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Le Sommet des Amériques, deux ans plus tard

LA DIPLOMATIE DU DOLLAR ET LA DIGNITÉ DES PEUPLES D’AMÉRIQUE LATINE

par Claudia Korol

dimanche 11 janvier 2004

Roger Noriega, sous-secrétaire aux Affaires hémisphériques du Département d’État des États-Unis, a encore une fois reproduit les attitudes états-uniennes classiques d’ingérence dans les décisions politiques des pays latino-américains, dont ils n’attendent que servilité et docilité.

Dans ses récentes déclarations au Conseil des Amériques - un petit groupe qui rassemble une fraction choisie de l’establishment de New York sous la tutelle de Rockfeller -, Noriega a affirmé que la politique actuelle de l’Argentine envers Cuba « est un motif de préoccupations et de déceptions à Washington ». Il a manifesté son embarras parce que le chancelier Rafael Bielsa n’a pas rencontré, pendant sa visite à La Havane, de groupes contre-révolutionnaires, et il a affirmé que l’Argentine avait fait « un virage à gauche » qui « a déçu la Maison Blanche ». Dans son intervention lors de cette même réunion, Noriega a adressé des propos offensants à l’égard du président du Vénézuela, Hugo Chávez et du leader bolivien des producteurs de coca, Evo Morales.

Rejetant les interprétations selon lesquelles il s’agissait d’ « expressions personnelles » qui ne représentaient pas de ce fait celles du gouvernement états-unien, il a reçu le soutien de Bush, à travers le porte-parole du Département d’État des États-Unis, Richard Boucher.

En réponse, le président argentin Néstor Kirchner a pris la tête d’une salve de répliques issues autant de membres du gouvernement que de différentes personnalités politiques qui ont souligné sur des tons variés l’indépendance argentine par rapport au gouvernement états-unien. Pendant que Kirchner affirmait au cours d’une cérémonie à La Matanza - municipalité populaire de la province de Buenos Aires - que « l’Argentine est un pays indépendant et digne », le chancelier Rafael Bielsa a présenté une plainte à l’ambassadeur des États-Unis en Argentine, Lino Gutiérrez (obscur fonctionnaire des États-Unis lié à la mafia cubano-états-unienne) en lui exprimant le « profond mécontentement » produit sur le gouvernement argentin par les déclarations des fonctionnaires du gouvernement de Bush. La position argentine a été également appuyée par le conseiller du président Lula, du Brésil, Marco Aurelio García, qui a qualifié d’ « impertinentes » les déclarations de Roger Noriega et indiqué que « la première chose qu’il devait éclaircir était de savoir s’il parlait en tant que sous-secrétaire des États-Unis ou en tant que dissident cubain ». (Roger Noriega est d’origine cubaine).

Mais ce duel verbal, qui n’a pas de plus grandes conséquences pour l’instant, est pour ces pays une manière de se positionner peu de jours avant que ne débute à Monterrey au Mexique le Sommet des Amériques où se réuniront les trente-quatre présidents du continent à l’exception de Fidel Castro.

Le gouvernement argentin espère jouer le premier rôle dans cette rencontre pour réaffirmer sa gestion interne, compte tenu que cette rencontre se conclura par un discours de Kirchner du fait que le prochain Sommet des Amériques se réunira en 2005 dans une ville d’Argentine.

Dans le cadre de cette réunion une rencontre entre Kirchner et Bush est planifiée pour le mardi 13 janvier, durant laquelle seront certainement abordés quelques-uns des sujets épineux pour les deux administrations, comme le vote sur Cuba à l’ONU (au dernier scrutin, le président argentin de l’époque, Duhalde, a choisi de s’abstenir, alors que De La Rúa et Menem avaient auparavant voté contre Cuba), comme la discussion avec le FMI autour de la dette externe, les négociations de l’ALCA, l’attitude argentine envers la crise bolivienne, et le débat sur l’exécution de manoeuvres militaires conjointes sur le territoire argentin.

A l’arrière-plan de ces sujets, on voit la pression des lobbies et des détenteurs des bons argentins pour obtenir leur paiement en espèces, sans la réduction de 75% proposée par Lavagna. (Il faut se souvenir que les États-Unis, dans leur nouveau rôle de gendarme envahisseur de l’Irak, ont demandé une remise de la dette externe de Bagdad, supérieure à celle que demande aujourd’hui le gouvernement argentin).

D’un autre côté, l’obsession états-unienne à renforcer le blocus et l’agression contre Cuba est remise sur le tapis alors que s’approchent les élections de novembre aux États-Unis. Bush aspire à consolider son appui parmi les nombreux contre-révolutionnaires exilés nichés principalement à Miami.

Parmi les sujets récurrents, on trouve également la nécessité pour les États-Unis d’inverser les résultats des dernières réunions réalisées pour renforcer l’ALCA. Au-delà des visions différentes de gouvernements comme ceux du Venezuela, leader d’un bloc de mouvements populaires qui rejettent carrément ce traité, et d’autres comme ceux du Brésil ou d’Argentine qui prétendent soumettre ces négociations à des conditions, ce qui est certain, c’est que les États-Unis voient l’agenda prévu avancer avec difficulté.

La grande vague anti-néolibérale qui parcourt les peuples du continent et fait pression sur plusieurs gouvernements ou leur fait craindre de nouvelles crises d’ « ingouvernabilité », a fait chanceler aussi bien les accords qui consolident leur contrôle direct sur les économies nationales, que ceux qui se rapportent à la mise en oeuvre du système de sécurité régional et s’appuient sur les progrès de la militarisation du continent qui doit permettre l’accès à et la possession de territoires aux ressources stratégiques, dans la perspective des États-Unis.

Le rêve états-unien d’un monde unipolaire, dont il deviendrait le gendarme et le principal consommateur, commence à se peupler des soubresauts produits par les peuples en rébellion, aussi bien dans la résistance patriotique iraquienne que dans les insurrections du peuple bolivien, dans la montée d’un mouvement qui met en échec le putschisme récurrent au Vénézuela, dans la réforme agraire que les sans-terres anticipent dans leurs camps au Brésil. Quelques gouvernements sont en train d’apprendre, au prix de rébellions comme celle des 19 et 20 décembre en Argentine, que cette vague n’est pas arrêtée par les porte-parole de la Floride ni par les comptables prolixes du FMI. L’ombre d’un front des peuples et de certains gouvernements latino-américains contre l’ALCA commence à devenir le cauchemar de ceux qui se prétendent les nouveaux maîtres du monde.

(Tiré de Risbal)