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Un processus révolutionnaire

Flavia Verri, François Sabado, Édouard Diago

dimanche 20 novembre 2005

Il est aujourd’hui primordial de comprendre le processus politique à l’œuvre au Venezuela. Dans « Rouge » n° 2131, Serge Godard donnait son interprétation des événements. En voici la réponse, qui recouvre les grandes lignes de la position de la LCR.

Le Venezuela n’est pas un pays socialiste. Soit. Personne à la LCR n’a affirmé une telle chose. Le président du pays, Hugo Chavez, lorsqu’il affirme vouloir construire le socialisme du xxie siècle, ajoute que, jusqu’à présent, le Venezuela se situe encore dans le cadre du capitalisme. S’il s’agit d’évaluer le discours de Chavez, comme le fait Serge Godard, alors reconnaissons que, depuis son accession à la présidence, il tient un discours de plus en plus radical, bien opposé aux usages des nouveaux gouvernants issus de la gauche... De défenseur de la troisième voie entre capitalisme et socialisme, il y a quelques années, voilà un chef d’État qui ouvre un débat international sur la nécessité de construire le socialisme, au xxie siècle, en prenant soin de le démarquer tant de l’expérience soviétique que de la social-démocratie.

Certes, les discours ne suffisent pas. Les révolutionnaires basent leurs analyses sur des faits matériels. Plutôt que de préjuger d’une future trahison, qui nécessiterait l’émergence d’une « phase révolutionnaire en rupture avec la révolution bolivarienne », répondons à plusieurs questions : quelles sont les transformations économiques, politiques et sociales mises en œuvre dans ce pays ? Le rapport de force est-il plus ou moins favorable aux travailleurs après huit années d’exercice du pouvoir chaviste ? Quelles sont nos tâches ?

Revenons sur quelques réalisations dont Rouge s’est fait l’écho régulièrement. Dès 1999, le Venezuela s’est engagé dans une politique internationale d’affrontement avec l’impérialisme : refus de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) ; rejet du Plan Colombie (avec l’interdiction du survol du territoire aux avions américains) ; relance de l’Opep ; réintégration de Cuba dans le jeu diplomatique latino-américain... Des propositions ont été faites publiquement pour une nouvelle intégration fondée sur les solidarités et les coopérations entre États (ALBA1, Telesur, Petrocaribe, etc.). Dans le domaine politique, la nouvelle Constitution, sans rompre avec la démocratie représentative, introduit l’idée de la responsabilité commune du peuple et de l’État, la révocabilité des mandats électifs, le droit aux assemblées populaires...

Combativité des masses

Dans les domaines économiques et sociaux, le Venezuela a éradiqué l’analphabétisme, installé un système universel et gratuit de santé, avec l’appui de Cuba, ouvert de nouvelles universités... Une réforme agraire est à l’œuvre. Sans s’attaquer aux latifundios productifs, elle ouvre la possibilité d’exproprier les terres non productives. 100 000 familles ont acquis des terres, en général sous la forme de coopératives, malgré les milices propatronales. Plusieurs entreprises ont été expropriées, « sans rachat ni indemnités », et confiées en gestion à des coopératives ouvrières. C’est une incursion sérieuse dans le principe de la propriété privée ! Voilà quelques éléments d’ores et déjà acquis pour la population vénézuélienne, grâce à un gouvernement réformiste conséquent, mais surtout à un mouvement populaire combatif.

À en croire Serge Godard, l’immense mouvement populaire au Venezuela se serait développé indépendamment de la révolution bolivarienne. Et Chavez détournerait sa combativité par une politique pouvant déboucher sur une défaite du mouvement populaire. Quoi de plus confortable que de prédire l’échec des mouvements révolutionnaires lorsqu’ils ont tous été défaits ou trahis ? Attachons-nous plutôt à apprendre de la dynamique « bolivarienne » qui a amélioré substantiellement le rapport de force en faveur des travailleurs, depuis l’arrivée au pouvoir de Chavez. « Tout le pouvoir pour le peuple », « démocratie participative » : voilà deux concepts centraux que Chavez manie au quotidien. Ils donnent confiance aux travailleurs et au mouvement populaire.

Ainsi, sans l’insurrection de millions de Vénézuéliens, au risque de leur vie, pour battre le coup d’État de 2002, le Venezuela serait aujourd’hui gouverné par une alliance entre le Medef local, l’Église et les secteurs réactionnaires de l’armée. Sans la participation directe, en marge de l’appareil d’État, point de « missions » d’alphabétisation, de santé, d’alimentation ; point de réforme agraire ; point d’expropriation. Oui, toutes ces réformes auraient été impossibles si le gouvernement « réformiste » s’était appuyé sur l’appareil d’État « bourgeois ». Et en participant directement à ces tâches politiques, les Vénézuéliens acquièrent la conviction qu’ils sont incontournables dans la transformation du pays, que seule leur mobilisation, à partir de luttes concrètes, permettra au pays de s’émanciper de la dictature de la propriété privée et du profit. Alors non, Chavez ne détourne pas la combativité des masses. Il leur donne un commencement de débouché politique et les appelle à se mobiliser face aux pesanteurs bureaucratiques et clientélistes, héritées de l’ancien régime ou perpétuées par des secteurs opportunistes et bureaucratiques du chavisme. Faisons attention à ne pas nous tromper d’adversaire : Chavez est aujourd’hui un allié.

Révolution bolivarienne

Nulle situation politique sur la planète n’est plus favorable aux révolutionnaires que celle du Venezuela. Pour la faire fructifier, nous devons nous insérer le plus profondément possible dans la révolution bolivarienne, faire émerger ses contradictions concrètes pour en faire des éléments de lutte des secteurs les plus radicalisés au Venezuela. Dire cela, c’est rejoindre dans la pratique des mouvements qui se situent au cœur de la révolution bolivarienne et défendent une issue socialiste, démocratique, anti-impérialiste : le Mouvement du 13 avril, coordination communiste libertaire qui gère des centres d’accueil et apporte son appui logistique aux indigènes combattant l’exploitation du charbon dans les montagnes de Perija, à l’ouest du pays ; le Courant marxiste bolivarien, qui dispute des espaces de pouvoir aux bureaucrates et qui met en place des procédures participatives pour les travaux publics de Caracas, en en faisant des embryons de structures autonomes des institutions.

Nos camarades du parti Révolution et socialisme participent aussi à cet effort, en redoublant d’activités pour développer la nouvelle centrale syndicale, l’UNT. Ils disputent sa direction aux bureaucrates afin d’en faire un outil au service de la classe ouvrière, en pleine indépendance du gouvernement. Alors oui, une organisation entièrement indépendante de la bourgeoisie est nécessaire pour radicaliser le cours de la révolution à l’œuvre au Venezuela. Partant des acquis de la participation massive de la population, elle devra affiner une stratégie à même de battre le capitalisme de façon durable. Cette organisation se construit, patiemment, au rythme des prises de conscience des masses vénézuéliennes. Elle ne se construira pas, à l’étape actuelle du processus, en extériorité à la révolution bolivarienne, encore moins en rupture avec cette dernière. Elle ne peut naître que de son sein, parce que les masses reconnaissent les cadres révolutionnaires à leur capacité à changer le cours des choses... au quotidien !


Flavia Verri, François Sabado, Édouard Diago

1. Alternative bolivarienne pour les Amériques.