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Lettre ouverte aux propriétaires de l’indépendantistomètre

par François Cyr, président de l’Union des forces progressistes

lundi 30 août 2004

Nul ne connaît l’origine précise de cet appareil qu’est l’indépendantistomètre. Pourtant, son action se manifeste régulièrement dans le débat public.

Ses propriétaires peuvent de façon catégorique, sans doute après avoir promené sous le nez des intervenants leur bien étrange machine, séparer le bon grain de l’ivraie. Les purs et durs d’un côté, les impurs et mous de l’autre. À défaut ou malgré les faits, on prête des intentions. Certains avancent que l’origine lointaine de ce type d’engin serait du côté de la sainte Inquisition. D’autres voient dans le vieux nationalisme traditionnel et exclusif le terreau favorable à l’émergence de ce type de pratique. Certains parlent même de stalinisme, d’intégrisme ou d’autres formes violentes de pathologie politique. Laissons aux savants le débat sur l’origine de l’étrange appareil, contentons-nous d’observer son fonctionnement.

Vous êtes en faveur d’une élection référendaire ? Tous les clignotants du densimètre clignotent en vert comme un arbre de Noël, même si vous ne manifestez aucun intérêt pour réformer le mode de scrutin. Vous réfléchissez tout haut à la pertinence d’un appel à une Assemblée constituante ? La machine reste au neutre car elle ne mesure que les idées reçues tels l’étapisme ou le confédéralisme. L’engin est sélectif. Sans doute n’y a-t-il qu’un seul modèle, très vieux, et toujours en service. C’est pourquoi il a fréquemment des ratés. Un ancien ministre fédéral conservateur, ex-ambassadeur canadien, avocat patronal de choc, a su miraculeusement échapper au travail des propriétaires de l’indépendantistomètre. Comme l’aiguille d’un sismographe qui s’agiterait follement devant une très légère secousse, mais qui resterait immobile devant un gigantesque tremblement de terre. L’appareil n’est sans doute pas conçu pour examiner les sauveurs suprêmes de la nation.

Bien qu’indépendantiste depuis toujours, vous osez voter de reculons pour le NPD parce que c’est un parti de gauche, enfin un peu ? Rouge, rouge, les clignotants, sans parler de cette voix métallique qui, surgissant des entrailles de la machine, vous explique que votre parti, pire votre esprit, est infiltré par les fédéralistes. Parlant d’infiltration, l’engin n’a pas fait des prouesses pour repérer un célèbre indicateur de la police fédérale dans les rangs de votre parti. Environ 5 % du contenu du site Internet de l’UFP est rédigé en langues anglaise et espagnole. Les propriétaires de l’indépendantistomètre écrivent des messages enflammés : trahison de la loi 101. Preuve flagrante que notre orientation en faveur de l’indépendance n’est que supercherie.

Des amis politiques de gauche, incurables utopistes, osent s’approcher timidement de ce miroir aux alouettes qu’est le fédéralisme asymétrique. Simple curiosité intellectuelle sans doute. Très beau sur papier, irréalisable en fait parce que l’État canadien, c’est l’État canadien. Comment réagit l’appareil ? Il les soupçonne presque de vouloir entonner le " Ô Canada ". Alors que votre très sélective machine a négligé d’enregistrer que votre parti a fait autant pour cautionner en 200 mois de pouvoir les institutions imposées par le colonialisme britannique. Difficile de penser autour de l’engin, surtout de penser tout haut. Ça doit être à cause des ondes, ou de cet espèce de bruit de fond qu’il dégage depuis quarante ans. Toujours le même ronron, lancinant à la longue.

À quoi carbure la machine, d’où vient son énergie ? Nul ne le sait de façon précise. Sans doute un peu d’aveuglement partisan, la pire forme (parce que collective) d’aveuglement volontaire. Difficile d’accepter dans cette culture politique que l’autre puisse être indépendantiste mais de façon différente parce que fondamentalement animé par l’espoir d’un projet de société progressiste. On note également un indice d’octane à forte teneur d’intolérance. Comme un refus d’accepter le pluralisme politique .Les progressistes l’ont très durement éprouvé lors du dernier scrutin général et, dans certains cas, pour parler franchement, l’intolérance et le nationalisme étroit, ça ne sent pas très bon. Pourtant, votre appareil semble également insensible à détecter les odeurs.

Certains d’entre vous vont jusqu’à militer activement contre une réforme du mode de scrutin, espérant ainsi retarder l’effritement inéluctable de votre monopole de la question nationale. Soyons clair : nous ne reprocherons pas à votre engin d’avoir fait défaut d’enregistrer cette crispation conservatrice. Ce serait un mauvais procès. Parce que vous ne disposez pas d’un appareil conçu pour mesurer le conservatisme, ou le néolibéralisme. Auquel cas, tous les voyants de cette machine scintilleraient de mille feux.

Il y a sans doute aussi un petit quelque chose de générationnel dans ce carburant. La politique, c’est aussi une relation au temps. Étrange situation où les plus pressés de réaliser l’indépendance de notre pays sont souvent les plus âgés. Ce qui amène beaucoup de baby-boomers adhérents au Parti québécois à confondre le destin de leur parti avec celui de notre pays. Sans parler de son destin personnel. Dur, dur de sortir des ornières (élection référendaire, étapisme, bon gouvernement, confédéralisme, etc.) et d’envisager un nouveau cadre stratégique, comme le suggère Robert Laplante. Dur, dur de sortir des frontières de son parti, de ses rituels et de ses fausse urgences pour chercher, dans l’histoire même du Québec, lointaine comme assez récente, ce qui pourrait être notre solution commune : la lute pour une Assemblée constituante.

Mais surtout, c’est très dur, sans doute impossible, de revenir aux sources d’un parti qui, à l’origine, disait aux siens qu’il fallait sortir, parler et convaincre. Magnifique mot d’ordre pour un parti qui, à l’époque, avait un peu plus que le projet de gouverner une province. Tout cela a disparu, l’engin n’a pas bronché, ou si peu. La vieille histoire de la poutre dans son oeil et du fétu de paille dans celui du voisin.

Pour dire les choses un peu plus sérieusement, l’UFP est indépendantiste et le restera. Mais à sa façon, avec le souci constant d’arrimer le social et le national. Notre raison d’être, notre " article un " pour reprendre votre terminologie, c’est la justice sociale. Sur le plan stratégique, nous sommes le seul parti à avoir inscrit au cœur de son programme la proposition d’une Assemblée constituante. Étrange que votre indépendantistomètre ne l’ait pas remarqué.

Nous devons approfondir ce projet, le raffiner, l’élaborer collectivement, en nous hâtant lentement. En prenant grand soin que cette réflexion ne soit pas kidnappée par une poignée d’experts, comme c’est souvent le cas au Québec. En évitant de nous peinturer dans le coin autour d’éléments purement accessoires au débat. En essayant de faire de ce processus l’une des plus grandes mobilisations politiques populaires de ’histoire du Québec.

Il serait peut-être plus utile de ranger votre appareil et de faire en sorte que votre parti, dans une perspective républicaine et non provincialiste, inscrive (article 1. b ?) à son programme ce grand projet de Constituante. Après, peut-être, disons-le sans trop y croire, sera-t-il possible, d’ensemble, sortir, parler et convaincre...