Qu’est-ce que la nation ? Bases objectives et réalités subjectives
La nation est le résultat d’une communauté de destin historique. La réalité nationale est en évolution constante. Entre la nation "canadienne-française" et la nation québécoise, il y a eu des mutations de conditions objectives historiques et politiques (rapport au territoire, à l’Etat, à l’économie) et des formes de consciences (rapport à la religion, à la compréhension de son histoire et de son avenir). La nation ne se laisse donc pas définir par une énumération des critères objectifs ; elle est en constante redéfinition par les forces agissantes sur la scène internationale et par le poids relatifs des différents acteurs nationaux.
Mais la nation se construit subjectivement. La nation dominante dans l’Etat capitaliste, dirigée par sa bourgeoisie, mène la bataille pour la mémoire en monopolisant une tradition nationale, en éliminant les autres passés nationaux. Cette nation est aussi le produit d’une conscience particulière de la communauté politique, de la vitalité de la culture nationale, de la reconstruction du passé et de la réinterprétation toujours nouvelle de l’histoire. Les formes de la lutte d’une nation opprimée pour sa libération est essentielle à sa forme même pour définir les éléments constitutifs de la communauté de destin au même titre que les événements historiques objectifs".
Une nation peut développer une aspiration à se donner un État. Mais lorsque des nations ont su assurer leur domination sur un État, celui-ci joue un rôle important pour le parachèvement de la nation. À cette étape, la nation apparaît comme un produit de l’Etat : des éléments constitutifs de la nation (l’unité économique, le territoire, la tradition) se modifient par l’action directe de l’État dans l’organisation matérielle de l’espace et du temps. Les nations qui contrôlent un État prennent corps dans les appareils d’Etat. L’Etat n’unifie pas un marché intérieur préalable mais instaure un marché national en posant les frontières… L’exemple de l’État canadien est exemplaire à cet égard.
Une nation sans Etat propre est soi une nation en perdition de sa tradition et de son histoire, car l’Etat-nation moderne veut dire aussi effacement des traditions et des histoires et des mémoires des nations dominées incluses dans son processus, soi une nation en lutte pour la reconnaissance nationale.
La construction de la nation canadienne, à l’époque de la globalisation capitaliste, n’est pas un projet désuet, c’est un projet de plus en plus en pointe. Ce projet se réalise par la négation des réalités nationales du Québec et des nations autochtones. Dans la mise en forme de la nation canadienne par l’Etat canadien, le Québec n’est pas une nation. Il n’est pas même une société distincte. Il n’existe que comme une communauté francophone à la quelle il faut reconnaître certains droits. La loi fédérale fixant les conditions devant être remplies pour que soit considérés comme acceptables les résultats de l’expression de la souveraineté populaire de la nation québécoise participe de cette oppression et de l’affirmation de la seule légitimité de la nation canadienne sur tous les coins du territoire canadien.
Si cela demeure un enjeu, c’est que l’Etat-nation (des pays impérialistes) n’a pas été déclassé par un nouveau gouvernement mondial qui trouverait son expression dans les institutions financières internationales, l’OMC et les conseils d’administration des entreprises multinationales. La direction de ces institutions est assuré par des responsables nommés par des gouvernements nationaux des États impérialistes. La vaste majorité des fonds de ces institutions viennent des États impérialistes, et particulièrement de l’État impérialiste américain. Les entreprises transnationales ont encore des bases nationales. 96% des mégacorporations qui agissent sur le marché mondial ont leur siège social dans 8 pays seulement. La propriété de ces entreprises repose sur une base nationale très claire. Leurs profits qui viennent du monde entier sont rapatriés dans les pays d’origine de l’entreprise. 2% seulement de leurs dirigeants sont des étrangers. Ce soutien se matérialise par des subventions directes, des sauvetages d’importantes entreprises en difficultés, par l’utilisation pour leurs besoins des impôts payées par les classes subalternes, par la dérégulation du marché, par des réformes du code du travail orientées vers la précarisation et la flexibilité de la main-d’œuvre… Les États nations impérialistes continuent d’être des acteurs cruciaux dans l’économie mondiale. Il n’y a pas de crise totale de l’État et encore moins une crise terminale de l’État. Les fonctions répressives de l’État conservent toute leur vigueur pour protéger l’apartheid social que l’économie capitaliste développe.
Il y a deux visions de la souveraineté de l’État pour l’État impérialiste américain. Sa souveraineté et celle de ses alliés doivent être renforcées. Celle des pays neutres ou ennemis doit être foulée au pied. L’État américain a répudié des instruments de juridiction internationale (qui pourrait impliquer une quelconque diminution de sa souveraineté nationale- voir le refus de la Cour internationale de justice par le gouvernement américain). Tous les États métropolitains depuis 20 ans se sont renforcés au niveau de leur possibilité d’intervention économique. Il y a bien eu une baisse du taux de croissance des dépenses publiques mais ces dernières ont continué à croître malgré tout, mais à un rythme plus lent.
