La naissance de SPQ-libre a l’avantage de clarifier les choses. Enfin, la gauche sociale péquiste est visible sur les radars du débat politique. Il faut apprécier cette brèche de la culture consensuelle, purement de façade, du « progressivisme » québécois, culture d’oppression nationale s’il en est. Si la direction du PQ accepte cette tendance organisée de la gauche nationaliste - a-t-elle électoralement le choix ? - le pluralisme partidaire ayant pignon sur rue aura définitivement droit de cité au Québec.
L’UFP a semé, le PQ aura récolté. Ainsi en va de la logique des rapports de forces. Pour ce qui est de l’influence réelle de SPQ-libre, surtout une fois le pouvoir conquis, c’est à voir. Au mieux, elle connaîtra les déboires de l’Action libérale nationale une fois que l’Union nationale de 1936 - le PQ de l’époque, toute chose étant égale par ailleurs - eut conquis le pouvoir. Le PQ est issu du giron libéral, comme l’ADQ, tout comme l’Union nationale était issu du vieux Parti conservateur. La matrice est donc bourgeoise, grande ou petite. Elle ne muera pas en son contraire. Ou bien SPQ-libre sera le pot de terre de la fable, ou bien elle franchira irrémédiablement la frontière de classe.
Cette clarification politique n’est pas le seul mérite de SPQ-libre. Selon leur manifeste, « [l]a riposte du mouvement syndical - si énergique soit-elle - est handicapée par l’absence de représentation au plan politique. » Un autre acquis récupéré à l’UFP et à ses prédécesseurs, le PDS et le RAP. Cependant, il aurait fallu préciser qui, au juste, le PQ représente. N’est-ce pas Québec Inc. ? Avec SPQ-libre à bord, ce sera le grand partenariat, cette fois bien imbriqué dans les structures du PQ.
Le noyau rationnel de SPQ-libre est, cependant, ailleurs. Consciemment ou instinctivement, elle exploite une faille stratégique de l’UFP, soit son indépendantisme honteux. Quasi dernier point de la plate-forme de l’UFP, le libellé de ce point est presqu’une excuse tout en réduisant l’indépendance à un simple moyen pour autre chose. Il ne faut pas alors se surprendre, par exemple, que l’indépendantisme soit « oublié » dans la brève présentation de l’UFP au début du mémoire à la commission sur la réforme universitaire.
On est très loin de l’exigence de la libération du peuple québécois portée par le grand mouvement soixante-huitard. Cette libération, si elle est authentique, doit cependant être aussi celle des peuples autochtones et inuit, jusqu’au droit à l’indépendance. Autrement, « le droit au respect et à l’autodétermination » reconnu par SPQ-libre n’est pas signifiant. Sur ce point, l’UFP est claire.
Persister dans la voie de l’indépendantisme honteux pourrait faire de l’UFP, quarante ans plus tard, le Parti socialiste du Québec (PSQ) des années 2000. Faute de s’emparer à bras-le-corps de l’indépendance, le PSQ des années 60 avait rapidement laissé la place au RIN qui lui avait auparavant volé son programme social-démocrate, simple manteau pour plaire à la jeunesse soixante-huitarde. Le PSQ définitivement hors jeu, le RIN a cédé la place au PQ qui a réduit l’indépendance social-démocrate du RIN à la souveraineté-association ayant « un préjugé favorable au travailleurs », tactique électoraliste qui a rapidement dégénéré en néolibéralisme à discours social-démocrate.
Là s’arrête l’ambigu apport positif de SPQ-libre. Le reste relève du nationalisme social-démocrate « purzédur ».
SPQ-libre attribue à l’absence de scrutin proportionnel les échecs des PDS, RAP et UFP. Astucieusement - péquistement aurait-on envie de dire - il revendique la proportionnelle pour lui-même à l’intérieur du PQ comme mesure intermédiaire. Quelque soit l’importance du mode de scrutin, il ne faut pas cependant en faire une panacée. L’analyse est pour le moins réductrice et le remède conduit inévitablement à un renouvellement de la stratégie du bon vieil appui critique au national-populisme.
