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Le défi des élections

Un parti des urnes à la manière de la rue

vendredi 16 août 2002, par Marc Bonhomme

Si stratégiquement l’UFP doit être un parti de la rue et des urnes, la prochaine période pré-électorale et électorale devra être celle des urnes à la manière de la rue. Pour ce faire, au niveau national, il faut s’inscrire dans l’approfondissement de la crise du bloc nationaliste tant par rapport au prolétariat que par rapport aux nations aborigènes et à l’impérialisme étasunien. Au niveau régional et local, il nous faut approfondir le processus de la plate-forme participative, tout en y liant nos tâches organisationnelles, pour construire l’UFP.

Un réseau multimédia national par le prolétariat pour le peuple québécois

Aucune mobilisation de masse au Québec ne s’annonce à l’horizon. Les directions syndicales, toujours très liées au bloc nationaliste, y ont vu en particulier dans le secteur public où leur capacité de contrôle est la plus grande parce que l’employeur fait directement parti du bloc nationaliste. Avec la complicité du PQ, elles y ont signé un modus vivendi qu’elles ont fait passer pour une victoire mais qui consacrait l’inacceptable statu-quo des services publics néolibéralisés. Auront fait partiellement exception la pression des femmes syndiquées dans les garderies et pour l’équité salariale dans le secteur public, ce qui a obligé le PQ à faire quelques concessions. Cette capitulation est d’autant plus déplorable que la sympathie retrouvée du peuple québécois envers le mouvement syndical souvenons-nous de la grève des infirmières ouvrait d’intéressantes perspectives d’une lutte de la rue contre les politiques de coupures.

Le contrôle des prolétaires syndiqués est cependant moins facile hors du secteur public québécois où l’on assiste à une certaine reprise des luttes depuis les grèves à Radio-Canada et de Bombardier, surtout quand c’est la législation du travail fédéral, permettant le recours aux briseurs de grève, qui s’applique comme dans le cas de Vidéotron et de Sécur. Aujourd’hui elles atteignent les fleurons de " Québec Inc. " soit Québécor (Vidéotron) et Desjardins (Sécur). Le bloc nationaliste en a des sueurs froides, surtout étant donné les placements de la Caisse et du mal nommé Fonds de solidarité de la FTQ dans le premier. La ligne dure patronale de Québécor, en quête de reculs substantiels suite à ses déboires dans le cadre de la débande mondiale du secteur des télécommunications, crée la nécessité d’un appui actif de tout le mouvement syndical. La FTQ, comme pour le conflit chez Bombardier, veut éviter toute extension et s’oppose en particulier à tout boycott de Vidéotron tout en ne proposant aucune autre stratégie. Résultat : la colère des syndiqués, confrontés à un cul-de-sac stratégique, donne lieu à des débordements, attaquant certes directement les profits de Québécor mais aussi leurs emplois, qu’a tôt fait de récupérer la propagande patronale.

Cet approfondissement de la crise du bloc nationaliste, que l’UFP veut briser en faveur d’un bloc antinéolibéral-indépendantiste, donne l’occasion d’une intervention politique. Le boycott est une arme à deux tranchants, qui menace certes les profits mais aussi l’emploi, et qui est aussi difficile à réaliser car il suppose que les gens agissent sur la base de décisions individuelles. Une solution à la fois antinéolibérale et nationale serait la nationalisation à bon marché de Vidéotron (et de Télé-Métropole) par exemple pour la valeur des placements de la Caisse qui deviendrait un service public national d’accès à la télévision et à Internat et, pour Télé-Métrople, une télévision nationale grand public. Ce serait là un débat dont l’UFP pourrait prendre l’initiative et qui lui ferait marquer des points tant chez les antinéolibéraux que chez les indépendantistes.

Il ne faudrait pas certes s’attendre, étant donné le rapport de forces, à ce qu’un tel débat change la donne mais il pourrait contribuer à la construction du parti dans les milieux syndicaux. C’est une première façon de s’inscrire dans la campagne pré-électorale à manière de la rue. Ce n’est pas la seule.

Une alliance avec les peuples aborigènes contre les nationalismes canadien et québécois

Le PQ a conclu une entente intérimaire avec le peuple Innu, après celles conclues avec les peuples Cree et Inuit. Il veut ainsi, stratégiquement, faire la paix sociale avec les directions aborigènes pour ouvrir le Nord du Québec aux investissements hydrauliques et miniers afin d’augmenter les exportations du Québec dans le cadre de l’ALÉNA, consacrant ainsi le modèle de développement libre-échangiste. Il cherche aussi, dans l’immédiat, à bonifier son triste bilan à l’avant-veille d’élections qui le donnent perdant. Pour ce faire, les gouvernements québécois et canadien profitent de la misère socio-économique des peuples autochtones si ce n’est de leur désespérance, mais aussi récoltent les fruits de leur politique de consolidation d’un establishment aborigène déculturé et subventionné, pour leur faire accepter des traités inégaux à la Nisga’a et à la Nunavut.