Les États continuent donc à se développer dans les métropoles impérialistes. Mais l’histoire est tout autre dans les pays de la périphérie. Ces États ont été radicalement affaiblis et les économies périphériques ont été soumises de plus en plus ouvertement, et sans médiation étatique, aux influences des grandes entreprises transnationales et aux politiques des pays développés, particulièrement des États-Unis. Cela n’a pas été spontané mais a été le résultat d’initiatives politiques consciemment prises par le centre de l’empire, le gouvernement des États-Unis d’Amérique, accompagné cela par ses agences et ses lieutenants (le FMI, la Banque mondiale, l’OMC…) et soutenues par la complicité agissante des gouvernements du G-8. Cette coalition s’est donnée comme objectif de reconvertir les économies de l’ensemble du Tiers Monde selon leurs intérêts et plus particulièrement, selon les intérêts des États-Unis.
Cette restructuration des pays de la périphérie signifie la pénétration illimitée des entreprises nord-américaines et européennes dans les marchés intérieurs des nations du sud, le démantèlement du secteur public de ces pays afin de générer des excédents destinés au paiement de la dette, la réduction au minimum les budgets publics pour sacrifier les dépenses vitales en matière de santé, de logement, d’éducation provoquant la détérioriation radicale de la qualité de la vie de vastes secteurs de la population de ces pays. Les entreprises publiques sont vendues à des prix dérisoires aux grandes entreprises des pays du nord pour augmenter leurs profits.
Il a donc d’une part les États impérialistes, qui sont déjà plus que de simples États nationaux. Ce sont de États qui utilisent leurs forces militaires pour ouvrir et protéger des nouveaux territoires à l’exploitation des capitaux impérialistes de ces États ; mais il reste que dans la phase actuelle d’internationalisation du capital, la nation moderne, certes transformée, reste pourtant, pour la bourgeoisie, le lieu garant de sa reproduction qui prend précisément la forme d’une transnationalisation. La construction de la nation impérialiste est un instrument de sa légitimité de sa domination et de l’assujettissement des classes dominées à ces processus de légitimation.
Il est faux de réduire l’identité nationale des nations dominantes à un seul discours idéologique. L’identité nationale dans les nations dominantes est construite par un quadrillage institutionnel et culturel dans lequel l’État joue un rôle central. La domination idéologique qui existe n’est qu’un aspect très partiel de la question. Le nationalisme des ces nations sert à légitimer le globalisme, l’universalisme abstrait, l’annexionnisme, la guerre expansionniste, le repartage du monde et le racisme anti-immigré. Mais il est le discours d’une pratique, celui de la hiérarchisation du monde en nations dominantes et en nations dominées.
Les Etats de la périphérie sont des Etats dominés. Leur champ d’action se trouvent réduit et contrôlé par les Etats impérialistes. Dans les situations les plus difficiles, ils deviennent les relais direct de l’impérialisme où l’espace de l’expression citoyenne est réduit à un presque rien. L’universalité de l’Etat nation comme médiation internationale des rapports entre les peuples est une réalité embryonnaire marquée par des réalités contradictoires et inachevées.
Le nationalisme des nations dominantes, le nationalisme des nations dominées
Le nationalisme est un état d’esprit, un discours, un choix politique qui considère que la loyauté suprême de l’individu doit aller à l’État national ou à l’établissement d’un État nation.
Le nationalisme fait de la solidarité nationale, au-delà de la logique de l’autonomie politique de classe, la valeur suprême. Le nationalisme peut donc s’opposer donc à l’expression politique autonome de la classe ouvrière…
Mais comme il faut distinguer l’État de la nation impérialiste de l’Etat de la nation dominée, il faut également distinguer le nationalisme des nations dominantes du nationalisme des nations dominées. Le nationalisme des nations dominantes est la couverture idéologique des politiques d’exploitation et de spoliation du capital impérialiste. Il est complètement réactionnaire.
