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APPEL DE LA HAVANE

À TOUS LES PEUPLES D’AMÉRIQUE

vendredi 20 décembre 2002

Nous, hommes et femmes, indigènes, noirs, syndicalistes, paysans, jeunes, habitants, religieux, environnementalistes, défenseurs des droits de l’homme, créateurs, spécialistes de la communication, parlementaires, artistes et intellectuels, hommes et femmes de toutes les races, représentants d’organisations sociales et politiques provenant des trente-cinq pays de notre continent, nous sommes arrivés à La Havane pour y tenir les Deuxièmes Rencontres hémisphériques de lutte contre la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), compte tenu du fait que les États-Unis et les gouvernements connexes de l’hémisphère persistent dans leur volonté d’imposer à nos nations ce traité supranational qui voue à la pauvreté des secteurs de plus en plus vastes de la population du Sud et du Nord, qui octroie des droits aux sociétés transnationales au détriment des États et des peuples, qui destine sans discernement nos ressources naturelles, productives et humaines au pillage démesuré et qui sacrifie, en fin de compte, toute possibilité de développement souverain de nos nations dans le cadre d’une nouvelle ère de colonisation et d’annexion de notre Amérique de la part du pouvoir politique, économique et militaire des États-Unis.

Depuis nos Premières Rencontres, tenues voilà un an, nous avons assistés à un renforcement de la résistance à la menace de la ZLEA et à d’autres calamités semées par le néolibéralisme au sein de nos peuples. Les premières victoires commencent à être remportées en El Salvador, en Équateur, au Pérou, au Paraguay, en Uruguay, au Québec, au Canada, aux États-Unis, au Mexique et dans d’autres pays qui résistent avec succès aux politiques visant à privatiser l’énergie, la santé, l’eau, voire la vie. En Argentine, où la débâcle du modèle néolibéral a été accablante, le peuple ne cesse pas de se mobiliser contre les politiques de concentration de la richesse, sources d’un véritable génocide social. Au Venezuela, les tentatives de putsch et de déstabilisation du gouvernement élu, qui ne jouit pas de la faveur du gouvernement des États-Unis, ont été jusqu’à présent jugulées. Les exemples de résistance et de dignité se multiplient partout dans le monde, notamment dans le cas des luttes dirigées par le peuple indien et par le mouvement noir, jusqu’à ce jour marginalisés parmi les marginalisés. L’individualisme, la concurrence et la division promus par le néolibéralisme commencent à céder du terrain devant l’unité et la solidarité entre les peuples. Les femmes commencent à occuper de plus en plus la place qu’il leur revient, leurs revendications étant à la tête de leurs luttes, ce qui constitue un motif d’orgueil et de dignité pour le mouvement dans son ensemble.

Depuis nos dernières rencontres, nous avons assisté à la création de comités de lutte contre la ZLEA, où convergent les forces sociales et politiques de divers pays, ce qui s’est traduit par des campagnes d’information et d’éducation, par des actions de masse et par l’organisation et la tenue de la Consultation populaire continentale, qui a débutée pendant la première semaine de septembre 2002 au Brésil avec un plébiscite où plus de dix millions de brésiliens et brésiliennes ont dit NON à la ZLEA. À Quito, lors du Sommet des ministres du commerce, nous sommes descendus dans les rues, en dépit des gaz lacrymogènes lancés par la police, pour manifester le refus de nos peuples aux gouvernements qui s’entêtent à négocier la ZLEA.

La résistance et le renforcement du mouvement social et son articulation accrue à l’échelle mondiale se sont aussi traduits par des conquêtes politiques, à preuve le nombre élevé des voix obtenues par Evo Morales en Bolivie et, notamment, les victoires électorales remportées par Lula au Brésil et par Lucio Gutiérrez en Équateur, et ce grâce au soutien des forces populaires qui s’opposent à la recolonisation de notre Amérique. Il ne fait aucun doute que les perspectives qu’ouvrent ces victoires constituent un rude coup au modèle néolibéral, compte tenu du fait que les voix de nos peuples se sont exprimées contre ce modèle, contre le « libre-échange », contre la domination nord-américaine.

En dépit de ces manifestations évidentes de la volonté de nos peuples, l’empire nord-américain et les gouvernements subordonnés à ses ordres dans l’hémisphère se refusent à entendre les revendications de justice et d’indépendance et s’entêtent à poursuivre leurs plans colonialistes et anti-populaires. Le chômage et la misère ne cessent pas d’augmenter et ce en dépit des promesses de développement faites par les défenseurs du « libre-échange » et des programmes fallacieux de lutte contre la pauvreté. La situation actuelle côtoie le génocide social et la dégradation humaine. Nos pays perdent leur souveraineté et leur sécurité alimentaire alors que l’on prétend laisser les biens et les services de base, tels que l’éducation et la santé à la merci du jeu inhumain du marché. En Argentine, les enfants meurent de faim, ce qui aurait été impensable il n’y a pas longtemps. La dette reste un fléau et un instrument de chantage et de contrôle contre nos nations. La militarisation, sous prétexte de la lutte contre le trafic de drogues et, tout récemment, contre le terrorisme, est indissolublement lié au « libre-échange ». Le Plan Colombia, le commandement nord et la « coopération » en général de nos gouvernements avec les faucons du Pentagone constituent l’autre volet de la politique d’intégration économique subordonnée aux intérêts nord-américains.