C’est là un legs du vote critique au PLQ pour empêcher la victoire de l’ADQ, ce qui avec la subséquente pratique du pouvoir libéral a redonné au PQ un vernis social-démocrate bien malgré lui. À force d’appui critique et de vote tactique, on récolte le pire, des coupures de salaires de 20% en 1982 du PQ-Lévesque/Parizeau au partenariat public-privé du PLQ en passant par le déficit zéro du PQ-Bouchard/Landry. Quarante ans plus tard, la gauche sociale tourne toujours politiquement en rond, refusant de saisir l’avancée de l’UFP comme elle ne l’avait pas fait alors pour le PSQ.
Le singe social-démocrate montre sa queue quand il dit que « [à] moins de craindre pour leur réélection, les gouvernements néolibéraux ne cèdent pas devant la pression de la rue. » Adieu socialisme, adieu révolution à moins de penser que les urnes soient le fer de lance de la libération du capitalisme néolibéral et du fédéralisme oppresseur.
La gauche partidaire chilienne de 1973 pensait aussi cela. On connaît la dramatique suite des choses. Sans doute, la majorité du PT brésilien pense-t-elle ainsi. La gauche commence à réaliser le drame politique qu’est le gouvernement Lula. Sans la rue, les urnes ne sont rien et pire encore, une dramatique illusion. Les urnes existent comme point d’amarrage d’une direction politique, comme occasion d’éducation politique grandeur nature et comme opportunité de gagner des positions institutionnelles, dans cet ordre-là.
SPQ-libre évoque avec raison l’échec de la mobilisation contre la prétendue « révolution du bon sens » du gouvernement Harris. Mais le diagnostic est erroné. La raison fondamentale de l’échec n’est pas l’inexistence d’un parti syndical, ce qu’est le NPD ontarien. C’est plutôt le refus délibéré et conscient de la direction de l’unique fédération syndicale ontarienne - pas de problème de division et de maraudage comme au Québec - d’enclencher un processus de grève générale illimitée publique-privée après le succès du Day of Action de Toronto. Ce qui a manqué pour contrer ce sabotage en règle, ce n’était pas un parti politique « progressiste » - au contraire, attendre les élections pour voter NPD a servi d’excuse aux hautes directions syndicales - c’était et c’est toujours un parti anticapitaliste crédible, c’est-à-dire que la rue eut écouté.
Évidemment, il est difficile à d’anciens dirigeants et dirigeantes syndicaux et populaires de remettre en question la « concertation » avec le PQ, concertation qui a mené à l’acceptation du « déficit zéro ». SPQ-libre, c’est en fait l’institutionnalisation de la concertation. Pour que cela soit possible, elle s’est dotée non pas d’une plate-forme - la précision et la clarté sont allergiques à la concertation tout comme au verbiage antinéolibéral - mais d’un manifeste ronflant avec lequel la direction populiste du PQ peut parfaitement vivre.
Le PQ sera aussi d’accord à dire que le but principal de l’offensive néolibérale du PLQ est « la démolition des organisations syndicales... » alors que le haut taux de syndicalisation du Québec - le plus élevé en Amérique du Nord impérialiste - est plutôt le principal obstacle à vaincre afin d’élargir l’espace de l’accumulation du capital en réduisant le secteur public en faveur du marché. La stratégie péquiste cherche plutôt l’alliance syndicale - le bloc nationaliste - pour arriver aux mêmes fins que le PLQ.
Est-ce à dire que SPQ-libre pourrait se réconcilier avec les privatisations en autant qu’on laisse le droit aux appareils syndicaux de syndiquer le prolétariat privatisé ? Il y a, après tout, un courant de pensée dans les appareils prétendant que l’économie sociale est acceptable en autant qu’elle ouvre un nouveau champ à la syndicalisation.
Marc Bonhomme, 10 avril 2004