Accueil > International > Amérique latine > Venezuela > Le Venezuela retrouve sa souveraineté énergétique

Le Venezuela retrouve sa souveraineté énergétique

par Salim Lamrani

mardi 4 juillet 2006

Le gouvernement vénézuelien du président Hugo Chávez a décidé de reprendre le contrôle des ressources énergétiques du pays, trop longtemps délaissées au profit des transnationales étrangères, en nationalisant les hydrocarbures.

Selon la nouvelle législation en vigueur, « ce cadre réaffirme la propriété de l’Etat sur les réserves » nationales et concède à l’entreprise d’Etat Petróleos de Venezuela S.A. (PDVSA) « le monopole de la commercialisation » du pétrole. Depuis le 1er avril 2006, les multinationales du pétrole qui opèrent au Venezuela doivent intégrer des partenariats public/privé par le biais de joint-ventures avec PDVSA, avec le statut de simple associé. Désormais, PDVSA est propriétaire à hauteur d’au moins 60% de ces nouvelles entreprises mixtes qui remplacent les anciennes structures privées à capital étranger ; le reste revenant à l’investisseur privé [1].

Le début de privatisation du secteur pétrolier, initiée en 1990, avait fortement porté préjudice à l’économie nationale, car une grosse partie de la manne pétrolière, au lieu de profiter à l’Etat, revenait au secteur privé. Près de 32 champs pétroliers avaient été cédés à des multinationales entre 1990 et 1997. Mais ces accords ont été déclarés illégaux au vu de la nouvelle législation sur les hydrocarbures votée en 2001, qui interdit toute privatisation du secteur pétrolier [2].

Le gouvernement vénézuelien avait accordé un délai jusqu’à 2005 aux entreprises privées nationales et internationales pour signer de nouveaux contrats d’exploitation avec PDVSA. Auparavant, les transnationales pétrolières extrayaient le baril de pétrole pour un coût de production de 4 dollars et le revendaient à l’Etat vénézuelien au prix de 25 dollars pour sa commercialisation, empochant au passage une substantielle plus-value. Ce nouveau système permet à l’Etat d’économiser 3 milliards de dollars pour la production de 500 000 barils par jour issus de ces 32 concessions pétrolières. Ainsi, le Venezuela retrouve sa souveraineté énergétique et met un terme à ce système onéreux [3].

Le président Chávez a salué le nouvel accord adopté par l’Assemblée nationale : « C’est un jour historique parce que l’histoire de l’ouverture pétrolière, qui était la voie pour privatiser PDVSA, fait désormais partie du passé ». M. Chávez a cependant tenu à être clair et ferme envers les éventuels récalcitrants : « ceux qui n’acceptent pas cet accord peuvent aller ailleurs [4] ».

L’avertissement a immédiatement été suivi des faits. En effet, PDVSA a pris le contrôle des champs pétroliers administrés par les multinationales française Total à Jusepín et italienne Eni à Dacion, qui ont refusé de signer le nouvel accord en vigueur, et de se plier aux nouvelles règles établies par les autorités. Ces deux entreprises produisent près de 115 000 barils de brut par jour. De plus, le gouvernement a affirmé qu’il n’indemniserait pas Total et Eni, les seules à avoir refusé le nouveau contrat. « Sur les 32 [entreprises], nous avons trouvé un accord avec 30. Je crois que Total et Eni commettent une erreur. Nous disposons de la souveraineté pour changer notre législation, notre système fiscal et nos redevances », a déclaré, M. Rafael Ramírez, ministre de l’Energie et président de PDVSA [5].

Le gouvernement vénézuelien a également décidé d’augmenter l’impôt sur les bénéfices de 34% à 50%, après avoir constaté que plusieurs firmes internationales avaient recours à l’évasion fiscale, qui a coûté près de 3 milliards de dollars à l’Etat. Plusieurs entreprises telles que l’anglo-hollandaise Shell et la brésilienne Petrobas ont reçu une forte amende pour ce genre de pratique. Shell a dû s’acquitter de la somme de 13 millions de dollars, alors que Petrobas a réglé l’équivalent de 23, 7 millions de dollars à l’Etat [6].