Malgré les lourdes conséquences sociales découlant du Traité de libre-échange de l’Amérique du Nord, notamment pour le Mexique, et de l’opposition croissante aux négociations en cours, les ministres du commerce ont ratifié à Quito leur décision de conclure les négociations sur la ZLEA en 2004. Washington et ses alliés, plutôt ses subordonnés, n’attendent pas la fin des négociations. Ils concoctent tous les jours des traités de « libre-échange » bilatéraux ou régionaux qui font partie de la stratégie de réaffirmation de l’hégémonie nord-américaine dans le sous-continent pour donner libre cours à la ZLEA. Ces plans hémisphériques s’inscrivent dans le cadre de la stratégie générale des sociétés nord-américaines en sont en concurrence avec les autres blocs économiques au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le fait que des questions telles que l’agriculture et la privatisation des services publics, entre autres, qui commencent à être analysées à l’OMC, fassent déjà partie du programme de la ZLEA, en est la preuve.

Les négociations concernant la ZLEA et l’OMC (ainsi que les processus bilatéraux et généraux) sont entrées dans une phase décisive. La crise et le désespoir de nos peuples dépassent les limites. La menace de guerre est présente. Mais nos possibilités de résistance sont plus prometteuses que par le passé et de nouvelles lueurs d’espoir se laissent entrevoir. Notre lutte doit aussi entrer dans une phase décisive. Aussi lançons-nous depuis la patrie de Martí, preuve vivante de la possibilité de vaincre et de résister à la domination impériale, le présent :

APPEL

À redoubler dans nos pays, sur les plans régional et continental, la campagne contre la Zone de libre-échange des Amériques tout en renforçant les activités d’information, de diffusion et d’éducation au sein de la population en général ainsi que les mobilisations, les initiatives et les actions à notre portée pour stopper ce projet de recolonisation.

 À créer des comités nationaux unitaires, intersectoriels, pluraux et horizontaux de lutte contre la ZLEA.

 À donner une nouvelle impulsion à l’organisation et à la réalisation de la Consultation populaire continentale sur la ZLEA qui, en attendant la tenue, en 2003, du sommet des présidents des Amériques, sera ajourné au mois d’octobre, avant le Sommet des ministres du commerce à se tenir à Miami. Des millions d’hommes et de femmes du sous-continent tout entier y participeront.

 À développer une stratégie à l’intention des congrès nationaux afin que les parlementaires qui s’opposent à la ZLEA puissent livrer une lutte aux côtés de leurs peuples pour reprendre la défense de la souveraineté et arrêter la ZLEA.

 À livrer une lutte contre les traités, les accords et les plans bilatéraux et régionaux de « libre-échange » qui encouragent le modèle injuste et inégal de la ZLEA, ainsi que mettre en pratique, depuis la base, une alternative juste, équitable et durable d’intégration des peuples.

 À combiner la lutte contre le « libre-échange » dans l’hémisphère avec la lutte contre l’Organisation mondiale du commerce et, en particulier, contre une nouvelle série de négociations et l’inclusion de nouveaux thèmes qui ne feront que renforcer une institution qui ne répond qu’aux intérêts des grandes entreprises transnationales.

 À lier toujours plus ce combat aux luttes concrètes et quotidiennes que livrent nos peuples sur les différents fronts ouverts par le néolibéralisme, en particulier pour défendre le caractère public de l’éducation, la santé, la sécurité sociale, les ressources énergétiques et naturelles de nos pays.

 À appuyer la lutte contre toute forme d’exclusion et de discrimination, notamment celle contre la violence exercée contre les femmes.
À lier la lutte contre le « libre-échange » à la lutte historique contre l’injuste et illégitime dette extérieure et contre le bellicisme nord-américain qui compromet non seulement la souveraineté mais aussi la survie même de la planète toute entière, et pour combattre les politiques de contre-insurrection militaire, paramilitaire et civile encouragées par les gouvernements latino-américains. Il est impérieux maintenant de faire un front commun de lutte contre la politique de criminaliser les combattants sociaux.

Indépendamment des luttes à livrer dans chaque pays et dans chaque région, nous lançons un appel pour nous rencontrer et nous mobiliser contre la ZLEA et l’OMC dans le cadre du Forum social mondial de Porto Alegre, à se tenir en janvier 2003 ; pour nous rencontrer et nous mobiliser aux côtés de nos frères et sœurs du monde entier à Cancún (Mexique), en septembre 2003, pour lutter contre l’OMC, tout en réalisant toutes sortes de mobilisations et d’actions simultanées dans nos pays respectifs ; pour réaliser une journée continentale de lutte contre la ZLEA dans le cadre de la Réunion des ministres du commerce de la ZLEA, qui aura lieu vers la fin de 2003 à Miami et pour nous rencontrer encore une fois à La Havane, en janvier 2004.

Nous nous félicitons de constater que nombre d’objectifs que nous nous sommes fixés aux Premières Rencontres ont été atteints. Nous sommes d’ailleurs persuadés que ces Deuxièmes Rencontres hémisphériques de lutte contre la Zone de libre-échange des Amériques ouvre une nouvelle étape et donne une nouvelle impulsion à la lutte contre la nouvelle tentative de domination coloniale. Nous sommes d’autre part convaincus que si nous suivons la voie du mouvement de résistance globale mise en évidence à Chiapas, à Seattle, au Québec et dans le cadre d’autres luttes populaires livrées en Amérique du Nord, en Amérique centrale, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes, nous réussirons à inverser la destinée de marginalisation, de misère et de guerre que veulent imposer à nos peuples les grands maîtres du pouvoir et de l’argent. Depuis ce territoire libre d’Amérique, avec lequel nous nous solidarisons et pour lequel nous exigeons la cessation du blocus et le respect de sa souveraineté, nous disons :

NOTRE AMÉRIQUE N’EST PAS MISE EN VENTE !
OUI À LA SOUVERAINETÉ POPULAIRE, NON À LA ZLEA !
ÉRIGEONS ENSEMBLE UNE AUTRE AMÉRIQUE !