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Les cégeps ne sont pas à l’abri de la réingénierie de l’État ...

dimanche 19 octobre 2003

Même si les budgets ne sont pas encore disponibles dans les cégeps, nous savons déjà que plusieurs d’entre eux sont aux prises avec des difficultés financières et que certains prévoient déjà adopter un budget déficitaire, même si la loi le leur interdit. Le dernier budget Séguin ne prévoyait qu’une partie des fonds nécessaires pour assurer les coûts de système, même si le Parti libéral s’était engagé, dans son programme électoral, à les assumer entièrement. En effet, le budget Séguin a prévu 20 millions de dollars sur deux ans pour les coûts de système, alors que la Fédération des cégeps avait estimé que 50 millions seraient nécessaires. En conséquence, le portrait est plutôt gris dans les cégeps, particulièrement pour ceux en région qui doivent composer à la fois avec des compressions budgétaires importantes et avec une diminution des inscriptions. Ce sont d’ailleurs essentiellement des cégeps en région qui ont présenté un budget déficitaire cette année.

Le Parti libéral avait promis un investissement de 80 millions de dollars répartis sur quatre ans pour venir en aide aux cégeps des régions, mais il l’a reporté à l’an prochain. Ceux-ci les attendent avec impatience. Que peuvent faire les cégeps dans un tel contexte ? Certains ont choisi de refiler la facture aux étudiantes et aux étudiants en augmentant ce qu’on appelle les TAN, soit les frais de « toute autre nature » : frais de casier, de photocopies, d’impression de bulletin, etc. La Fédération des cégeps est même allée plus loin en remettant en question, en juin, le principe de la gratuité au collégial. Le ministère de l’Éducation n’a pas retenu cette voie, mais le débat n’est pas terminé puisque, répondant à la demande de la Fédération des cégeps, le ministre tiendra cette année un forum public sur l’avenir des collèges, où seront débattues les idées dégagées dans le programme du Parti libéral. Les « pistes d’action » du plan de développement, publié en février dernier par la Fédération des cégeps, ne seront sans doute pas complètement négligées. Cette dernière déplore d’ailleurs le fait que les cégeps soient en état de vulnérabilité par rapport à l’État qui les finance à 85 %, contrairement aux commissions scolaires qui bénéficient des taxes scolaires et aux universités qui réclament des frais de scolarité.

Tous se rappelleront les promesses de Jean Charest : la santé et l’éducation seront les deux priorités d’un gouvernement libéral. Près de six mois après son élection, nous doutons de la véracité de ses propos, particulièrement pour le secteur collégial, qui apparaît encore comme le parent pauvre du système éducatif québécois.

Des compressions qui se font déjà sentir dans les cégeps

La Fédération du personnel professionnel des collèges (FPPC) a mené une petite enquête auprès de ses membres, histoire de vérifier l’état des compressions budgétaires dans les cégeps. On y apprend que Vanier subit une compression de 11 000 $ ; Saint-Félicien et Sept-Îles, de 60 000 $ ; Baie- Comeau, de 80 000 $ ; Rivière-du-Loup, de 192 000 $ ; Limoilou, de 190 000 $ et Gérald- Godin, de 94 000 $. Cela se répercutera sur l’achat d’équipement et sur les dépenses administratives.

Ces coupes ont nécessairement des répercussions sur la qualité des services offerts aux étudiantes et étudiants. Quand un cégep décide, par exemple, de couper dans les dépenses d’équipement, ce sont les étudiantes et les étudiants qui doivent travailler avec un équipement désuet. Dans plusieurs collèges, l’effet des compressions budgétaires est déjà ressenti par les membres du personnel. Au cégep de l’Outaouais, il y aura trois chargés de projet à temps complet de moins cette année, dont deux à partir de novembre dû à l’expiration du Fonds jeunesse.

Au cégep de Rimouski, la direction a l’intention d’éliminer un poste d’aide pédagogique individuel et de réduire à quatre jours/semaine le poste de conseiller en orientation. Pour préserver le fonctionnement minimal du collège, les administrateurs n’ont souvent d’autre choix que de puiser à même les budgets spéciaux très souvent destinés au dépistage et à l’encadrement des étudiantes et des étudiants à risque. Il ne s’agit que de quelques exemples. Nous n’avons pas encore de portrait exhaustif de la situation des collèges.