Le nationalisme des nations dominées est la forme spontanée du refus du globalisme, de l’universalisme abstrait et de l’annexionnisme. On ne peut identifier ce nationalisme au nationalisme impérialiste. Le nationalisme impérialiste vise essentiellement le désarmement politique de la classe ouvrière et des masses populaires et l’écrasement de son autonomie ; l’oppression d’une autre nation contribue au renforcement de l’hégémonie idéologique de la bourgeoisie sur la classe ouvrière au sein de la nation dominante. Le nationalisme de la classe ouvrière dans les nations impérialistes, et aux Etats-Unis tout particulièrement, s’est reflété par le ralliement aux appels patriotards de l’administration Bush. Le retrait de l’AFL-CIO du mouvement anti-mondialisation, son ralliement à la lutte de Bush contre le terrorisme international, s’est fait dans le cadre d’un discours nationaliste, d’un discours de l’unité du peuple américain contre l’ennemi extérieur. Les mouvements altermondialistes ont fait justement apparaître les intérêts de classe face à la mondialisation. Ils ont fait apparaître une redéfinition des axes d’alliance sur d’autres axes que celle de la solidarité nationale. La contre-offensive impérialiste a remis le discours nationaliste au premier pas et appelant à se ranger pour la nation américaine ou contre elle. Le "nous" américain, le « nous » nationaliste, a été de toute les déclarations : nous allons risposter, nous allons envahir l’Afghanistan, nous allons débarrasser l’Irak de Saddam…
Le nationalisme des nations opprimées, expression piégée des aspirations à la libération.
Distinguer le nationalisme des nations dominantes de celui des nations dominées est essentiel. Ce nationalisme est souvent la première expression de la volonté de libération nationale de la domination impérialiste. La lutte du FLN algérien, de l’IRA, de FLN vietnamien, du FSLN, du FMLN, du PT brésilien… a une dimension qui s’inscrit dans la perspective du combat contre la domination impérialiste.
L’émancipation d’un peuple opprimé affaiblit les bases économiques, politiques, militaires et idéologiques des classes dominantes de la nation hégémonique et contribue à la lutte antisystémique dans cette nation. Un exemple essentiel en ce sens a été l’impact du combat victorieux du peuple vietnamien sur l’affaiblissement pour toute une période des capacités d’intervention de l’impérialisme américain un peu partout sur la planète (le syndrome vietnamien) et provoquant une crise politique et culturelle d’ampleur au sein même de l’Etat impérialiste américain. C’est à partir de la compréhension de cette réalité que Guevara lançait le mot d’ordre "Un, deux, trois, plusieurs Vietnam".
La libération des nations opprimées est donc une partie prenante du développement des conditions de la transformation sociale et du bouleversement de la structure du pouvoir à l’intérieur des nations dominantes. Tant que l’oppression et le système mondial hiérarchique n’est pas remis en question, (et il l’est, le plus souvent, dans les maillons faibles de la chaîne impérialiste, les nations qui ont mené la résistance la plus déterminée sont celles dont la classe ouvrière a pu s’organiser politiquement sur une base autonome et créer des alliances avec les populations rurales.
Mais le nationalisme des nations dominées demeure tout de même un nationalisme, un discours qui est incapable de comprendre le caractère international que doit prendre la lutte anti-impérialiste et la nécessité que les classes dominées de la nation prenne la direction de cette lutte afin qu’elle puisse être menée jusqu’au bout, soit la remise en question du système capitaliste lui même. La solution véritable aux tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être menée jusqu’au bout sous la direction de la bourgeoisie, qui cherchera tôt ou tard des accommodements avec les bourgeoisies impérialistes pour se protéger des mobilisations de leurs propres masses populaires.
La reconnaissance du caractère particulier du nationalisme des nations opprimées ne doit pas nous amener à faire l’économie de la lutte contre le nationalisme des nations opprimées ; car la distinction entre les deux sortes de nationalisme est toujours relative et non absolue. Au Québec, par exemple, le discours nationaliste reconnaît difficilement la situation d’oppression vécue par les nations autochtones.
L’étroitesse nationale peut empêcher de comprendre que les luttes nationales conduisent souvent à remettre en question l’intégration du système de domination impérialiste et, par conséquent, la nécessité du développement d’alliances stratégiques à l’échelle internationale.
La lutte contre le nationalisme des nations dominées, c’est une lutte contre un discours et une pratique politique qui peut conduire à chercher à unifier l ’ensemble du peuple derrière les classes dominantes, qui peut conduire à la création d’une alliance interclassiste sous la domination de la bourgeoisie, ce qui désarme politiquement les masses, conduit à nier leur organisation politique autonome et les conduit à jouer le rôle d’une masse de manœuvre dans les intérêts des classes dominantes de la nation opprimée qui ne se contentera d’aménagements ne remettant pas en question la domination impérialiste.
