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L’abolition des cégeps : une option rétrograde pour le Québec

dimanche 14 décembre 2003

Ginette Bussières (Syndicat canadien de la fonction publique-FTQ), Michel Chagnon (Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec), Marjolaine Côté (Fédération des employées et employés de services publics-CSN), Alain Dion (Fédération autonome du collégial), Geneviève Hardy (Fédération étudiante du collégial du Québec), Nicole Landry (Fédération des associations de parents), Jean Ouellet (Fédération du personnel professionnel des collèges-CSQ), Pierre Patry (Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec-CSN), Marie Racine (Fédération du personnel de soutien de l’enseignement supérieur- CSQ), Réginald Sorel (Fédération des enseignantes et enseignants de cégep-CSQ), Marie-Michèle Whitlock (Association pour une solidarité syndicale étudiante).

Depuis plusieurs années, le réseau collégial est malmené et remis en question. Cette fois-ci, ce sont des intervenants du monde de l’éducation, soit la direction de la Fédération des commissions scolaires, qui propose l’abolition des cégeps. En effet, s’appuyant sur une étude qu’elle prétend non partisane, elle soutient que les cégeps sont des boulets et que le réseau collégial est trop onéreux. Chantre des politiques de démantèlement du gouvernement libéral, elle a bricolé un plan de « réingénierie » pour les cégeps qui remet en cause un des aspects importants de l’organisation sociale du Québec.

La création des cégeps a permis au Québec un important bond en avant dans le développement d’une société plus démocratique, plus ouverte sur le monde et mieux adaptée aux changements importants qui se sont produits avec la fin du 20e siècle. Toute perspective de supprimer l’enseignement collégial et son réseau remet en cause non seulement un aspect essentiel de l’adaptation contemporaine des services éducatifs du Québec, mais aussi sa capacité à rencontrer les défis d’une société démocratique appelée à se développer dans des créneaux plus complexes.

Les cégeps, acronyme pour Collège d’enseignement général et professionnel, furent créés à la fin des années 60, à la suite du Rapport Parent qui visait à offrir des solutions au très bas niveau de scolarisation de la population québécoise. Ils étaient présentés comme un levier permettant une plus grande accessibilité aux études supérieures, et ce, sur l’ensemble du territoire québécois.

Véritable révolution dans le monde de l’éducation postsecondaire, l’arrivée de ces établissements d’enseignement public et gratuit a tôt fait de porter ses fruits. Dès les premières années, la fréquentation aux études postsecondaires a augmenté de manière significative, en soutenant par la suite le développement économique, culturel et social du Québec moderne. Depuis, les cégeps ont maintenu cet attrait pour une population jeune et adulte. Ils ont pleinement rencontré leur mission première : celle de favoriser et d’encourager la poursuite d’études postsecondaires de qualité en offrant des programmes d’enseignement supérieur public accessibles au plus grand nombre.

Malheureusement, nous constatons qu’un peu plus de trente ans plus tard, les cégeps et le projet social qui leur est associé sont présentement remis en question par des responsables de réseaux d’éducation empêtrés à bricoler des scénarios au bénéfice des orientations du gouvernement libéral. Pourtant, si le Québec d’aujourd’hui présente une société aussi dynamique c’est, entre autres, grâce aux cégeps qui offrent une accessibilité universelle aux études supérieures.

La logique du réseau collégial tient aussi à un autre aspect qui heurte les velléités productivistes des protagonistes de l’efficience et de la « réingénierie » : un véritable ordre d’enseignement offrant à la fois un enseignement préuniversitaire et technique, adapté aux enjeux de l’enseignement supérieur et soudé par une même formation générale commune. Cette conception a démontré sa pertinence et son succès, en offrant aux jeunes et aux adultes des outils pour répondre à leur cheminement et à leur projet. L’enseignement collégial ne peut se réduire à la stricte formation de travailleuses et de travailleurs qualifiés et efficaces, aussi importante que soit la formation technique. On doit aussi former des citoyennes et des citoyens qui possèdent tous les outils pour bâtir une société humaniste et égalitaire.

Depuis dix ans, les différents gouvernements se sont acharnés à imposer aux cégeps un sousfinancement systématique. Tout récemment, le premier ministre Jean Charest alléguait, dans une lettre adressée à la nation, que son gouvernement avait octroyé aux cégeps le financement le plus élevé des dix dernières années. Dans les faits, ce gouvernement a plutôt imposé des compressions supplémentaires de trente millions de dollars à un réseau qui n’arrive même plus à couvrir ses coûts de système (personnel, chauffage, électricité, enseignement, etc.) et où les services aux étudiantes et aux étudiants sont de plus en plus charcutés.

Les conséquences du désengagement de l’État et de ce sous-financement de l’éducation sont flagrantes et inacceptables. Alors que les besoins augmentent, plus que jamais on coupe à tort et à travers dans les services indispensables aux étudiantes et aux étudiants : psychologie, services de santé, orientation, etc. On accentue le recours à la sous-traitance pour dispenser certains services, notamment pour les métiers spécialisés, l’entretien ménager, la sécurité ou encore les services d’imprimerie. En plus d’entraîner une détérioration des conditions de travail du personnel de soutien et professionnel, ce recours systématique à la sous-traitance affecte les services offerts aux étudiantes et aux étudiants. Par ailleurs, le sous-financement de l’enseignement collégial a un impact direct sur les services à l’enseignement et le personnel enseignant. En plus de tenir bon nombre d’enseignantes et d’enseignants dans des conditions plus précaires, l’offre de programmes et les conditions d’accès sont réduites. Les cégeps en région sont aussi particulièrement touchés puisqu’ils connaissent en plus les impacts de la baisse démographique. Inutile de rappeler l’importance de la présence des cégeps partout sur le territoire.

Le maintien de l’enseignement collégial est le choix que le gouvernement du Québec doit faire. Plus, la confirmation de son caractère public par un financement adéquat l’est tout autant, en regard de l’accessibilité et de l’équité entre les régions, les secteurs de formation, et ce, sans égard à l’origine sociale des jeunes et des adultes. En effet, le financement public, c’est ce qui prescrit un ordre d’enseignement accessible à toutes et à tous, possédant des bases communes et des objectifs cohérents, en lien avec la société que nous voulons bâtir. La déresponsabilisation du gouvernement en matière d’éducation postsecondaire est une avenue que nous allons combattre. De ce point de vue, il importe de rappeler que l’établissement de droits de scolarité ne manquerait pas d’entraîner une dramatique baisse dans la fréquentation scolaire, comme le prouve différentes expériences par ailleurs.

Que le gouvernement prouve une fois pour toute son véritable intérêt pour l’éducation. Qu’il annonce le maintien d’un réseau collégial public, distinct des niveaux secondaire et universitaire, qui continue à s’adresser à tous les besoins de formation des jeunes et des adultes et disponible sur l’ensemble du territoire. Qu’il nous montre enfin si l’éducation fait réellement partie de ses priorités. Pour les cégeps, pour la société d’aujourd’hui, mais surtout, pour celle de demain.

Le lundi 1er décembre 2003