bannière du club politique SPQ-Libre (Syndicaliste et Progressistes pour un Québec Libre) qui affirmait sa volonté d’entrer au PQ pour y constituer une tendance syndicale et progressiste. Outre le fait d’oublier bien vite que ce chemin de douleur a déjà été parcouru sans résultats par la gauche québécoise, cette démarche est aussi symptomatique des puissants liens de récupération que le Parti Québécois a réussi à mettre en place et entretenir au long des années face aux directions du mouvement social québécois. Elle démontre une fois de plus, si besoin était, l’incessante nécessité pour les progressistes québécoisEs d’enfin rompre avec le bloc national-populiste Parti/Bloc Québécois et de s’atteler à la tâche de construction d’une organisation politique autonome.
Dès sa première arrivée au pouvoir en ‘76, le Parti Québécois a commencé à appliquer le modèle de gestion des conflits sociaux qui est devenu son propre sous l’étiquette de la concertation - le même concertation aujourd’hui réclamée à cor et à cri par les directions syndicales déroutées devant la violence des attaques de Charest. Sous la caution de son "préjugé favorable aux travailleurs ", l’intégration graduelle des directions syndicales dans l’appareil administratif et politique de l’État, l’immiscion en retour de ce même État dans le fonctionnement syndical (limitation légale du droit de grève), la promotion des chefs syndicaux aux rangs de partenaires consultés et médiatisés du gouvernement ont peu à peu fidélisé l’establishment syndical et social à ce parti et l’ont rendu dépendant de la bonne volonté gouvernementale pour tout gain substantiel en faveur des membres et des secteurs sociaux qu’ils représentent. Les sommets syndicaux inaugurés par le premier gouvernement péquiste dès 1977 et poursuivis tout au long de son règne - avec tant d’efficacité d’ailleurs que la méthode est à présent reprise par leurs comparses du PLQ - ont défini les directions et par extension le mouvement syndical dans son entier, non seulement comme des partenaires mais comme des "décideurs économiques ". Le développement d’un syndicalisme investisseur avec l’apparition du Fonds de solidarité de la FTQ, puis du Fondaction de la CSN, a terminé d’écarteler le syndicalisme québécois entre sa réalité de mouvement social de défense des intérêts des travailleurs et des travailleuses et la réalité de directions qui ont tendu à s’éloigner de leurs bases et à être intégrées dans toute une série de responsabilités directement étatiques.
C’est à cette récupération des forces porteuses de changement social par un parti à direction à l’origine nationaliste-bourgeoise, et maintenant bourgeoise tout court, qu’il importe avant tout de mettre un terme si l’on veut garder espoir d’échapper à l’alternative pire-plus pire de la situation actuelle. Le refus par la majorité de la gauche au début des années ’70 de la construction d’un parti autonome des travailleurs et des travailleuses a signifié au Québec l’instrumentalisation des ceux et celles-ci lorsque leurs dirigeantEs ayant accepté de s’associer au PQ dans une perspective nationale-progressiste se sont retrouvés pris dans l’engrenage de la cogestion. La majorité de ces dirigeants sociaux a suivi la direction bourgeoise du PQ dans l’abandon du progressisme aussitôt que les temps se sont fait plus dur, l’enthousiasme nationaliste, perdant tout contenu social, a été dilué dans le gros gin de l’étapisme et il n’est bientôt plus resté du PQ de naguère que les tristes oripeaux des idéaux déçus d’une génération flouée et désabusée flottant sur le squelette décharné d’un appareil partidaire bourgeois. C’est cette momie que les appelants de SPQ-Libre voudraient aujourd’hui encore rappeler à la vie, c’est à elle qu’ils veulent faire confiance pour défendre les acquis et les droits sociaux des québécois et des québécoises en s’épargnant une fois de plus le chemin du lent travail de construction d’une organisation politique réellement autonome qui pourrait seule tempérer sinon éviter la récupération politique des organisations sociales par les alliés du patronat.
C’est ne pas tenir compte des facteurs politiques et historiques qui ont mené le PQ où il est maintenant que de penser que la simple entrée, aussi fracassante soit-elle, de personnalités progressistes au PQ puisse en faire un véhicule capable de porter un projet de société progressiste en rupture avec les concessions acceptées par le Parti Québécois à toutes les fois où il fut au pouvoir. Au contraire son histoire montre la capacité spécifique du PQ à neutraliser ces tentatives en les utilisant pour reconstituer son image progressiste. Si j’étais un post-moderne, je ferais une blague en disant que le PQ est le véritable parti bourgeois contemporain parce qu’il exploite aussi les travailleur et les travailleuses selon son rôle dans l’économie du signe. Blague à part, pour sortir du cul-de-sac historique où nous enferme la continuelle remise aux calendes de la construction d’une organisation politique représentative en priorité des intérêts des travailleurs et des travailleuses du Québec, il est impératif que les organisations sociales renoncent tout à la fois au mythe de la facilité et au confort de la concertation. Il n’y aura pas de raccourci historique vers l’indépendance politique de classe et il n’y aura pas non plus d’entente d’avantages réciproques entre les exigences du capital et les intérêts de la population québécoise. C’est dans cette perspective que l’UFP offre aux Québécoises et aux Québécois le projet de construction d’un véhicule politique nouveau pour l’atteinte d’un projet de société réellement progressiste.
La présence de l’UFP a déjà le grand mérite de provoquer un mouvement bien nécessaire dans le paysage politique québécois. Une certaine décantation se fait sentir, alors que des figures emblématiques de la gauche sociale résistent aux pressions qui leurs sont faites pour rejoindre les rangs du PQ et assument publiquement leur rupture avec le projet et la politique péquiste. Il est encore tôt pour pouvoir indiquer les retombées exactes qu’aura une telle décantation ; mais on peut souhaiter que les pourparlers ouverts entre Option Citoyenne et l’Union des Forces Progressistes quant à une éventuelle unification de leurs forces marquent un autre pas en avant dans la rupture de la gauche sociale et syndicale avec le Parti Québécois et vers la constitution d’une organisation politique autonome pour les travailleurs et les travailleuses du Québec.