C’était sans compter avec les irrédentistes nationalistes, dit nationalistes orthodoxes, trop heureux de pouvoir compter sur le franc-parler du député bloquiste Lebel. Si les irrédentistes se servent habilement des concessions d’un PQ affaibli à son partenaire fédéral à propos de la Constitution de 1982 et à sa Charte des droits, le fond de leur opposition concerne la prétendue mise en cause de la prétendue intégrité territoriale du Québec. Pourtant il n’y a ni mise en cause ni mythe de l’intégrité territoriale. Tout au plus les gouvernements proposent-ils des pouvoirs de grosses municipalités sur des réserves élargis avec droits de chasse, cueillette et pêche, et des compensations financières à l’avenant.

Selon les irrédentistes, pour ce plat de lentilles, il aurait fallu que les Innus renoncent à leurs droits historiques que prétend leur reconnaître la Constitution canadienne. Pour eux, il faudrait concéder aux nations aborigènes moins que la reconnaissance virtuelle de cette Constitution. En voulant se venger ainsi sur plus faible que soi de ce que la Constitution de 1982 ne reconnaisse aucunement la nation québécoise, les irrédentistes précipitent ces nations dans le giron fédéral. Quant à l’intégrité territoriale, il relève du mythe de la nation imaginaire propre aux nationalistes. À aucun moment, la majeure partie des territoires transférés à la province fédérale du Québec en 1896 et 1912 n’ont été habités par le peuple québécois, de même qu’une grande partie du territoire du sud du Québec.

L’UFP a tout intérêt à participer au débat sur la base des positions des plus claires de sa plate-forme. Il faut d’abord clamer haut et fort que les nations aborigènes du Québec sont en droit égales à nous, qu’à ce titre ils autant droit que nous à être indépendantes si elles le désirent, que donc leur reconnaissance nationale par le Parlement québécois en 1985 est réelle et non virtuelle comme celle du PQ, PLQ et ADQ. C’est pourquoi nous devons leur proposer des traités internationaux, reconnus par les Nations-Unies, qui fondent une alliance stratégique contre l’exploitation néolibérale et l’oppression fédérale à laquelle la province canadienne du Québec a pleinement participé y compris sous la gouverne péquiste. Il faut, en particulier, dénoncer cette prétendue étude d’Hydro-Québec qui nie aux Innus leurs droits territoriaux pour cause de génocide de leurs ancêtres : plus cynique, tu meurs.

Si les détails de ces traités peuvent être complexes à négocier et exiger une confiance mutuelle à créer, leurs bases principielles sont simples. Il faut renoncer aux frontières à la mode capitaliste qui relèvent de la logique de la propriété privée pour favoriser des frontières osmotiques y compris des territoires, pouvant être assez importants, de partage des souverainetés. Ainsi pourra-t-on résoudre l’apparent piège inextricable des zones litigieuses dues aux envahissements historiques de la horde blanche et des déplacements corollaires aborigènes. Sur la base des pouvoirs souverains, nécessairement exclusifs, il est tout à fait possible de s’entendre sur des politiques communes de développement social, culturel et économique, à commencer pour les zones de partage de souveraineté. Finalement ces traités garantiraient une paix et une aide mutuelle anti-impérialiste de même qu’ils établiraient un fonds de développement socio-économique en compensation et à la hauteur des torts historiques de la conquête-génocide des empires coloniaux anglo-français et de l’État canadien. Rien n’interdit à ces traités d’aboutir à un État commun avec des institutions communes sur la base de l’égalité des nations le constituant.

Une coalition contre la guerre et le néolibéralisme

Chez la grande majorité des peuples du tiers monde et chez une minorité grandissante des peuples des pays impérialistes, particulièrement en Europe du Sud, le néolibéralisme a perdu toute crédibilité. La résistance de ces peuples aux politiques néolibérales, combinée à l’enveniment des contradictions entre puissances impérialistes au fur et à mesure que se déploie la crise économique et sociale du libre-échangisme, amène la puissance hégémonique étasunienne sur le sentier de la guerre et de la répression permanente contre les peuples et de mise au pas de ses alliés impérialistes et des classes dominantes du tiers monde. Après la guerre contre l’Afghanistan se prépare maintenant la guerre contre l’Iraq sans compter les guerres de basse intensité contre le peuple palestinien par son allié israélien et contre les peuples d’Amérique latine qui ne cessent de s’envenimer.

En Amérique du Nord impérialiste, depuis le 11 septembre, les mobilisations contre le néolibéralisme et la guerre se sont de beaucoup affaiblies comme en témoigne le faible nombre de participantes et participants à Ottawa tant en novembre contre la guerre qu’en juin contre le G-8, une baisse considérable d’un facteur de dix par rapport au Sommet des Amériques et de la Marche des femmes. En juin, tant le mouvement syndical que la grande majorité des ONG ont refusé ou à peine mobilisé sauf à sauver la face à Calgary. Seul le mouvement anticapitaliste a fait le plein de son monde plus la frange la plus à gauche des mouvements syndical et populaire et des partis politiques.