Plusieurs multinationales pétrolières européennes telles que Total et Eni, qui n’avaient pas payé leurs impôts, se sont vues temporairement fermer leurs bureaux par les autorités. L’entreprise Total n’a pas payé ses impôts, s’élevant à près de 110 millions de dollars, depuis 2001, malgré des bénéfices records de 12 milliards de dollars en 2005. Quant à Eni, elle doit la somme de 80 millions de dollars au fisc vénézuelien [7].

M. José Vielma Mora, superintendant du Service national intégré de l’administration douanière tributaire (Seniat), a dénoncé les violations commises par ces multinationales et les a sommé de respecter la loi : « Total Oil est une entreprise qui a obtenu des bénéfices records [...] dans son pays. La France n’est pas un pays pétrolier potentiel, et ces profits proviennent en grande partie au Venezuela. Nous [l’]invitons à se plier à ses devoirs formels au Venezuela [8] ».

L’enquête réalisée auprès de l’entreprise Total a confirmé les soupçons de fraude fiscale pour l’année 2001. La multinationale française a été condamnée à une amende de 443 000 dollars pour fausse déclaration de revenus. En effet, Total avait déclaré une perte fiscale de 23,5 millions de dollars alors que la perte réelle n’excédait pas les 6 millions de dollars. Total avait également annoncé de nouveaux investissements à la hauteur de 20 millions de dollars alors qu’en réalité ceux-ci ne dépassaient pas les 12 millions de dollars ; tout cela en vue d’obtenir une réduction d’impôt. Vingt-deux autres multinationales se trouvent dans la même situation et doivent rendre des comptes au fisc [9].

Les autorités bolivariennes ne se limitent pas au recouvrement de taxes impayées. Le président Chávez a annoncé le 7 mai 2006 la création d’un nouvel impôt sur l’extraction de brut de 33,3%, lequel génèrera des revenus supplémentaires à la nation d’un montant d’un milliard de dollars. « Nous allons créer un nouvel impôt pétrolier, appelé impôt sur l’extraction [car] les entreprises qui pompent du pétrole au Vénézuelien gagnent beaucoup d’argent » et payent trop peu d’impôts, a-t-il expliqué [10].

A cela s’ajoute une nouvelle taxe sur l’exportation de brut de 0,1% afin de « renforcer le contrôle fiscal sur les exportations », selon le projet de loi présenté à l’Assemblée nationale. Ces mesures concernent la région de la Faja del Orinoco et les multinationales British Petroleum, Exxon Mobil, Chevron Texaco, Conoco Philips, Total et Statoil. La moitié de la somme récoltée sera destinée à la construction de nouveaux logements pour les secteurs défavorisés de la population [11].

Cette révolution pétrolière entreprise par le gouvernement vénézuelien est d’autant plus bénéfique qu’elle a lieu à une période où le prix du brut atteint les 70 dollars par baril. A ce sujet, le président Chávez a mis en garde contre une éventuelle baisse drastique du prix du pétrole, lors de la 141ème réunion extraordinaire des pays producteurs de pétrole (OPEP), le 2 juin 2006. « Nous, pays de l’OPEP, ne pouvons pas permettre que le pétrole baisse en dessous des 50 dollars [...]. Nous devons faire attention au prix du pétrole, au minimum 50 dollars par baril [...]. Les pays consommateurs disent que le pétrole est très cher. Non, le pétrole n’est pas très cher. Il s’agit d’une ressource naturelle non renouvelable et ils doivent apprendre à économiser. Ils ont gaspillé [énormément de pétrole] durant très longtemps pour alimenter un mode capitaliste, qui n’est pas soutenable et cela a un prix », a-t-il averti [12].