La sous-traitance : ils n’en meurent pas tous, mais tous sont frappés

Pour réaliser des économies, plusieurs cégeps ont recours à la soustraitance pour offrir divers services. Depuis une dizaine d’années, plusieurs services, autrefois dispensés par le personnel de soutien, ont été confiés à des entreprises privées en sous-traitance. Ainsi, les cafétérias des cégeps appartiennent désormais à de grandes entreprises privées, dont plusieurs sont américaines, comme Marriott, Aramark ou Sodexo qui imposent leurs règles et leurs prix. À tel point que les cafés étudiants sont obligés d’ajuster leurs prix pour ne pas faire concurrence à la cafétéria du collège.

La sous-traitance ne se limite pas aux cafétérias. Dernièrement, le cégep François-Xavier-Garneau faisait un « prêt de service » avec la Société du réseau informatique des collèges inc. (SRIC), une compagnie privée dont le siège social est à Longueuil. Il en est résulté l’abolition du secteur de production de logiciels au collège, celui-ci désormais assumé par la SRIC. Le cégep Gérald- Godin, à l’instar d’autres collèges, a confié à un sous-traitant le service de reprographie. Au cégep Ahuntsic, c’est le service de câblage informatique qui a été donné en sous-traitance.

Mais quelle économie réalise ainsi le Collège puisque les employés de la compagnie sous-traitante doivent faire appel aux services des techniciens du collège pour accomplir leurs tâches ? On constate que les métiers spécialisés sont particulièrement touchés par la sous-traitance dans les collèges. Les serruriers, les menuisiers, les peintres en bâtiment, les responsables de la tuyauterie, etc. ne se voient pratiquement plus dans les collèges. Il en est de même des employés affectés à l’entretien ménager et aux services de sécurité. Or, les employés des compagnies privées sont très rarement syndiqués, ils sont la plupart du temps moins bien rémunérés et ils ne bénéficient d’aucune sécurité d’emploi. Toutefois, il n’est pas du tout évident que le recours à la sous-traitance génère des économies. De plus, la qualité des services offerts n’est pas garantie. L’antisyndicalisme primaire qui caractérise le néolibéralisme semble être une explication plus valable à cette pratique qui prend une ampleur inquiétante.

En effet, certains collèges, avec la complicité du ministère et de la Commission d’évaluation des collèges, confient maintenant des programmes d’enseignement à la sous-traitance. Ainsi, en avril dernier, le Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep de Bois-de-Boulogne déposait un grief contre le collège parce que celui-ci a confié l’enseignement conduisant à une AEC en animation 2D-3D, un programme de qualification relativement élevée, à la firme privée ICARI. Cette firme engage des travailleurs autonomes dits « formateurs », non syndiqués et payés à un taux inférieur aux enseignantes et enseignants du cégep. Comme ces cours sont dispensés à l’extérieur du collège, la direction des études du collège n’a pratiquement aucun contrôle sur l’enseignement qui est offert. Bois-de-Boulogne n’innove pas en la matière : le cégep du Vieux-Montréal a déjà confié à la soustraitance des cours en joaillerie et en danse.

Notons que ces deux collèges se sont engagés à sanctionner officiellement l’enseignement donné par leurs sous-traitants en accordant aux finissants un diplôme émanant du cégep.

Le programme du Parti libéral en éducation, les pistes d’action proposées par la Fédération des cégeps, les compressions budgétaires dans les collèges et l’accroissement de la sous-traitance dans les services et même dans l’enseignement, voilà autant d’exemples qui montrent qu’un vent de néolibéralisme souffle sur les collèges publics québécois. Nous devrons être particulièrement vigilants pour préserver la qualité des services. Le forum public sur l’avenir des cégeps, prévu pour cette année, sera l’occasion idéale pour exprimer notre point de vue sur les collèges.

Véronique Brouillette Conseillère CSQ

(tiré du site de la CSQ)