La lutte contre le néolibéralisme et la guerre s’en trouve de nouveau reléguer aux marges alors que le Sommet des Amériques l’avait mise au centre de l’actualité politique. La capitulation des directions syndicale/populaire/ONG a laissé le terrain libre au mouvement anticapitaliste qui aura relevé le défi mais qui n’aura pas complètement su se libérer de son gauchisme vis-à-vis sa plate-forme idéologique, sauf à propos des droits des immigrants et immigrantes et du droit au logement, même s’il aura mis de l’eau dans son vin par rapport à la diversité des tactiques en reconnaissant que la recherche de la confrontation par la minorité se répercute inévitablement sur la majorité lui donnant ainsi une raison de s’abstenir.

La probabilité de la guerre contre l’Iraq, peut-être dès cet automne, commande que l’UFP contribue à réanimer ou à relancer la coalition contre la guerre qui s’était mise sur pied l’automne dernier à Montréal. Parce que les guerres impérialistes sont le prolongement des politiques néolibérales à l’heure de la résistance des peuples, il faut aussi proposer d’élargir la thématique de la coalition à la lutte contre les politiques néolibérales en particulier en reprenant les éléments essentiels de Porto-Alegre, qui sont aussi dans notre plate-forme : annulation de la dette du tiers monde, taxe Tobin, non aux PAS du FMI et aux privatisations qui doivent s’ajouter aux propositions à propos de la Palestine, l’Iraq et le plan Colombie.

Des plate-formes locales et régionales participatives

Si aujourd’hui l’UFP donne une grande importance à la publicisation de sa plate-forme c’est non seulement parce que la conjoncture pré-électorale l’impose mais aussi parce que la méthode participative de son élaboration, si imparfaite fut-elle, a donné une plate-forme qui répond précisément à gauche aux grands enjeux de l’heure tout en étant brève et facilement compréhensible.

Dans le virage programmatique droitier actuel que reflètent la montée de l’ADQ, le nouveau zig-zag droitier du PLQ vers l’ADQ et les hésitations du PQ entre social-démocratie virtuelle contredisant la direction générale de ses politiques réelles et main tendue à l’ADQ, la plate-forme de l’UFP apparaît comme la seule solide bouée de sauvetage des intérêts populaires dans toute leur diversité sociale, nationale, écologique, internationaliste et de genre.

La démarche mérite d’être approfondie localement et régionalement pour rassembler autour des noyaux existants UFP une première couche de militantes et militants prêts à prendre activement part dès maintenant à la construction de l’UFP. Cette démarche passe par l’immédiate popularisation de la plate-forme UFP dans les milieux militants, et d’une explication du caractère démocratique de ses statuts, tout en invitant à participer à la construction de la plate-forme régionale/locale. Cette invitation devrait être accompagnée prioritairement d’une campagne de financement et d’adhésion et, quand le nombre le permet, de construction d’associations de comtés.

Pour personnaliser cette démarche, là où des canditates ou candidats crédibles se dégagent, il serait pertinenent de faire leurs mises en candidature de sorte qu’elles (ils) deviennent immédiatement des porte-parole régionaux ou locaux. Mais ce serait une erreur d’essayer de remplir toutes les places maintenant. Il faut d’une part se laisser le temps d’un premier recrutement et démontrer à ceux et celles qu’on invite à notre démarche de plate-forme participative qu’elles (ils) ont un rôle à jouer dans le choix des candidatures. Rien n’empêche, cependant, de prévoir des candidatures-poteaux en cas de déclanchement rapide des élections. De toute façon, on mènera une campagne électorale à la hauteur de nombre de nos militantes et militants, de leur localisation, disponibilité et savoir-faire, et de notre capacité de financement. Ailleurs, on aura des candidates et candidats poteaux pour maximiser en votes (et argent) le résultat de notre travail électoral, surtout médiatique. On est un parti national ou on ne l’est pas.

Le point crucial à saisir c’est de toujours mettre la politique au poste de commande (diffusion de la plate-forme, plate-forme régionale/locale participative) et d’en faire découler les tâches organisationnelles (financement, recrutement, fondation d’associations puis, durant la campagne, affichage, assemblées publiques, communication publique).

À ne jamais perdre de vue que tout ce processus politico-organisationnel doit se faire selon la compréhension stratégique du congrès de fondation. Le débat sur la plate-forme, préparé par le processus participatif préalable, a tranché pour un rassemblement d’un bloc non seulement antinéolibéral mais aussi indépendantiste. Cette décision s’appuie sur la conscience qu’une lutte de libération n’est pas unidimensionnelle, qu’on ne saurait se libérer de l’exploitation du capitalisme néolibéral sans à la fois se libérer du fédéralisme oppresseur qui nie notre réalité nationale, pas plus qu’on ne saurait le faire sans se libérer du patriarcat.