Il a également dénoncé les prix pratiqués dans le passé et s’est prononcé contre toute hausse de la production de l’OPEP, actuellement de 28 millions de barils par jour, qui aurait pour unique effet de faire baisser les prix. « Pendant 60 ans, nous avons offert le pétrole à un dollar le baril, et c’est grâce à cela que ces pays se sont développés [...]. Voilà le résultat maintenant : les pays du nord sont développés et nous, nous nous sommes appauvris, la misère campe dans les pays du sud, [accompagnée] de la mortalité infantile, des maladies et de l’analphabétisme. Le prix d’aujourd’hui équivaut à 10 dollars des années 1950 et 1960, donc ceux qui disent que ce prix est trop élevé mentent. C’est un prix juste », a-t-il souligné [13].

Les pays de l’OPEP envisagent même de prendre l’euro comme monnaie de référence pour le prix du pétrole, en remplacement du dollar qui perd de plus en plus de sa valeur. « Le dollar s’affaiblit surtout à cause de l’irresponsabilité du gouvernement des Etats-Unis », a affirmé le président vénézuelien. Le ministre de l’Energie, M. Ramírez, a également justifié cette décision en raison de la dévaluation du dollar qui a perdu 20% de sa valeur en deux ans [14].

A cette réforme de l’exploitation pétrolière et au prix élevé du baril de brut, s’ajoute l’avancée technologique qui a permis au gouvernement bolivarien d’incorporer les gisements de la Faja del Orinoco à ses réserves nationales. Désormais, le Venezuela est le pays qui dispose des plus grandes réserves mondiales de pétrole avec 315 milliards de barils recensés, bien plus que les 261 milliards de barils dont dispose l’Arabie Saoudite. Les Vénézuéliens, qui bénéficient désormais des retombées de cette manne pétrolière grâce à la politique de redistribution de leur président, ont de beaux jours devant eux [15].


NOTES :

[1] Agencia Bolivariana de Noticias, « Hoy Venezuela cierra época de las concesiones disfrazadas », 31 mars 2006 ; El Nuevo Herald, « Proponen reforma de ley petrolera en Venezuela », 17 mars 2006.

[2] Jorge Rueda, « Venezuela : Chávez alaba acuerdo con petroleras », El Nuevo Herald, 31 mars 2006.

[3] Agencia Bolivariana de Noticias, « Chávez : Apertura petrolera pasará a la historia », 30 mars 2006.

[4] Ibid.

[5] Nathalie Obiko Pearson, « Venezuela : Preocupante toma de yacimientos », El Nuevo Herald, 5 avril 2006 ; Nathalie Obiko Pearson, « Venezuela dice que no compensará a empresas petroleras », El Nuevo Herald, 24 avril 2006.

[6] El Nuevo Herald, « Petroleras pagan deudas por impuestas vencidos en Venezuela », 25 janvier 2006 ; El Nuevo Herald, « Multan a Shell en Venezuela », 20 janvier 2006 ; Agencia Bolivariana de Noticias, « Petrolera italiana Eni acordó pagar impuestos por Bs.147 millardos », 5 avril 2006.

[7] El Nuevo Herald, « Cierran temporalmente oficinas de Total y Eni en Venezuela », 16 mars 2006.

[8] Ibid.

[9] El Nuevo Herald, « Venezuela abre proceso a Total por impuestos vencidos », 2 mai 2006.

[10] Agencia Bolivariana de Noticias, « Presidente anunció nuevo impuesto a la extracción de crudo », 7 mai 2006 ; Patricia Rondon Espin, « Chávez pide más impuestos para las petroleras », El Nuevo Herald, 8 mai 2006 ; El Nuevo Herald, « Proponen impuesto de exportación en Venezuela », 10 mai 2006.

[11] Ibid.

[12] El Nuevo Herald, « Chávez dice que precio de petróleo no debe bajar », 2 juin 2006.

[13] Ibid.

[14] EFE, « Chávez analiza vender petróleo en euros », 2 juin 2006.

[15] Miguel Lozano, « Venezuela : primera reserva mundial de petróleo », Prensa Latina, 31 mars 2006.

En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous :


RISAL - Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine
URL : http://risal.collectifs.net/