Au Québec, ce discours a été portée par le Parti québécois jusqu’à la caricature. Ce dernier a en effet présenté l’État fédéral et ses dirigeants comme de grands démocrates qui respecteront la décision du peuple. La recherche d’accord à l’amiable avec les oppresseurs de tout côté, la volonté soutenue de s’attirer les bonnes grâces de l’impérialisme américain qui n’a jamais répondu à leurs appel, a conduit le PQ à s’écarter de toute dynamique de libération nationale. Il n’a mis une sourdine sur ces discours absurdes que suite à l’adoption par le gouvernement fédérale d’une loi inique visant à miner la légitimité de toute démarche de consultation sur les intentions de la population de la nation québécoise. Aujourd’hui, c’est lui qui abandonne le recours à la souveraineté populaire comme facteur essentiel du combat du Québec pour son indépendance.
L’incapacité stratégique de mener la lutte jusqu’au bout ne signifie nullement que la bourgeoisie puisse prendre la direction de la lutte et obtenir certaines concessions formelles, mais elle signifie l’incapacité de mener à termes les tâches démocratiques : rupture assumée et réelle avec l’État dominant, indépendance nationale, déconnexion de l’économie nationale des besoins de l’impérialisme. Cette incapacité de la bourgeoisie s’est reflétée dans le fait que nombre de pays "indépendants" à la périphérie sont en fait des pays néocoloniaux, où les bourgeoisies impérialistes continuent à mener leurs affaires sans contrainte avec, souvent le concurrence des bourgeoisies nationales de ces pays.
Nationalisme et féminisme
Le nationalisme cherche à instrumenter toutes les composantes de la nation, et les femmes en particulier, à la reproduction de cette dernière. Le rapport des femmes à la nation passe d’abord et avant tout par leur contribution, spécifique et exigée, à la reproduction biologique et culturelle de cette dernière. Le discours nationaliste place la famille et la maternité en son centre. La représentation des femmes, qui est au cœur de l’imagerie nationale sert à marquer les frontières et à définir l’identité du groupe. Enfin, la conception de la place des femmes dans la nation est indissociable de la construction de l’identité nationale.
Questions stratégie et question nationale
Comprendre la question nationale, c’est refuser de sous-estimer l’oppression nationale et les autres formes d’oppression qui ne sont pas des oppressions de classe de caractère d’abord économique, comme les oppressions raciale ou sexuelle.
1. Le premier objectif est l’alliance internationale des classes ouvrières, du genre opprimée et des nations opprimées : l’objectif, c’est la démocratie et l’unité internationaliste des classes ouvrière et populaires.
Seule la libération nationale des peuples opprimés permet de dépasser la division et les haines nationales et d’unir les travailleuses et les travailleurs des villes et des campagnes contre leurs ennemis communs, le capital.
L’unité et la solidarité des travailleurs et des travailleuses d’un seul et même pays ne peuvent s’établir que sur un pied d’égalité, de même que l’unité internationaliste des exploitéEs ne peut être acquise que sur la base de la reconnaissance des droits nationaux de chaque peuple…
Si la domination culturelle impérialiste et les processus d’assimilation peuvent donner l’impression d’une homogénisation culturelle de l’humanité et du dépassement des particularités nationales, on est loin du compte. L’objectif d’unité internationale de la lutte des classes, nations et genre opprimé ne se bâtira pas sur le nivellement des particularités nationales, mais sur la reconnaissance et de le respect de ces particularités. L’unité pourra se faire en cherchant à réaliser la fusion de l’héritage historique et culturel du mouvement socialiste mondial avec les traditions culturelles progressistes des différents peuples, souvent déformée par l’idéologie bourgeoise ou bien cachée et étouffée par la culture officielle des classes dominantes.
2. La lutte contre le nationalisme impérialiste
La lutte contre le nationalisme doit être un axe essentiel du combat politique des marxistes-révolutionnaires. Il faut reconnaître l’importance du nationalisme oppresseur des nations impérialistes. Il se constitue comme discours fondateur de la communauté oppressive, de la solidarité de classe autour de la bourgeoisie impérialiste et de la justification des politiques de conquête, d’annexions et des massacres nécessaires à ses fins. Le discours nationaliste impérialiste magnifie la nation dominante, porteur de civilisation, de démocratie, de liberté et de paix par la guerre si nécessaire. Pour le nationalisme, la quintessence de l’humanité est dans la nation impérialiste. Les nations dominées ne sont pas susceptibles de traitement égalitaire ou de la moindre compassion. Le patriotisme exacerbée de l’après 11 septembre a été emblématique à cet égard.
3. Une lutte contre un sexisme essentialiste et l’instrumentation des femmes dans la reproduction de la nation.
4. La lutte pour le droit à l’autodétermination (jusqu’à y compris la séparation) de toute nation : l’importante c’est que se soient les communautés intéressées qui décident librement de leur avenir.