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Un nouveau son de cloche :

Le scrutin majoritaire affaiblit les francophones ; mais la proportionnelle les renforcerait

dimanche 14 mars 2004, par Paul Cliche

La présentation prévue pour ce printemps d’un projet de loi à l’Assemblée nationale afin de réformer le mode de scrutin semble avoir mis dans tous ses états le député Luc Thériault, porte-parole de l’opposition péquiste dans ce dossier. Il est même allé jusqu’à contredire le fondateur de son parti, René Lévesque, qui, lui, avait qualifié de "démocratiquement infect" le scrutin majoritaire. Disant trouver plusieurs qualités à ce dernier, il a même mis en doute l’évidence du déficit démocratique qu’il engendre.

Plus prudent, son chef, Bernard Landry, a remis ses commentaires à plus tard. On se souvient que ce dernier avait déclaré durant la dernière campagne électorale que, s’il était réélu, on vivait les "dernières élections avec le scrutin actuel". C’était suite à la décision prise au congrès d’orientation de son parti, tenu quelques jours avant la dissolution du Parlement, de redonner priorité à cet engagement inscrit au programme de la formation souverainiste dès 1969 mais pas encore respecté après plus de 17 ans d’exercice du pouvoir.

On sait qu’a priori le système actuel favorise le Parti québécois de façon aussi aberrante qu’il l’avait fait dans le cas de l’Union nationale pendant 25 ans. Ainsi, en 1998, il avait été réélu avec une forte majorité parlementaire même s’il avait obtenu moins de votes que le Parti libéral structurellement handicapé par la concentration de ses votes dans les comtés à forte composante anglophone. Quand les libéraux de Jean Lesage avaient subi la même mésaventure en 1966 aux mains de l’Union nationale, René Lévesque, ministre sortant, avait déclaré qu’il s’agissait là "d’un sabotage officiel et extrêmement pernicieux des fondements de la démocratie politique". Mais ce renversement de la volonté populaire n’avait pas empêché le gouvernement Bouchard-Landry, malgré sa légitimité affaiblie, de renvoyer la réforme du mode de scrutin aux calendes grecques alors que la plus élémentaire décence démocratique commandait qu’il lui accorde priorité.
On peut comprendre le dilemme dans lequel se trouvent les péquistes coincés entre l’intérêt général et l’intérêt partisan. Ils craignent que l’instauration d’un scrutin proportionnel signifie pour eux un interminable séjour dans l’opposition. Mais le dernier numéro de la revue L’Action nationale, bien connue pour son engagement souverainiste, devrait leur redonner espoir.

Un article signé par le politicologue Pierre Serré, qui a fait sa thèse de doctorat sur le sujet, y détruit le mythe de la nocivité d’un éventuel scrutin proportionnel envers la formation souverainiste. Au contraire, c’est "le scrutin majoritaire (qui) minorise les francophones, empêche la constitution d’une coalition gagnante et condamne à des stratégies fondées sur la victimisation", affirme-t-il d’emblée.

Sa thèse s’appuie sur la constatation qu’avec le scrutin majoritaire des majorités péquistes suffisantes pour surmonter le vote en bloc des non-francophones ne se dégagent que lorsque les effectifs francophones sont au moins quatre fois plus nombreux que ceux des non-francophones dans le Montréal métro et au moins huit fois plus nombreux dans le reste du Québec. Ainsi, l’expérience prouve que les circonscriptions montréalaises qui n’ont pas 79% de francophones et celles qui, hors Montréal, n’en comptent pas plus de 90% n’élisent que des députés libéraux.

Par contre, poursuit M. Serré, un scrutin proportionnel traduisant parfaitement les voix en sièges pourrait permettre aux francophones de prendre une place dans l’arène politique qui soit conforme à leur poids démographique. Dans ce but, il préconise un scrutin de type régional à la scandinave qui est aussi le choix de l’Union des forces progressistes (UFP) . À ses yeux, un système mixte à l’allemande ne comportant qu’une quarantaine de sièges de compensation serait beaucoup moins intéressant à ce point de vue.

Voilà de quoi nourrir la réflexion des députés péquistes en espérant que, cette fois-ci, ils ne bloqueront pas cette réforme essentielle pour réduire le déficit démocratique, comme l’avaient fait leurs prédécesseurs en 1984 en se mutinant contre le premier ministre Lévesque. N’en déplaise au député Thériault…

Paul Cliche, membre de l’UFP